Gnassingbé

Togo : l’opposition manifeste depuis trois mois pour exiger le départ de Gnassingbé

 

Depuis le mois d’août, un mouvement populaire de contestation contre le régime en place secoue le Togo. Le population réclame le départ du président Faure Gnassingbé. A la tête de l’État depuis douze ans, il succède à son père, le feu général Eyadéma Gnassingbé, qui avait dirigé le pays pendant trente-huit ans. Koffi, un étudiant togolais en sociologie, exilé en France, a bien voulu répondre à nos questions sur cette mobilisation inédite.

 

Dix-neuf août 2017 : des dizaines de milliers de Togolais descendent dans la rue. Ils répondent à l’appel d’un jeune parti, le Parti National Panafricain (PNP), autour de deux principales revendications : le retour à la Constitution de 1992, qui fixe à deux le nombre maximum de mandats présidentiels, et le vote de la diaspora. Suite à cette mobilisation spectaculaire, la « Coalition des Forces démocratiques » se forme, rassemblant quatorze partis de l’opposition. Depuis, les manifestations se succèdent et la contestation ne faiblit pas.

Ce petit pays d’à peine 8 millions d’habitants, enserré entre le Ghana et le Bénin, est dirigé depuis 50 ans par la même famille. Arrivé au pouvoir suite à un coup d’État en 1967, le général Eyadéma Gnassingbé a régné d’une main de fer sur le pays jusqu’à sa mort en 2005. C’est alors son fils Faure Gnassingbé qui accède au pouvoir. Il effectue actuellement son troisième mandat présidentiel, et envisage de rester durablement à la tête du pays. Koffi, étudiant togolais en sociologie actuellement en France, nous donne quelques éclairages sur la situation.

 

Pourquoi la population du Togo descend-elle dans la rue depuis trois mois  ?

La population aspire avant tout au départ de Faure Gnassingbé et à une alternance politique. D’où l’exigence du retour à la Constitution de 1992, limitant à deux le nombre de mandats présidentiels successifs. Ainsi que le vote diaspora, qui est largement opposée au régime, beaucoup étant partis du Togo pour des raisons politiques ou économiques.
Les gens sont fatigués de vivre dans la misère, pendant que la minorité au pouvoir s’accapare les richesses et ne cherche qu’à se maintenir par la force. Le niveau de vie est très bas. La situation continue à empirer avec davantage de chômage et de pauvreté. L’éducation, la santé, tous les services publics manquent cruellement de moyens. Les hôpitaux sont dans un état déplorable, certains n’ont même pas accès à l’eau potable ! D’ailleurs, différents syndicats de la fonction publique ont récemment appelé à la grève.

 

Quelle est l’ampleur de la mobilisation ?

Ce qui est spectaculaire, c’est que le mouvement s’étend massivement sur tout le territoire du Togo ! Jusqu’alors, le pouvoir avait su susciter des divisions ethniques et régionalistes pour se maintenir. On n’a jamais vu une mobilisation de cette ampleur depuis le mouvement de 1992, qui avait débouché sur la réforme de la constitution. Ce ne sont pas seulement les adhérents à tel ou tel parti qui sont dans la rue, mais bien toute la population ! Et la contestation ne faiblit pas, avec un calendrier de manifestations très resserré, malgré une répression féroce. La détermination est très forte, et les Togolais semblent avoir repris confiance quant à leur possibilité de se mobiliser pour de réels changements politiques et sociaux. La diaspora, également mobilisée, était aussi dans les rues à Paris le 25 novembre, avec les responsables de la coalition : Jean-Pierre Fabre, Tikpi Atchadam, et Kafui Adjamagbo.

 

Quels sont les appuis du pouvoir pour se maintenir ?

L’armée est un soutien indéfectible au pouvoir en place. Le général Eyadéma Gnassingbé a accédé au pouvoir par un coup d’État en 1967 et s’y est maintenu avec les militaires. Faure Gnassingbé, son fils, a su également s’entourer de généraux qui lui sont favorables. Certains étaient déjà redevables à son père, et à la mort de ce dernier, ce sont eux qui ont fait allégeance à Faure Gnassingbé.
Depuis le début de la mobilisation, des militaires hauts gradés soupçonnés d’une possible trahison ont été évincés afin d’écarter tout risque de contestation dans l’armée. Par ailleurs, les militaires proches du pouvoir ont souvent un passé que dénonce l’opposition. En cas de changement de régime, ils craignent d’être condamnés. Et puis ils sont bien financés, ils ont donc intérêt au maintien du régime.
C’est par un système de collusion d’intérêts avec ses appuis que le pouvoir tient. Les grandes multinationales y participent également. Par exemple, de grandes firmes, notamment françaises, sont présentes dans les secteurs agricole, pétrolier, portuaire et beaucoup d’autres. Ces entreprises, telles que Bolloré et Total, ont une grande influence politique. Ceci peut expliquer pourquoi on ne parle pas beaucoup de la situation politique au Togo dans les médias français. Par exemple, le groupe Bolloré est très présent dans le secteur de la presse et de la production audio-visuelle en France.

 

Comment réagit le gouvernement ?

Le gouvernement a d’abord réagi en interdisant les marches en semaine pour éviter un blocage de l’économie. Mais comme l’opposition les a maintenues, la répression a été féroce avec de nombreuses personnes arrêtées, blessées et tuées ! La violence est particulièrement forte dans la région du Nord, considérée par le pouvoir comme son fief. Des villes sont assiégées par les militaires, ils interviennent même dans les maisons. Certains opposants ont pris la fuite vers le Ghana.
Des miliciens proches du parti au pouvoir opèrent également, parfois aux côtés des militaires et des gendarmes. Ils interviennent avec des 4×4 banalisés, non immatriculés, ils sont cagoulés, ont des armes, et entrent dans les maisons, battent les gens, tirent des gaz lacrymogènes jusque dans les chambres.
Faure Gnassingbé essaie également de jouer sur des divisions politiques, ethniques ou religieuses. Certains discours visent par exemple à diviser le PNP et la coalition CAP15 dirigée par Jean-Pierre Fabre. Comme Tikpi Atchadam est musulman, le gouvernement a aussi misé sur la fibre anti-terroriste pour discréditer le PNP et l’assimiler à un parti djihadiste, financé par des islamistes.

 

Cette stratégie du pouvoir déstabilise-t-elle l’opposition ?

Dans le temps, des coalitions d’opposition ont tenté de se monter, mais n’ont pas duré à cause de divergences idéologiques, stratégiques, ou de l’ego de certains opposants qui avaient l’ambition de briguer la magistrature suprême. Cette fois-ci, l’opposition semble résolue à rester unie jusqu’à l’obtention des réformes et du départ de Gnassingbé, immédiatement ou au plus tard en 2020.
Dernièrement, des délégations des pays de la sous-région, notamment du Ghana et de la Côte d’Ivoire, ainsi qu’Alpha Condé, président de l’Union Africaine, sont venues pour tenter l’ouverture d’un dialogue. Mais l’opposition refuse de dialoguer pour dialoguer. Depuis 2002, il y a eu des tentatives, des accords de politique globale ont même été signés pour pouvoir arriver à des réformes institutionnelles et constitutionnelles, notamment avant les élections de 2010. Mais ils n’ont jamais été suivis d’effet.
L’opposition est prête à accepter un dialogue, mais demande des garanties et le départ de Gnassingbé au plus tard à la fin de son mandat. Ce qui est sûr, c’est que Gnassingbé tentera tout pour rester au pouvoir. Mais la pression de la population reste forte.