grève 8 mars

8 mars 2018 : la lutte des femmes par la grève reste à construire


 

Le 8 mars, les femmes sont appelées à arrêter le travail à 15 h 40 pour dénoncer les inégalités et les violences dans le monde du travail. Mais cette année encore, malgré la libération de la parole des femmes depuis l’affaire Weinstein, cette forme de lutte peine à s’enraciner.

 

L’idée est simple. Puisque les femmes sont payées en moyenne 26 % de moins que les hommes, le 8 mars, elles amputent leur journée de travail d’un quart de son temps. Elles s’arrêtent de travailler à 15 h 40. Mais cette incitation n’entraînera pas de débrayages massifs cette année encore. Et ce, malgré la médiatisation de la vague de dénonciation sur les réseaux sociaux des violences faites aux femmes depuis les révélations de l’affaire Weinstein.

À Paris, un rendez-vous est fixé sur la Place de la République à 15 h 30 à l’appel d’un collectif unitaire rassemblant les principales associations féministes et les syndicats CGT, FSU, Solidaires et Unef. Une première action avant le rendez-vous général plus traditionnel prévu à 17 h 30. Parallèlement, toutes les organisations syndicales de salariés à travers un texte intitulé « pour l’égalité professionnelle, nous voulons des actes » interpellent le gouvernement sur une liste de mesures à mettre en œuvre. Mais sans appel commun à la grève.

En province, des rassemblements à l’heure de l’arrêt de travail sont programmés à Lille, Bordeaux, Lyon, Nancy, Orléans et Lorient. Le mouvement de grève ne touche pas que la France. Un appel international concerne 150 pays (contre 58 en 2017) dont l’Espagne, où le mouvement, soutenu par les syndicats UGT, CCOO, CGT et CNT, trouve un plus large écho.

 

Une grève à construire

 

« Je n’ai pas encore fait le tour des remontées des syndicats. Mais des débrayages auront lieu le 8 mars au technopôle de Renault dans les Yvelines ou chez les territoriaux à Annonay. Il se passera aussi quelque chose à 15 h 40 à la mairie de Paris », explique Sophie Binet, secrétaire générale adjointe de la CGT Ingénieurs, cadres et techniciens. Mais pas de grèves massives en vue. Même son de cloche du côté de Solidaires, malgré une prise en charge réelle par plusieurs fédérations ayant déposé des préavis comme le rail, la santé, les collectivités territoriales ou les télécommunications.

« C’est un mouvement qui se construit pas à pas », indique Cécile Gondard-Lalanne, porte-parole de Solidaires, qui signale cependant des résistances toujours présentes dans des équipes syndicales majoritairement masculines. « Il faut faire prendre conscience qu’il s’agit bien d’une action interprofessionnelle. Malheureusement, ce n’est jamais prioritaire quand il y a une date comme le 22 mars qui pointe son nez », précise-t-elle. Pour autant, la syndicaliste nuance en évoquant une dynamique en progression sur la question de l’égalité homme-femme au travail depuis l’an dernier.

« Des heures d’informations syndicales sont déposées spécifiquement le 8 mars aux Finances publiques sur tout le territoire. » Le signe d’un « processus nécessaire pour construire à terme une vraie grève » pour Cécile Gondard-Lalanne. L’idée de faire du 8 mars une journée avec des arrêts de travail a été initiée à Toulouse en 2012, puis discutée avec les associations féministes au niveau national dès 2014. Depuis, elle a fait son chemin, année après année. En plus de l’appel à la grève, le collectif unitaire a proposé aux femmes de porter un ruban blanc pour protester contre les violences sexistes. Cette année, une enquête sur les violences au travail a également été lancée sur le site internet dédié à la journée du 8 mars.

 

La mobilisation sur les réseaux sociaux ne garantit pas la mobilisation dans la rue

 

« Si nous voulons une traduction massive dans la rue, nous n’échapperons pas à la question des processus classiques de diffusion permettant de voir les gens », expose la porte-parole de Solidaires, dubitative sur la capacité mobilisatrice des réseaux sociaux. « Il y a une étape à passer entre la dénonciation individuelle, le témoignage, le système de domination mis en cause derrière cela, et la question de comment se battre. » Pour Cécile Gondard-Lalanne, la libération de la parole n’implique pas automatiquement la perception que le changement passe par des mobilisations de rue. Ce d’autant qu’Emmanuel Macron a annoncé faire de l’égalité homme-femme une grande cause nationale le 25 novembre dernier.

Pour Sophie Binet de la CGT, les femmes comme les équipes syndicales ne font pas souvent le lien entre leurs enjeux professionnels et l’égalité femme-homme. « Il y a un lien direct entre les mobilisations des secteurs à prédominance féminine comme la santé et l’égalité femme-homme. Les salariées des maisons de retraite (Ehpad) sont mal payées et ont de mauvaises conditions de travail parce que ce sont surtout des femmes. Par ailleurs, la prise en charge des personnes âgées, si elle n’est pas opérée par le service public, revient aux femmes avec les tâches domestiques. » Pour la responsable de la CGT, la prochaine mobilisation des Ehpad aurait dû avoir lieu le 8 mars au lieu du 15, retenu par l’intersyndicale.

 

Photo :Toulouse, mars 2013 © Kevin Figuier/Carré d’Info.