Le ministère de l’intérieur vient de notifier sa dissolution à l’organisation d’extrême droite Génération Identitaire. Pourquoi seulement maintenant alors que les Identitaires existent depuis 2002 et sa branche jeune depuis 2012 ? Quelle peut être l’efficacité d’une telle mesure ? Doit-on y voir un dangereux renforcement de l’autorité de l’État ? Interview croisée.
Les interviewés :
Observatoire National de l’Extrême Droite (ONED) : observatoire lancé en octobre 2020 où siègent à la fois des personnalités politiques notamment de la France Insoumise, d’Europe Écologie Les Verts, ou du Parti Communiste Français ainsi que chercheurs. Il a vocation à décrypter les actions et discours de l’extrême droite afin de la combattre. Le président de son conseil d’administration, Thomas Portes, chef de cabinet du maire (PCF) de Champigny a répondu à nos questions.
La Horde : collectif constitué en 2012 qui regroupe des membres ou ex-membres de différentes organisations antifasciste. Il anime un site du même nom qui a pour but de cartographier l’extrême droite et de relayer les différentes actions antifascistes. De tradition libertaire, la Horde refuse les porte-paroles. La personne qui nous a répondu n’a donc pas donné son nom.
Récemment interviewé à propos de sa volonté de dissoudre Génération Identitaire lorsqu’il était ministre de l’intérieur, Christophe Castaner a déclaré « si j’avais pu les dissoudre je l’aurais fait », indiquant que les éléments légaux n’étaient alors pas suffisants. Aujourd’hui l’État va plus loin puisque que la dissolution à été notifiée au président de l’association, qui a désormais quelques jours pour se défendre. Qu’est ce qui a changé chez Génération Identitaire depuis Castaner ?
La Horde : La procédure de dissolution actuelle tient davantage à une opportunité politique qu’au fait d’avoir de nouveaux éléments à charge à emmener au dossier. L’opération dans les Pyrénées qui semble motiver Darmanin était d’une plus petite ampleur que celle organisée dans les Alpes en 2018 et pour laquelle Génération Identitaire avait été relaxée en appel. De même, lorsque ses militants ont embarqué sur leur bateau, le C-star, en 2017 pour patrouiller en mer, à la recherche de migrants à refouler où qu’ils ont sillonné les métros pour leurs opérations dites « anti-racailles », qui s’apparentent fortement à une constitution de milice, ça n’a pas suscité de volonté de dissolution non plus.
Thomas Portes (ONED) : Il y a une nouveauté cette fois, c’est l’ouverture d’une enquête judiciaire par le procureur de la république pour « incitation à la haine en raison de la race », suite à l’action qui a eu lieu dans les Pyrénées. Dans les Alpes ils avaient été relaxés pour tout autre chose, à savoir tentative de « créer dans l’esprit du public une confusion avec l’exercice d’une fonction publique ».
A l’ONED, nous considérons de toute façon que Génération Identitaire devrait être dissoute depuis un moment. C’est un groupuscule qui promeut la haine raciale, appelle à la guerre civile, ou encore organise la chasse aux migrants. Et leurs appels sont parfois suivis d’effets. Lorsque leur figure médiatique Thaïs d’Escufon appelle à résister face à une soi-disant invasion migratoire, derrière il y a des personnes qui passent à l’action. On se souvient du terroriste qui menaçait des gens dans la rue avec une arme de poing à Avignon, il portait quand même une doudoune Génération Identitaire.
Si on assiste à une dissolution politique, ne faut-il pas en craindre d’autres, notamment à gauche ?
Thomas Portes (ONED) : La dissolution de Génération Identitaire n’est pas une remise en cause de la liberté d’association. C’est la dissolution d’une organisation dangereuse qui commet des actions contraires aux valeurs de la république. Ce n’est pas parce qu’on les dissout demain que l’État va s’en prendre à tout et tout le monde par la suite.
Quand certains disent que leur dissolution pourrait remettre en cause l’existence de Greenpeace puisqu’ils sont une sorte de « Greenpeace de droite », ça pourrait me faire rire si le sujet n’était pas si grave. Ils n’ont rien à voir avec Greenpeace ! Greenpeace défend l’intérêt général et l’avenir de la planète. Elle n’a jamais dénoncé personne à la police des frontières, elle n’a jamais scandé « Islam hors de France » et le racisme ne fait pas partie de son ADN.
La Horde : Oui, il est très possible que l’État donne un coup de pied dans la fourmilière d’extrême gauche à un moment pour montrer qu’il est équitable, d’ailleurs la dissolution de Génération Identitaire intervient juste après celle d’associations musulmanes, comme s’il fallait rééquilibrer les choses. C’est aussi pour ça que nous n’attendons rien de lui en matière de lutte contre l’extrême droite, c’est toujours à double tranchant. D’ailleurs, que ce soit sur Sud Radio ou sur CNews, des médias où la parole d’extrême droite s’est banalisée, des éditorialistes appellent régulièrement à la dissolution de groupes d’extrême gauche. Il se pourrait qu’ils finissent pas être entendus.
