Aides à domicile, agentes d’entretien, hôtesses de caisse : ces travailleuses de la deuxième ligne, vont subir de plein fouet la réforme des retraites du gouvernement Borne. Dans les secteurs les plus féminisés, elles tentent donc de garder leur combativité dans la séquence qui s’ouvre… Tout en gérant un quotidien à flux tendu.
La réforme des retraites ? « La vérité, c’est que l’on n’en parle pas. On a pas le temps, parce qu’on a de plus en plus de charge de travail ». Vérine Paris a le ton las. Cette employée d’un Monoprix en Seine-Saint-Denis est aujourd’hui responsable des caisses. En peu de temps, elle a vu les caisses automatiques remplacer une à une ses collègues. Désormais, chaque jour, une à deux caissières gèrent tout le magasin. « Nous faisons parfois toute seule le travail pour six. Personne n’est là pour nous aider et nous laisser le temps de discuter et de nous organiser entre nous ».
Les tâches demandées aux salariées – toutes des femmes, dans son Monoprix – ont évolué avec l’automatisation. Elles doivent désormais assurer les services de livraison, gérer Uber Eats, Deliveroo ; et surtout emballer les courses commandées en ligne par les clients. Les packs d’eau sont devenus un cauchemar du quotidien. « Certains clients en commandent beaucoup… Par exemple, il y a une société qui en prend régulièrement une vingtaine. On a mal au dos, mal partout », déplore Vérine Paris. « On ne sait pas si on va y arriver à la retraite, à cette allure-là ».
Mais au fond d’elle, cette ancienne couturière et animatrice dans un centre de loisirs garde un reste de combativité. Elle s’est syndiquée à la CGT, forte de 20 années passées à Monoprix, et vient d’obtenir un mandat pour être juge aux Prud’hommes. Si elle a peu de temps pour s’organiser avec ses collègues, elle a pourtant suivi les annonces gouvernementales de près. L’âge légal est désormais porté à 64 ans, à raison d’un trimestre supplémentaire par an, dès septembre 2023, pour la génération 1961. « Pour nous, un an de plus, c’est comme si on travaillait dix ans », témoigne la responsable des caisses. « Déjà, une journée c’est très long… Alors vous imaginez avec ce qu’ils veulent nous rajouter ! C’est pour ça que je lutte ».
Nettoyage, aide à domicile : une réforme « très mal perçue »
Le secteur du nettoyage, fortement féminisé, compte également être au rendez-vous des mobilisations autour des retraites malgré sa précarité. Dans ce secteur, les grèves sont souvent locales, rarement coordonnées. Sauf exception, comme lorsque plusieurs mouvements se sont déclenchés en décembre contre le sous-traitant Arc en ciel.
Sur le terrain, « c’est très mal perçu, cette réforme. Les personnes y sont opposées et je pense que la mobilisation sera forte », soutient Nadia Jacquot, secrétaire fédérale de FEETS-FO, en charge de la branche nettoyage. Et pour cause, « 43 années de cotisation, ce sera compliqué pour les femmes à temps partiel et dont les carrières sont hachées et incomplètes. Les victimes, ce sont toujours celles qui se trouvent en bout de chaîne. »
En somme, cette réforme est encore considérée comme « injuste pour les femmes. On ne prend pas en compte leurs grossesse, leurs absences, leurs temps partiels… » fustige Marie*, devenue infirmière libérale après avoir été aide-soignante puis infirmière en Ehpad. Comme beaucoup d’autres femmes, Marie s’est arrêtée plusieurs trimestres pour la naissance de son fils.
Sa carrière illustre celle de nombreuses autres femmes dans les secteurs du soin comme du nettoyage. Elle n’a commencé à travailler à temps plein qu’en devenant infirmière en 2016. « Avant, en tant qu’aide-soignante à domicile, j’étais soit en mi-temps soit à 80 % », témoigne-t-elle. « Les aides-soignantes à domicile ne font jamais des journées complètes. Vous restez à 60, 80%. »
Marie est donc vent debout contre la réforme des retraites. Mais en libéral, difficile de s’organiser entre collègues. Plusieurs d’entre elles se mobilisent dans le cadre du SNIIL, le syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux. En plus de la réforme des retraites, « il faudrait que la mobilisation soit générale, que l’on dénonce le prix de la vie, tout ce qui augmente », ajoute celle qui doit payer un plein, chaque semaine, pour se rendre au domicile des patients.
Travailleuses de la deuxième ligne : gérer la pénibilité au quotidien
Avec une activité presque toujours partielle, Marie préfère ne pas penser à sa future pension. « Je sais que j’aurais une petite retraite. De toute façon, depuis que j’ai commencé à travailler, j’essaie de ne pas y penser ; à part tenter d’avoir une retraite par capitalisation… » Comme tant d’autres, elle n’aura pas droit à la pension minimale revalorisée à 1200 euros promise par Elisabeth Borne. Celle-ci ne concerne que les personnes ayant travaillé au SMIC à temps complet toute leur carrière. « Dire que personne n’aura une retraite en dessous de 1200 euros, c’est un mensonge. Dans la propreté, aucune femme n’aura une carrière complète au SMIC », confirme Nadia Jacquot.
En attendant de se faire entendre, ces travailleuses de la deuxième ligne gèrent un quotidien épuisant physiquement. Depuis la mise en place du compte professionnel de prévention en 2016 sous Hollande, de nombreux critères de pénibilité ont disparu. Exit le port de charges lourdes – on pense aux packs d’eau chargés par les caissières du Monoprix -, les postures pénibles, ou l’exposition à des agents chimiques dangereux – on pense aux produits manipulés par les travailleuses du nettoyage et des blanchisseries. « Dans ce projet de réforme des retraites, ces critères ne sont toujours pas intégrés. Ce sera peut-être discuté plus tard… » soupire Nadia Jacquot. De fait, le gouvernement renvoie le sujet à des discussions de branche ultérieures.
« Il faut que les membres du gouvernement viennent faire une semaine à notre place. Et que nous, on prenne la leur. En une semaine, ils vont la sentir, la pénibilité », lance Vérine Paris, l’employée du Monoprix. Au plus fort de la pandémie, les travailleuses de deuxième ligne comme elle ont été applaudies. « Elles étaient les seules à aller travailler la peur au ventre », rappelle Nadia Jacquot. « Tout le monde a dit : il ne faudra pas les oublier. » Et aujourd’hui ?
*Le prénom a été modifié afin de préserver l’anonymat de l’interlocutrice
Faisons face ensemble !
Si les 5000 personnes qui nous lisent chaque semaine (400 000/an) faisaient un don ne serait-ce que de 1€, 2€ ou 3€/mois (0,34€, 0,68€ ou 1,02€ après déduction d’impôts), la rédaction de Rapports de force pourrait compter 4 journalistes à temps complets (au lieu de trois à tiers temps) pour fabriquer le journal. Et ainsi faire beaucoup plus et bien mieux.