droit de manifestation

Guérilla judiciaire et parlementaire pour un retour au droit de manifestation


 

Dans le prolongement de la décision du Conseil d’État invalidant l’interdiction de rassemblement de plus de 10 personnes sur la voie publique, le Sénat a rejeté une nouvelle limitation au droit de manifestation incluse dans le projet de loi du gouvernement devant remplacer l’état d’urgence sanitaire après le 10 juillet. D’ici la fin du processus parlementaire, le Conseil d’État doit encore se prononcer sur le décret du 14 juin qui donne un pouvoir accru aux préfets.

 

Le gouvernement cherche-t-il à limiter la contestation de sa politique dans la rue ? Il n’est pas complètement déraisonnable de le penser au regard des contradictions entourant ses décisions. L’interdiction de rassemblement de plus de 10 personnes sur la voie publique prise fin mars, en même temps que de nombreuses autres limitations de déplacements ou d’activités, a été une des rares à ne pas être levée à l’occasion des deux phases de déconfinement des 11 mai et 2 juin.

Ainsi, la limitation de déplacement de 100 km a pris fin au mois de mai. Il en est de même en juin pour celle de voyager au-delà des frontières. Dès le 1er juillet, il sera possible de partir ou revenir de nombreuses destinations à travers le monde. Sur le territoire français, toutes les activités ont maintenant repris. L’école est redevenue obligatoire pour tous. Pour se faire, les obligations de distanciation physique ont été allégées. Les salles obscures ouvrent le 22 juin. Les bars, les restaurants, comme l’ensemble des lieux d’hébergements sont déjà ouverts. Ce 23 juin, c’est au tour du protocole sanitaire dans les entreprises d’être atténué.

Mais malgré qu’il soit maintenant attesté que les plus grands risques de contamination résident dans les espaces clos – la localisation des clusters depuis le 11 mai en témoigne – les rassemblements à l’air libre sont encore soumis à une forte volonté de restriction. D’où les suspicions sur les réelles intentions du gouvernement.

 

Interdiction, autorisation, interdiction !

 

C’est en tout cas la lecture qu’en font un certain nombre d’organisations syndicales et d’associations. Le 3 juin, le syndicat des avocats de France, le syndicat de la magistrature, la CGT, la FSU et Solidaires intentent une procédure devant le Conseil d’État pour contester le 1 de l’article 3 de l’état d’urgence sanitaire qui interdit les rassemblements de plus de 10 personnes sur la voie publique. Ils obtiennent gain de cause le 13 juin devant la haute autorité administrative qui considère cette atteinte à une liberté fondamentale comme disproportionnée au regard de la situation sanitaire.

Le gouvernement s’exécute, mais publie un nouveau décret le lendemain, le dimanche 14 juin : « tout rassemblement, réunion ou activité sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public, mettant en présence de manière simultanée plus de dix personnes, est interdit sur l’ensemble du territoire de la République. Lorsqu’il n’est pas interdit par l’effet de ces dispositions, il est organisé dans les conditions de nature à permettre le respect des dispositions de l’article 1er. » Le nouveau cadre réglementaire prévoit dans un 2 bis : « par dérogation […] les cortèges, défilés et rassemblement de personnes […] sont autorisés par le préfet de département si les conditions de leur organisation sont propres à garantir le respect des dispositions de l’article 1er du présent décret ».

Pas franchement un retour à la normale pour ce droit fondamental, d’autant que le gouvernement ajoute : « les organisateurs de la manifestation adressent au préfet du département […] la déclaration […] assortie des conditions d’organisation mentionnées à l’alinéa précédent. Cette déclaration tient lieu de demande d’autorisation. » Un changement majeur puisqu’il inverse le principe d’autorisation comme norme et d’interdiction comme exception, dénoncent ses détracteurs. Le Conseil d’État est de nouveau saisi par les mêmes organisations, auxquelles se joignent l’association Droit au logement, l’Unef et Force ouvrière. L’audience est programmée le lundi 29 juin.

 

Du Conseil d’État au parlement

 

Au-delà du décret du 14 juin dont la validité ne dépasse pas le 10 juillet, date de la fin de l’état d’urgence sanitaire, le gouvernement souhaite prolonger jusqu’à la fin du mois d’octobre des restrictions au droit commun sur les manifestations. Un projet de loi voté par l’Assemblée nationale en première lecture le 17 juin donne au Premier ministre la possibilité par décret de « réglementer les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature ». Il pourra ainsi « soumettre à autorisation au regard de la mise en œuvre des mesures barrières destinées à lutter contre l’épidémie de covid ‑19 les manifestations sur la voie publique ».

Avec cet article, le décret contesté du 14 juin qui instaure un nouveau régime d’autorisation pour les manifestations est transposé dans le nouveau projet de loi. Étonnamment, c’est le Sénat, dominé par la droite parlementaire, qui a rejeté cette disposition. Il supprime le régime d’autorisation préalable des manifestations du projet de loi de « sortie de l’état d’urgence sanitaire ».

Est-ce pour autant la fin des restrictions au droit de manifestation ? Rien n’est moins sûr. Une commission mixte paritaire composée de députés et de sénateurs doit se réunir jeudi 25 juin pour tenter une harmonisation entre les deux versions du projet de loi votées par les deux chambres. En cas d’échec, une nouvelle lecture à l’Assemblée et au Sénat sera nécessaire. Pour autant, le dernier mot revenant à l’Assemblée nationale où le gouvernement détient la majorité, l’article limitant le droit de se rassembler pourrait être maintenu. À moins que la décision du Conseil d’État le 29 juin ne vienne compliquer encore la volonté du pouvoir de garder la main sur les contestations sociales qui pourraient surgir à la rentrée.

 

Prochaine étape : le Conseil Constitutionnel ?

 

Quoi qu’il en soit, un vote de l’article décrié sur les manifestations ne marquera pas la fin des débats. Nul doute que les oppositions profiteront de l’occasion pour mettre en défaut le gouvernement en saisissant le Conseil Constitutionnel. Pour se faire, elles devront réunir 60 députés ou sénateurs. De leur côté, les syndicats et les associations pourraient ajouter des arguments lors de cette saisine et poursuivre de cette façon la bataille engagée au Conseil d’État début juin. Même en cas d’échec, de nouvelles procédures, cette fois devant le Conseil d’État sur les décrets d’application de la loi, seront engagées par les organisations syndicales avant le 10 juillet.

À moins que, finalement, ce ne soit la rue qui tranche la question. Dans la première phase du déconfinement au mois de mai, les sans-papiers, les salariés de Renault, les soignants ou encore le Comité Adama ont organisé des manifestations à un moment où tout rassemblement de plus de 10 personnes était théoriquement interdit. Et ce malgré, ici ou là, l’intervention des forces de l’ordre, la distribution d’amendes ou les arrestations.