Quelle peut être l’efficacité d’une telle dissolution ?
Thomas Portes (ONED) : La dissolution est une nécessité aujourd’hui, l’État doit envoyer un signal fort, montrer aux gens qui voient Génération Identitaire d’un mauvais œil qu’il se passe parfois des choses positives. Elle permettra aussi de réduire considérablement la capacité de financement de cette organisation puisqu’elle ne pourra plus demander d’argent en son nom. Toutefois, la dissolution ne peut pas suffire, elle ne mettra pas fin à l’organisation. L’État doit continuer de surveiller ces gens, on a de nombreux exemples de groupes dissous à l’extrême droite qui se sont reformés sous d’autres noms, comme le Bastion Social pour prendre un exemple récent.
La Horde : On peut déjà souligner que l’État s’attaque à un gros morceau et que ça ne va pas être facile pour lui. Ce n’est pas la même chose de dissoudre un groupuscule de 20 personnes qui fait du paintball dans les bois et une organisation bien implantée qui a des relais dans les médias et au Rassemblement National. De plus, si la dissolution a lieu, il faut rappeler que Génération Identitaire, qui n’est que la branche jeune d’une organisation plus large (les Identitaires, fondé en 2002, voir l’article de la Horde) a justement été pensée pour pouvoir faire face aux dissolutions. Elle est donc constituée d’une multitude d’associations, qui ne sont pas crées par les mêmes personnes et qui ne sauraient être dissoute en même temps. Par exemple le bar la Citadelle de Lille ou l’association Paris Fierté, sont tout deux des émanations de Génération Identitaire.
Enfin il faut rappeler que les identitaires, fondés en 2002 regroupent, de nombreuses personnes du groupuscule Unité Radicale, lui même dissout après la tentative d’assassinat de Jacques Chirac en 2002. Quand ils ont été dissous, ils n’étaient qu’une quarantaine et la moitié des militants ne payaient plus leurs cotisations. En adoptant une stratégie nouvelle, plus axée sur la communication et la bataille culturelle, les identitaires se sont peu à peu fait leur trou dans la galaxie d’extrême droite et ils sont beaucoup plus forts aujourd’hui. De plus, la perspective de dissolution met un coup de projecteur sur Génération Identitaire, dont la porte parole a été reçu deux fois sur C8 par Cyrille Hanouna en quelques semaines… il est possible que cette exposition leur profite.
Comment mène-t-on la lutte antifasciste/contre l’extrême droite quand s’appuyer sur l’État n’est pas suffisant ou contre-productif ?
La Horde : C’est un travail de longue haleine. Un antifasciste ce n’est pas seulement quelqu’un habillé tout en noir cagoulé dans une manif. Il s’agit par exemple de s’impliquer dans des syndicats, de participer à des grèves pour défendre des acquis sociaux et proposer un autre modèle de société aux gens que la seule haine de l’étranger. C’est mettre en avant le commun, la juste répartition des richesses et la justice sociale. Des valeurs positives qui ne doivent pas être délaissées sous peine de tracer une voie royale pour l’extrême droite.
Thomas Portes (ONED) : Il est évident que l’État à lui seul ne peut pas régler le problème de l’extrême droite à 30% dans le pays. Pour lutter contre, il faut en finir avec les slogans et déconstruire frontalement l’argumentaire d’extrême droite. On se rend par exemple compte que Marine Le Pen ment sur les faits et sur les chiffres. Dernier mensonge en date : la nationalité française du terroriste Coulibaly dont elle assure qu’il l’aurait obtenue à 18 ans ce qui est totalement faux. Il faut également observer les votes des députés RN notamment au parlement européen où ils votent souvent le contraire de ce qu’ils soutiennent dans les médias. Il faut donc informer les gens, discuter avec eux.
Mais il faut également s’attaquer au capitalisme et au néolibéralisme qui, en accroissant les inégalités et le sentiment d’injustice fait prospérer les discours d’extrême droite.
Faisons face ensemble !
Si les 5000 personnes qui nous lisent chaque semaine (400 000/an) faisaient un don ne serait-ce que de 1€, 2€ ou 3€/mois (0,34€, 0,68€ ou 1,02€ après déduction d’impôts), la rédaction de Rapports de force pourrait compter 4 journalistes à temps complets (au lieu de trois à tiers temps) pour fabriquer le journal. Et ainsi faire beaucoup plus et bien mieux.