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Amazon sous Macron : quand l’e-commerce casse l’emploi


De la Bretagne à la Sarthe, des collectifs s’organisent contre des projets d’implantation d’Amazon sur leur territoire. Alors qu’en 2017, seules trois régions françaises accueillaient des entrepôts, aujourd’hui, aucune n’est épargnée. Mais où est le problème, si la multinationale créé des emplois ? Tel est souvent le discours tenu par les élus favorables aux géants du e-commerce. Or, les Amis de la Terre France viennent de produire un rapport déconstruisant cet argumentaire. En réalité, la vente en ligne casse et précarise le marché de l’emploi.

 

Au bout de la pointe du Raz, lieu emblématique de la Bretagne, une banderole : « Macron a livré notre région à Amazon ». Ce 24 mars, une journée nationale contre les implantations d’Amazon mobilise les collectifs citoyens. Ici, en Bretagne, le collectif Stop Amazon Briec se bat depuis le printemps 2020 contre un projet d’entrepôt à dix kilomètres de Quimper. Un hangar de 6 000 mètres carré, dont la construction, en cours, pourrait être achevée à l’été.

Ce hangar est implanté « sur un lieu tout-désigné, proche de la quatre voies, dans une zone industrielle… Ici, il y a douze ans, il avait eu une grande lutte contre une centrale à gaz… » se souvient Catherine Malbranque, membre de ce collectif. Un lieu où se trouve aussi une zone humide à protéger. Amazon a acquis une parcelle juste en hauteur. « Tous les ruissellements sont coupés, cela modifie le circuit de l’eau, et déséquilibre les écosystèmes », déplore la militante.

Malgré les conséquences environnementales et sociales des implantations Amazon, bien connues, celles-ci se sont multipliées depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017. En cinq ans, la multinationale est passée de 4 entrepôts logistiques en France à… 44. Seules trois régions étaient concernées par des implantations en 2017. Désormais, elles le sont toutes.

 

Un quinquennat favorable au déploiement d’Amazon

 

Rien que sur la région Île-de-France, Amazon a grandi de 0 à 13 entrepôts sous le quinquennat. « Amazon, c’est le leader en France du e-commerce, celui qui a le plus de parts de marchés. Et ce, notamment dans les secteurs les plus énergivores et massivement délocalisés : le textile et l’énergétique », rappelle Étienne Coubard, chargée de mobilisation chez Les Amis de la Terre France.

L’histoire d’Amazon sous Macron ne se résume pas à un déploiement inéluctable. Le gouvernement l’a bel et bien encouragé. En janvier 2021, par exemple, le projet de loi finances divise par deux les impôts locaux payés pour les entrepôts de vente en ligne. En outre, les parlementaires de La République en Marche ont mis en échec des amendements à la loi Climat, issus de divers groupes politiques, proposant de mieux encadrer la construction de ces entrepôts.

« Les cadeaux fiscaux, soutiens administratifs et politiques ont permis cette implantation massive et rapide », exposent les Amis de la Terre dans un rapport, « Emploi et e-commerce », paru le 24 mars. « Pourtant, les chiffres sont là. Ils sont accablants et connus des pouvoirs publics : le e-commerce détruit les emplois et les commerces à grande vitesse ».

 

3 800 emplois détruits sur la seule année 2019

 

La création de postes est pourtant l’argument principal des géants du e-commerce. Et il est souvent repris par les élus locaux. « Le maire de Briec a mis en avant dès le début l’attractivité que représentait ce projet, la création d’emplois… » se souvient Catherine Malbranque.

Le problème, c’est que les enseignes du e-commerce oeuvrent sur le même marché que celles de la vente physique, qui tentent de se digitaliser. « Les géants du e-commerce ont une manne supplémentaire, avec des produits en plus. Donc en termes de destruction d’emplois, c’est complètement interconnecté », explique Étienne Coubard. Par exemple, la FNAC vend en ligne les mêmes produits qu’elle présente en magasin. Amazon, Cdiscount ou AliBaba, eux, ont un catalogue extensible, proposant sans cesse de nouveaux produits. De quoi gagner des parts de marché sur les autres acteurs, petits ou grands.

Selon le rapport des Amis de la Terre France, le développement de la vente en ligne aurait ainsi détruit 3 800 emplois dans le commerce en 2019. Il s’agit d’un solde net : les emplois créés ont été soustraits aux emplois perdus.

L’ONG actualise une étude de deux économistes du cabinet Kavala Capital, paru en novembre 2020, dont elle reprend la méthodologie. Selon cette précédente étude, l’e-commerce aurait détruit 82 000 emplois entre 2009 et 2018. Là encore, il s’agit d’un solde net. Le duo d’économistes recensait 114 000 suppressions d’emplois, compensées par quelques embauches dans le e-commerce. Le ratio était alors le suivant : six emplois détruits dans le commerce de proximité, contre un emploi créé dans la vente en ligne.

 

« Plus le commerce en ligne est fort dans un secteur, plus la baisse de l’emploi est marquée »

 

En première ligne de cette perte d’emplois : les petites entreprises. Ceci étant, « les moyennes entreprises sont plus impactées qu’auparavant », révèle les Amis de la Terre au vu des chiffres de 2019. Le schéma est celui d’une « mort lente » selon Étienne Coubard. À savoir : on abaisse d’abord les salaires pour résister à la concurrence des géants du e-commerce, comme Amazon. Puis, on supprime des emplois. Et l’on finit, parfois, par mettre la clé sous la porte. La branche la plus touchée par ces destructions d’emplois ? L’habillement, « avec plus de 4 800 emplois détruits » en 2019.

