faucheurs volontaires état de nécessité

Désobéir au nom de l’« état de nécessité » écologique


Fin mai, la Cour d’appel tranchera sur l’application de l’état de nécessité dans le procès de faucheurs volontaires anti-glyphosate. Cette notion juridique monte en puissance ces dernières années. Des militants comme les faucheurs volontaires ou les décrocheurs de portraits de Macron la convoquent de plus en plus dans leurs procès. Alors, se dirige-t-on vers la reconnaissance d’un état de nécessité face à l’urgence écologique ? La bataille est loin d’être gagnée. 

 

Tout a commencé en 2017, lorsque 21 faucheurs volontaires sont entrés dans trois jardineries pour y repeindre des bidons de pesticides remplis de glyphosate. L’objectif : empêcher leur vente, et alerter sur les dangers des pesticides. La réplique ne s’était pas faite attendre. Le 17 août de cette année-là, les 21 activistes comparaissaient devant le tribunal de Foix pour « détérioration du bien d’autrui en réunion ». Un motif « très classique pour les faucheurs » rappelle Dominique Masset, l’un des 21 personnes concernées.

Plusieurs reports ont eu lieu, notamment pour solliciter la Cour de Justice de l’Union Européenne. Celle-ci a reconnu, en décembre 2019, que « les exigences liées à la réglementation n’étaient pas appliquées par les organismes en charge de la sécurité alimentaire », retrace Dominique Masset. Dans la foulée de cette décision, le procès s’est tenu en mars 2021. Et là, « coup de théâtre ! Le tribunal a relaxé totalement les faucheurs au nom de l’état de nécessité », raconte l’activiste.

L’état de nécessité ? Une notion juridique permettant de légitimer une action illégale, dans la mesure où celle-ci répond à un danger grave et imminent. Les juges sont allés dans ce sens au vu des « défauts dans les méthodes d’évaluation, de l’urgence sanitaire, des dangers que présente l’usage des pesticides… Et du peu de gravité de l’action qui avait été menée », décrit Dominique Masset. Une première, pour les faucheurs.

Depuis, le procureur a fait appel. Le jugement de la Cour d’Appel de Toulouse sera rendu le 30 mai. Dominique Masset espère voir la « belle réussite » de la première instance confirmée.

 

La place grandissante de l’état de nécessité dans les tribunaux

 

Cette notion d’état de nécessité ouvre une nouvelle porte aux activistes écologistes. Au vu des dernières conclusions du GIEC, elle est de plus en plus d’actualité. Se développe « de façon plus intense et plus fréquente ces derniers temps, un répertoire d’actions désobéissantes non violentes face à l’inaction des États au regard des dérèglements climatiques et environnementaux actuels : occupation non autorisée de sites privés ou publics, « démontage » ou détérioration de biens matériels, « hacktivisme » etc » retrace la chercheuse Marie Jadoul, doctorante au Centre de Philosophie du Droit de l’Université Catholique de Louvain, en Belgique, dans la Revue de droit pénal et de criminologie

Ces actions « recherchent leur justification dans la réponse qu’elles veulent obtenir, quitte à provoquer ce que l’on appelle en droit pénal l’état de nécessité, concept destiné à commettre une infraction justifiée par une situation d’urgence pour protéger un intérêt particulier », décrypte l’avocat au barreau de Paris Christian Huglo, dans La pensée écologique

Les exemples récents se multiplient. En décembre 2021, le tribunal de Perpignan relaxe un faucheur sur la base de l’état de nécessité. Celui-ci avait participé à une opération de fauchage de tournesols génétiquement modifiés. Cette fois-ci, il n’y a pas eu d’appel. 

D’autres groupes militants mobilisent ce motif. C’est le cas de Greenpeace, suite à une intrusion sur la centrale nucléaire du Tricastin pour en dénoncer la vétusté, en février 2020. Leur avocat avait plaidé la relaxe au nom de l’état de nécessité, et de la liberté d’expression.

