Algérie

Algérie : le problème c’est le système, pas le candidat


 

Malgré les manifestations monstres qu’a connu l’Algérie depuis deux semaines, Abdelaziz Bouteflika a déposé sa candidature dimanche 3 mars pour les élections présidentielles. Rachid Malaoui, le président de la Confédération générale autonome des travailleurs en Algérie (CGATA), de passage en France, a répondu aux questions de Rapports de force sur la situation politique en Algérie avant la prochaine marche de vendredi.

 

 

Dans les manifestations, les Algériens crient : « système dégage ». De quel système parlent-ils ? Qui détient le pouvoir en Algérie ?

Le pouvoir algérien, depuis sa création en 1962, ce sont les hommes qui portent les armes : la police et l’armée. Au moment de l’indépendance, l’armée a pris le pouvoir et l’a tenu jusqu’à la mort de Boumediene, puis encore lors de la période de Chadli. Ils ont gouverné et ont laissé des gens constituer un pôle d’argent en utilisant la corruption. La révolte d’octobre 1988 à l’époque de Chadli prend sa source dans la crise économique et l’écroulement des prix du pétrole. Un clan dans le FLN voulait alors réformer le système du parti unique socialiste en un système d’économie libérale, mais toujours avec un parti unique. Cela afin qu’ils puissent prendre plus d’argent. J’étais étudiant à ce moment-là et j’ai été arrêté et torturé.

En 1991, des élections législatives libres se tiennent pour la première fois. C’est le FIS, le parti islamique qui a gagné. Les militaires sont revenus par un coup d’État et l’installation de l’État d’urgence. L’armée dirige directement le pays. Elle ramène de son exil Mohamed Boudiaf (un des chefs de la guerre d’indépendance – NDLR) avant qu’il soit tué. En 1999, le clan militaire a rappelé Bouteflika pour les élections présidentielles. Il y avait 6 candidats, mais ils se sont retirés au dernier moment ayant été informés que les élections seraient truquées.

Bouteflika seul candidat est élu. Ne pouvant rien faire sans les militaires, il a divisé le clan de l’armée en éliminant certains au profit d’autres. Il voulait avoir des militaires qui lui obéissent plus que ceux qui l’avaient ramené, et qu’il a évincé. C’est toujours l’armée qui gouverne, mais avec d’autres personnes. Il a continué à créer son système dans l’armée, dans les services, dans le parti FLN, dans la société civile, chez les patrons et dans les syndicats. Il a créé son propre clan en se faisant beaucoup d’ennemis dans les anciens clans. Il a gardé les médiocres et imposé une obéissance totale : un royaume. L’injustice et la corruption ont continué ainsi jusqu’à maintenant.

 

 

De notre côté, nous avons toujours lutté, mais les défenseurs des droits, les journalistes, ceux qui dénoncent la corruption, les blogueurs ont été envoyés en prison et les syndicalistes licenciés. Au moment des printemps arabes, la société civile et notre syndicat sont descendus dans la rue, mais le pouvoir a utilisé la corruption. Il a donné de l’argent aux jeunes, quatre milliards pour l’emploi, et a promis des réformes. L’opposition et les partis politiques ont été opportunistes en négociant avec le pouvoir, et les gens ont compris après qu’ils avaient été trahis.

 

Les élections de 2019 sont-elles truquées ? Y a-t-il une opposition politique dans cette course électorale ?

Il n’y a pas d’opposition. En dehors de Bouteflika, ceux qui ont déposé leur candidature à l’élection présidentielle veulent changer le président sans changer le système. Ce sont des marionnettes qui n’ont pas participé aux marches avec le peuple. Parmi les candidats, il y a un général soutenu par un clan et l’ancien président de l’Assemblée populaire nationale (APN) écarté il y a trois mois. Il y a cependant des gens qui ont refusé de se présenter ou qui se sont retirés comme le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) ou le Front des forces socialistes (FFS) qui ont participé aux marches et sont influents en Kabylie. Il y a également le parti d’un ex-chef du gouvernement et deux ou trois partis islamiques soi-disant modérés. Ils ont des militants et une audience dans la société, mais pour la plupart, ils n’ont pas été des militants de la rue : un parti islamique a participé au gouvernement depuis 1992. En réalité, c’est le peuple qui est majoritaire, pas les partis.

Le problème c’est le mécanisme, ce n’est pas le candidat. C’est toujours la même commission électorale qui surveille et le ministère de l’Intérieur qui organise : un des deux va trafiquer le scrutin. Ce que nous voulons, c’est une commission indépendante comme en Tunisie. Que ce soit la société civile qui prépare, contrôle et gère les élections à la place du ministère de l’Intérieur. Il faut du temps pour que tous les candidats déposent leur dossier et fassent la campagne électorale avec la possibilité de faire des meetings, pour que la télévision et la presse soient équitables avec tous. Mais les deux clans au pouvoir n’ont pas intérêt à voir ce mécanisme se mettre en place. Au mieux, ils veulent seulement changer le candidat, pas le système.

 

Quand on parle de société civile, de quoi parle-t-on en Algérie ?

Ce sont les syndicats indépendants du syndicat officiel inféodé au pouvoir, les associations de droits de l’homme, les journalistes, les avocats qui ont dénoncé la corruption. Malgré la répression pour empêcher les manifestations, ils ont résisté jusqu’à maintenant. Ils sont au sein de la société et leur travail depuis des années a alimenté la conscience du peuple sur la réalité du pouvoir et le danger qu’il représente pour l’Algérie et la population.

Les structures historiques liées au pouvoir sont devenues faibles et sans légitimité, que ce soit le parti FLN ou le syndicat. Mais il n’y a pas d’élections syndicales, c’est le pouvoir qui impose et finance le syndicat officiel. Nous n’avons ni élections libres du parlement ou du président ni élections syndicales pour dire qui est majoritaire.

 

La candidature d’Abdelaziz Bouteflika a été déposée le 3 mars en annonçant des élections anticipées sans lui dans un an. Que va-t-il se passer maintenant ?

Depuis une semaine, les étudiants sortent dans la rue, mais toutes les catégories professionnelles sont impliquées et sortent à leur tour : étudiants, médecins, avocats, etc. À la fin de la semaine, tout le monde descendra pour la marche. Pour le moment, nous sommes bloqués, mais le combat continu. Il faut que la société civile internationale communique parce que nous allons à l’affrontement si le pouvoir ne renonce pas. Nous voulons changer le système et eux ne veulent changer que l’homme au pouvoir. C’est aussi le souhait d’un clan dans l’opposition à Bouteflika qui ne veut que le remplacement du président.

Nous ne sommes pas là pour prendre le pouvoir, mais pour libérer le mécanisme de la démocratie. Nous voulons notre autonomie et notre indépendance, le droit de créer des syndicats sans autorisation préalable et des élections syndicales pour déterminer qui est représentatif. La seule solution pour le syndicalisme indépendant ou pour les associations c’est de changer le système, ce n’est pas d’être accepté par le pouvoir. Pour vendredi prochain, le 8 mars, les femmes ont aussi appelé à la marche. Mais la question difficile qui va se poser maintenant est : qu’allons-nous faire après les marches ?

 

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