Ces conclusions recoupent celles d’un rapport paru en février 2021 sur les impacts du commerce en ligne, commandé par le gouvernement. Ce rapport a été conduit par France Stratégie, l’Inspection générale des finances et le Conseil général de l’environnement et du développement durable. Il affirme sans détours : « plus le commerce en ligne est fort dans un secteur, plus la baisse de l’emploi est marquée ».

« Ainsi des destructions d’emploi ont été constatées dans les secteurs du jouet, la chaussure ou l‘habillement, tandis que les créations d’emploi ont été dynamiques dans le commerce de bouche peu concurrencé par ce canal de distribution », explique le rapport. La vente en ligne a un impact plus positif, en revanche, sur les embauches dans la logistique et le transport, affirme ce rapport.

Amazon conteste les accusations de casse de l’emploi. Un rapport produit par le cabinet d’études Oliver Wyman, commandé par la multinationale, nuance la responsabilité du géant du e-commerce. « L’achat de produits en ligne nécessite autant de main d’oeuvre que les achats hors ligne », assure-t-il, au regard du marché sur plusieurs pays européens. Quant à l’impact sur le développement de commerces physiques, les variations « semblent avant tout influencées par le dynamisme démographique et économique local (population, niveau de richesse, importance du tourisme) qui fait l’attractivité des villes », soutient-il.

 

« Et puis, quels types d’emplois ?»

 

« On était au départ sur 100 emplois promis dans l’entrepôt de Briec. Aujourd’hui, on ne parle déjà plus que de 80 emplois… », note Catherine Malbranque. « 80, c’est rien. C’est toujours ça de pris bien sûr, mais on pouvait en faire autrement. Et puis, pour quels types d’emplois ? On sait qu’Amazon a du mal à recruter. Et qu’un CDI en entrepôt ce n’est pas tenable longtemps… »

Dans les entrepôts de logistique, c’est le règne des intérimaires et des contrats courts. Quelques CDI sont à la clé, mais peu de gens s’y maintiennent. Reste le volet livraison. C’est l’autre promesse de l’implantation d’Amazon à Briec : l’embauche de 250 chauffeurs-livreurs.

Ces derniers sont auto-entrepreneurs. « Pour chaque agence de livraison Amazon, c’est à peu près 200-250 livreurs ubérisés. Ils vivent en deça-du niveau de pauvreté, et touchent à peine plus que le RSA », pointe Étienne Coubard. Amazon a construit 27 agences de livraison en France depuis 2017. Soit près de « 6 750 travailleurs pauvres supplémentaires qui n’arrivent pas à finir le mois que la multinationales sème dans toute la France », fustige le responsable de l’ONG.

 

2020, année des plans sociaux face à la concurrence du e-commerce

 

Un « nouveau fait inquiétant » est avancé par la dernière étude des Amis de la Terre. Les grandes enseignes, plus seulement les PME, commencent à être touchées par la baisse de l’emploi. Et ce, après avoir pris virage de la digitalisation. Là encore, il s’agit d’une « mort lente », comme le décrit Etienne Coubard.

En résumé : une grande entreprise recrute pour assurer son virage digital ainsi que la mise en place de son service de livraison. Pour faire face à la rude concurrence des géants du e-commerce comme Amazon, des logiques de rentabilité s’impose très vite. On dégraisse alors la masse salariale… En 2019, « le solde d’emplois créés pour les grandes entreprises a été divisé par 9 par rapport aux années précédentes et se rapproche d’un bilan négatif », écrivent ainsi Les Amis de la Terre.

Surtout, la pandémie est passée par là. « Le covid a été une opportunité pour les grandes entreprises d’appliquer des plans sociaux, qui étaient pensés dès 2019. C’est le cas de Conforama, Camaïeu, Comptoir des Cotonniers… » liste Étienne Coubard.

 

14 projets Amazon en cours de construction ou de prospection

 

L’intensification du e-commerce sous le quinquennat Macron a donc connu un point culminant en 2020-2021. D’un côté, les bénéfices des géants comme Amazon ont été records, avec les confinements. De l’autre, les enseignes historiques ont multiplié les licenciements. Le bilan « risque d’être assez catastrophique : on parle de plans sociaux à 2 000 emplois perdus… » insiste Étienne Coubard.

Mais pour l’heure, les dernière statistiques consultables s’arrêtent à 2019. Le bilan de l’impact des géants du e-commerce sur l’emploi en 2020 et 2021 ne pourra être dressé que fin 2022-début 2023, prévoit le responsable de l’ONG. Affaire à suivre.

D’ici là, 14 projets d’entrepôts Amazon sont en cours d’étude : en Sarthe, à Lyon, à Calais, Perpignan, Montpellier… Même là où des projets s’achèvent, les collectifs citoyens restent vigilants. « Le petit entrepôt de Briec ne fonctionnera que si, dans un rayon de 200 kilomètres, il y a un grand entrepôt. Alors, où pensent-ils en faire un ? », s’interroge Catherine Malbranque.

Les collectifs et ONG espèrent que le prochain quinquennat ouvrira la voie à une meilleure régulation. Aujourd’hui, « le e-commerce est considéré comme de la logisitique, pas comme du commerce. C’est pour cela qu’ils ne sont pas soumis aux mêmes règles. On souhaite mettre fin à cette inégalité de traitement, qui a autant d’impact sur l’emploi et l’environnement » défend Étienne Coubard. « Cela permettrait de réduire l’hémorragie, et de donner un peu d’air aux petites et moyennes entreprises ».

 

Crédits photo : collectif Stop Amazon Briec