Les rassemblements de plus de dix personnes sur la voie publique sont interdits depuis le vote de l’état d’urgence sanitaire le 23 mars. Malgré le déconfinement, ce droit fondamental n’a toujours pas été rétabli. À moins d’annonces surprises d’Emmanuel Macron dimanche soir, pour l’heure, le gouvernement prépare un projet de loi lui permettant de limiter le droit de manifester au-delà de la fin de l’état d’urgence sanitaire le 10 juillet.
Un caillou dans la chaussure. Ce sera à peu de choses prêts la portée de l’avis du Conseil d’État s’il accède à la requête du Syndicat des avocats de France, de celui de la magistrature, et des syndicats CGT, FSU et Solidaires. Ces derniers ont intenté le 3 juin une procédure en urgence pour attaquer l’article 3 de l’état d’urgence sanitaire qui interdit les rassemblements sur la voie publique de plus de dix personnes. Depuis, la Ligue des droits de l’homme et SOS Racisme ont fait de même.
« L’exercice démocratique est l’angle mort du gouvernement », a dénoncé l’avocat des plaignants lors de l’audience ce matin. Avec les deux phases du déconfinement, les 11 mai et 2 juin, la plupart des activités ont été autorisées de nouveau. Cela pour favoriser le redémarrage économique. Ainsi, il est aujourd’hui possible de manger et boire sans masques sur une terrasse remplie, pendant qu’il demeure interdit de se rassembler à plus de 10 sur la voie publique avec des masques. Autre contradiction, les interdictions à géométrie variables.
La juge des référés Gaëlle Dumortier a sur ce point évoqué les propos de Christophe Castaner sur les manifestations contre le racisme et les violences policières d’abord interdites, puis autorisées de fait. Tout comme avant elles n’avait pas été interdite celle des salariés de Renault à Maubeuge. Pour le gouvernement, présent à travers un représentant du ministère de la Santé, aucune nécessité de se précipiter à rendre un avis sur l’article 3, dans la mesure où la tendance serait à un élargissement progressif des autorisations. Et de laisser entendre qu’Emmanuel Macron pourrait faire des annonces dimanche soir rendant caduque une décision du Conseil d’État.
À la fin, c’est le gouvernement qui décide
En tout cas, l’avis de la haute autorité n’interviendra pas avant que le chef de l’État s’adresse aux Français. À l’issue de l’audience publique de ce jeudi 11 juin, la juge des référés a en effet renvoyé sa décision au début de la semaine prochaine. Emmanuel Macron pourrait rapidement modifier par décret les règles du droit de manifester craignent les avocats des syndicats. Ils imaginent le passage d’une procédure déclarative aujourd’hui, à celle d’une demande d’autorisation, nouvelle en droit, qui marquerait un recul démocratique. Dans ce cas, un avis du Conseil d’État sur l’article 3 n’aurait plus aucun effet, dans la mesure où ce ne serait plus lui qui serait invoqué.
Au-delà des spéculations sur les intentions du président de la République, le gouvernement a déjà annoncé qu’il ne renouvellerait pas une troisième fois l’état d’urgence sanitaire. Celui-ci prendra donc fin le 10 juillet. Pour autant, un projet de loi sera présenté la semaine prochaine au Parlement pour que le gouvernement conserve des prérogatives exceptionnelles, notamment en matière de droit de manifestation. Et ce pour quatre mois jusqu’en novembre 2020. Ainsi, entrerait dans le droit commun, la prérogative de « limiter ou d’interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature ». Avec l’ensemble des risques d’arbitraires qui en découle.
Dans ce cas, un avis du Conseil d’État rétablissant le droit de manifester ne vaudrait que pour deux ou trois semaines, jusqu’au 10 juillet. Peut-être le temps de laisser passer la vague des manifestations contre les violences policières et celle des soignants, le 16 juin, et probablement dans les semaines suivantes, au moins jusqu’aux conclusions du « Ségur de la santé ». Au-delà, les syndicats devront retourner devant le Conseil d’État et attaquer les nouvelles dispositions gouvernementales.
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