Après la trêve du week-end de l’Ascension, les organisations lycéennes appellent de nouveau à manifester lundi 17 mai. Déclenché par la décision de maintenir les épreuves du bac comme si de rien n’était, le mouvement a peu à peu pris de l’ampleur dans la jeunesse. Pourtant, il se heurte à une répression à la fois policière et administrative.
Situation banale à Toulouse ce mercredi 12 mai : Ambre a 18 ans et sort de garde à vue pour avoir voulu bloquer son lycée. Le matin même, la jeune toulousaine fraîchement syndiquée à la CGT SELA 31 (syndicat étudiant, lycéen, apprenti) rassemble des poubelles devant l’entrée du lycée Marcelin Berthelot pour protester contre le maintien d’une partie des examens terminaux du bac.
Dans la ville, le lycée d’Ambre est le seul à avoir réussi son blocage les jours précédents mais, cette fois-ci, l’administration ne l’entend pas de cette manière. Les lycéens se retrouvent à défendre physiquement leur blocus et tentent de maintenir en place les poubelles, que plusieurs membres de l’administration ont décidé de déplacer.
Il n’en faut pas plus pour susciter une intervention policière. La lycéenne se retrouve seule placée en garde à vue pour « violences en réunion avec arme par destination (les poubelles ndlr) sur personnes chargées d’une mission de service public et outrages ». Trois plaintes ont été déposées contre elle, dont une par la proviseure adjointe.
Un mouvement qui prend de l’ampleur
Depuis le lundi 3 mai, un mouvement national, déclenché à l’appel de plusieurs syndicats lycéens, a entraîné le blocage de centaines d’établissements. « Le mouvement a pris de l’ampleur peu à peu, le lundi nous avions compté environ 200 lycées bloqués en France, le vendredi c’était 400 », raconte Élie Saget, vice-président de l’Union Nationale Lycéenne (UNL).
Les concessions de Jean-Michel Blanquer, qui, en milieu de semaine, aménage un peu les épreuves de philosophie et du grand oral du bac, ne mettent pas fin à la contestation. « Nous sommes loin d’être entendus sur l’entièreté de nos revendications et les BTS, les lycées professionnels et hors contrats ont été oubliés », dénonce Élie Saget. Pour le syndicaliste lycéen, c’est à ce moment-là que les interventions policières se multiplient : « Nous sommes traités comme tous les autres mouvements sociaux et, quand le gouvernement estime que nos revendications ne sont plus légitimes, il nous envoie la police. »
« Une caractéristique du gouvernement Macron »
L’image des élèves de Mantes-la-Jolie, à genoux mains derrière la tête, surveillés par des policiers, et la phrase de l’un d’eux : « voilà une classe qui se tient sage », marquent l’entrée dans une séquence politique où le lycéen mobilisé n’est plus seulement un élève, mais un agitateur à réprimer. À cette époque, les mouvements lycéens se multiplient, en écho au mouvement des gilets jaunes, et demandent le retrait des réformes en cours, ou fraîchement mises en œuvre : réforme de l’accès à l’université et du bac. « Depuis le mouvement lycéen de décembre 2018, on a constaté une explosion des violences policières. C’est une caractéristique du gouvernement Macron », note Élie Saget.
Louis, étudiant en BTS et syndicaliste à la SELA CGT 31, le syndicat d’Ambre, note un changement de politique : « Lorsque je me suis politisé, au moment des manifestations contre la loi El Khomri en 2016, les policiers n’intervenaient pas à tout va dans les établissements, c’était mal vu par l’administration et par les enseignants. »
De fait, depuis lors, il n’est plus rare de voir des policiers débloquer des établissements scolaires manu milltari, voire à grand renfort de gaz lacrymogène ou même de tirs de LBD. Ce, au-delà des établissements historiquement militants des grandes agglomérations.
Police, administration, même combat ?
Ambre sort finalement à 15 h 30 du commissariat, l’enquête dont elle fait l’objet est confiée à la sûreté départementale. Des lycéens et syndicalistes venus faire le piquet en soutien l’applaudissent. Un cas à part, propre au fait que la jeune femme soit syndiquée. Les lycéens arrêtés en marge des blocus se retrouvent souvent seuls face à leurs parents à la sortie du commissariat… et sont rarement applaudis.
Dans la presse locale, le secrétaire général de l’UD CGT de Haute-Garonne, Cédric Caubère, dénonce des accusations de violences « complètement fantasmées » ayant pour but « de faire rentrer dans le rang la jeunesse qui tente de s’exprimer. » Il s’interroge aussi sur le rôle des adultes qui sont allés « à la confrontation avec ces lycéens au lieu de débattre, de discuter, d’échanger sereinement avec eux ».
Tout comme les actions de la police, les réactions des chefs d’établissements aux mouvements lycéens sont bien moins compréhensives qu’auparavant. « Organiser un blocus aujourd’hui, c’est s’exposer à de nombreuses pressions en amont et des risques de répression après coup », explique Louis du SELA 31. « En décembre 2018, à Toulouse, des chefs d’établissements avaient d’ailleurs tenté de monter des listes noires d’élèves bloqueurs », rappelle un syndicaliste local.
Les mots du proviseur du lycée Berthelot, rappellent d’ailleurs ceux utilisés par Jean-Michel Blanquer pour qualifier les enseignants en lutte. Ce dernier parle de : « coup de force » intenté par « une dizaine de lycéens ultra-minoritaires qui donnerait « une image déplorable de l’établissement ».
Suites du mouvement
Alors que le week-end de 4 jours est venu marquer une pause dans la bataille des lycées, l’UNL et d’autres organisations lycéennes appellent à nouveau à manifester lundi 17 mai.
« La répression soude les lycéens entre eux. Dans mon lycée de Grenoble, on s’est fait gazer lundi dernier, le lendemain on était deux fois plus nombreux à bloquer. Il est possible que la répression ravive la mobilisation », assure Élie Saget de l’UNL.
À Toulouse, où la mobilisation lycéenne peine à prendre, ce n’est pas nécessairement la répression qui arrêtera le mouvement. « La mobilisation lycéenne est très peu visible dans les médias, les lycéens sont faiblement organisés et les examens de fin d’année arrivent», analyse Louis. Des conditions qui, ajoutées à la crise sanitaire, rendent la lutte toujours ardue.
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