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Reprise de l’A69 : « les pouvoirs publics s’assoient sur les principes démocratiques »

Au cœur d’une lutte devenue majeure pour le mouvement écologiste, le chantier de l’A69, un temps suspendu par la justice, pourrait reprendre prochainement. Pour vous aidez à y voir clair dans les rebondissements judiciaires et manœuvres parlementaires de ces derniers jours, Rapports de Force fait le point. Et éclaire les perspectives de mobilisation.

Ce fut une journée de basses manoeuvres à l’Assemblée nationale. Lundi 2 juin, un texte de loi devait être discuté afin de valider les autorisations environnementales liées au projet d’autoroute entre Castres et Toulouse, l’A69, et ainsi relancer un chantier vivement contesté depuis plus de deux ans. Or, le texte a été rejeté par ceux-là même qui l’avaient proposé, afin d’être renvoyé directement en commission mixte paritaire où il a toutes les chances d’être adopté. Une façon de contourner le débat parlementaire, donc de passer en force, estiment les détracteurs du projet.

« On assiste à une déliquescence complète des institutions de la République. On voit bien que les dispositifs parlementaires sont utilisées à l’inverse de ce qui est censé être fait dans notre démocratie », fustige Jean Olivier, responsable de la branche Midi-Pyrénées de l’association Amis de la Terre France. « Après la loi Duplomb, les macronistes, la droite et l’extrême droite continuent d’essayer de dévoyer la procédure parlementaire pour enjamber l’Assemblée nationale et poursuivre dans le huis clos d’une commission mixte paritaire », a réagi de son côté auprès de Mediapart la députée LFI Anne Stambach-Terrenoir. Son groupe s’apprête à saisir le Conseil constitutionnel, « pour détournement de procédure remettant en cause la sincérité des débats et le droit d’amendement ».

Cette proposition de loi représentait déjà en elle-même une forme de contournement démocratique. En effet, elle avait été déposée par Jean Terlier, député Renaissance de la troisième circonscription du Tarn, dans la foulée d’un jugement rendu le 27 février par le tribunal administratif de Toulouse. Ce jugement suspendait le chantier de l’A69. Il mettait en avant son illégalité, et constituait une victoire majeure pour les collectifs, syndicats et associations écologistes mobilisés.

Le texte de loi, dit de validation, est un outil rarement utilisé pour vider le contentieux de sa substance, en validant rétroactivement toutes les autorisations environnementales et ainsi empêcher tout arrêt du chantier. Il tente d’imposer la reconnaissance d’une « raison impérative d’intérêt public majeur » au projet de l’A69, seule condition acceptable pour porter atteinte à l’environnement – une reconnaissance rejetée en bloc par le tribunal administratif de Toulouse. « La justice renvoyait au principe de précaution qui se trouve dans notre Constitution. Elle avait pris là une décision significative pour la plupart des projets inutiles imposés, qui pourraient eux aussi subir le même sort », rappelle Jean Olivier. Mais en face, « les pouvoirs publics bétonnent tout, écrasent tout », déplore-t-il. « Ils s’assoient sur les principes démocratiques parce qu’ils veulent tout faire pour que cette autoroute voit le jour. Pour nous épuiser aussi, en nous démontrant qu’appliquer le droit ne suffira pas pour faire annuler ce type de projets. »

Le revers de ces derniers jours n’est pas que politique : il est aussi judiciaire. Il y a une semaine, le 28 mai, la Cour administrative d’appel de Toulouse a suspendu le jugement rendu en première instance par le tribunal administratif de Toulouse. Il s’agit d’un sursis exécutoire, permettant la reprise des travaux – bien que sur le fond, la Cour d’appel doive encore se prononcer sur la légalité ou non de la construction. Le ministre des Transports pousse pour une reprise de ces travaux dès la mi-juin. Des rassemblements ont eu lieu le soir même du 28 mai dans plusieurs villes de France.

La veille d’un week-end prolongé, « cela démontre une envie de ne pas laisser faire », croit Jean Olivier, des Amis de la Terre France. Certes, cette suspension après la victoire de février a eu « un effet un peu étourdissant. Encore plus avec ce qu’il s’est passé hier à l’Assemblée : c’est tellement à contresens, difficile à comprendre pour beaucoup de gens… Mais j’ai tendance à penser qu’une fois que tout sera rendu compréhensible, les gens ne vont pas laisser passer ».

Rendez-vous est donné pour une mobilisation sur trois jours, du 4 au 6 juillet. Initialement, cette date avait été pensée comme « une fête de victoire. Forcément, cela prend aujourd’hui une dimension différente », retrace Jean Olivier. L’objectif va être de montrer « que l’on reste unis dans la remobilisation, que nous n’en sommes pas au dernier rebondissement. C’est utile de se retrouver, d’occuper le terrain. »

Les collectifs, syndicats et associations engagées contre l’A69 disposent encore d’un peu moins de dix jours pour saisir le Conseil d’État suite à la décision de la Cour administrative d’appel de Toulouse. Si beaucoup pensent que les Sages pourraient réhabiliter les arguments avancés dans la décision prise en première instance, d’autres craignent une mauvaise jurisprudence. La décision de saisir ou non le Conseil d’État est donc encore en discussion actuellement.

Quoi qu’il en soit, aux côtés d’autres organisations écologistes (France Nature Environnement, Groupe national de surveillance des arbres…), les Amis de la Terre France n’abandonnent pas le terrain judiciaire. Trois plaintes au pénal sont actuellement examinées par un juge d’instruction. La première plainte vise la « destruction de biodiversité en bande organisée ». La deuxième, le risque d’inondation sur plus de 500 mètres d’autoroute, « au sujet duquel nous avons pu démontrer que les études et plans d’inondations avaient été falsifiés pour dissimuler ce risque », explique Jean Olivier (voir cette enquête de Mediapart sur les nombreuses irrégularités).

Enfin, la troisième vise une « prise illégale d’intérêt et trafic d’influence » : alors que le tracé de l’A69 passait initialement sur les terres d’un élu local, le maire de Maurens-Scopont, celui-ci aurait fait modifier le tracé, grâce à des intermédiaires. Parmi ces intermédiaires : Jean Terlier, le fameux député du Tarn à l’origine du texte de loi discuté hier à l’Assemblée nationale. Avocat de profession, celui-ci serait en charge des intérêts de la famille du maire de Maurens depuis 2012, selon France 3.

Pour rappel, outre les considérations écologiques – artificialisation des sols, destruction de la biodiversité, atteinte aux nappes phréatiques… -, l’utilité même de l’A69 questionne. Ses opposant•es font valoir que le gain de temps sur le trajet Toulouse-Castres serait minime (12 minutes selon eux, 25 selon les constructeurs) puisque le trajet de l’autoroute est quasiment parallèle à celui de l’actuelle RN 126.