Les décrocheurs de portraits d’Emmanuel Macron dans les mairies sont aussi en première ligne. En septembre 2019, la relaxe totale d’un groupe d’activistes, au nom de l’état de nécessité, a été retentissante. « Dans nos tout premiers procès, en 2019, on plaidait surtout l’état de nécessité. C’était la principale piste envisagée par nos avocats », se souvient Rémi Donaint, porte-parole d’Alternatiba-ANV-COP21. « Il s’agissait de faire avancer la reconnaissance de l’état d’urgence climatique et écologique dans le droit ».

 

« Chaque fois qu’il y a des ouvertures, il y a des retours de bâtons »

 

Mais la suite de la procédure est plus décevante pour les décrocheurs. Après une première instance favorable, ces derniers ont été condamnés en appel. L’affaire a été portée en Cour de Cassation. Là encore, celle-ci a rejeté le recours à l’état de nécessité. La bataille autour de cette notion juridique reste donc loin d’être gagnée. « Comme toujours, chaque fois qu’il y a des ouvertures, il y a des crispations, des retours de bâton », estime Dominique Masset.

Fin mai, la Cour d’appel tranchera sur l’application de l’état de nécessité dans le procès de faucheurs volontaires anti-glyphosate. Cette notion juridique monte en puissance ces dernières années. Des militants comme les faucheurs volontaires ou les décrocheurs de portraits de Macron la convoquent de plus en plus dans leurs procès. Alors, se dirige-t-on vers la reconnaissance d’un état de nécessité face à l’urgence écologique ? La bataille est loin d’être gagnée.

Le 11 mai 2022, trois faucheurs volontaires ont écopé de condamnation très lourdes. Trois mois de prison avec sursis, 3 000 euros d’amende, et 400 000 euros de dommages et intérêts. Leur procès (qui avait eu lieu le 30 mars) a été difficile à vivre. Voire incompréhensible. « Nous, les prévenus, on n’a pas pu parler. L’avocat n’a pas pu nous adresser la parole. La juge a interrompu les témoins – des apiculteurs, des scientifiques… Les prévenus ont fini par quitter la salle. Puis le public, et l’avocat », s’indigne Jean-Claude Julien, l’un des trois faucheurs condamnés. 

« La défense de la biodiversité et du monde paysan, c’est une guerre, une guerre de basse intensité. Et dans cette guerre, les lobbies de l’agro-industrie sont en train de monter en pression », décrit Jean-Claude Julien. Pour lui, nous vivons un « point de bascule, avec la mise en place de nouvelles biotechnologies particulièrement nocives. Avec la Confédération Paysanne et d’autres groupes militants, on sait qu’il faut monter en puissance ».

 

Liberté d’expression ou état de nécessité : un outil juridique à inventer

 

Mais comment ? « À l’heure actuelle, les gens pensent qu’il n’y a plus d’OGM en France, ce qui est complètement faux. Il faut mener la bataille de l’opinion publique. Mais aussi des actions juridiques », soutient Jean-Claude Julien. 

Le problème, c’est que la notion d’état de nécessité n’a pas été pensé, à l’origine, pour le domaine environnemental. « Il manque quelque chose dans notre droit. C’est pour cela que les avocats demandent aux tribunaux d’oser l’innovation, de reconnaître un état de nécessité climatique. C’est ce que certains ont osé », analyse Rémi Donaint. Mais chez les professionnels du droit, une telle application fait plus que jamais débat. Pour l’heure, « la jurisprudence obtenue en matière climatique sur la question de l’état de nécessité reste fragile », décrypte l’avocat Christian Huglo. 

Aujourd’hui, en raison de cette fragilité, Alternatiba et ANV-COP21 tente davantage de jouer sur la notion de liberté d’expression. Celle-ci « reprend des mécanismes assez proches de l’état de nécessité », constate Rémi Donaint. « Il s’agit de reconnaître que l’on participe à un débat d’intérêt public ».

Ce mercredi 18 mai, la Cour de Cassation rendra sa décision sur le procès de 12 décrocheurs de portraits, dans laquelle l’enjeu de liberté d’expression sera central. « Indéniablement, les notions d’état de nécessité et de liberté d’expression ont le vent en poupe dans les affaires concernant des actes de désobéissance civile commis dans un contexte d’urgence écologique et feront encore parler d’elles », conclut Marie Jadoul.