Le projet de loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » sera présenté le 25 septembre à l’Assemblée nationale par le gouvernement. Il remplacera l’état d’urgence dont il reprend plusieurs dispositions. Dénoncé par les associations et collectifs de défense des libertés qui y voient la mise en place d’un état d’urgence permanent, il entrera en vigueur au plus tard le 1er novembre, sans que la population semble s’en inquiéter.
Moins d’un millier de manifestants à Paris. Autant dire un bide pour la mobilisation de défense des libertés appelée le dimanche 10 septembre par une centaine d’associations et collectifs opposés à l’inscription dans le droit commun des principales mesures de l’état d’urgence. Pourtant, le projet de loi contre le terrorisme prévoit un renforcement considérable des pouvoirs du préfet de police et un contrôle amoindri du juge judiciaire. Une rupture avec l’État de droit et la séparation des pouvoirs pour les associations de défense des libertés.
Le projet de loi prévoit en effet la possibilité pour les préfets de créer des périmètres de protection dans lesquels les forces de sécurité peuvent procéder à des contrôles et des fouilles sur les personnes comme sur les bagages et les véhicules. L’étendue du périmètre et sa durée sont fixées par le représentant de l’état, dans la limite d’un mois renouvelable. Un individu peut — comme dans l’état d’urgence — être assigné à résidence par l’autorité administrative s’il existe « une raison sérieuse de penser » que son comportement « constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre public ». Le libellé du projet de loi n’indique pas restreindre cette mesure au seul terrorisme. Le préfet peut également procéder à des perquisitions, même de nuit, et a autorité pour fermer des lieux de culte. Le texte autorise par ailleurs le contrôle aux frontières dans une zone de 20 km autour des gares internationales, des ports et aéroports. Une mesure destinée au contrôle de l’immigration.
L’enfer, c’est pour les autres
« Les gens pensent que les atteintes aux libertés ne concernent que les libertés des délinquants ou des criminels », avance Maître Alain Ottan pour expliquer l’indifférence dans laquelle les mesures d’exception de l’état d’urgence sont intégrées dans le droit commun. Pour l’avocat, « chaque fois que les pouvoirs de police sont renforcés, il y a un risque de dérapage ». Une affirmation confirmée par le rapport d’Amnesty International « France, le droit de manifestation menacé », publié en mai 2017. L’ONG y dénombre 155 manifestations interdites et 639 interdictions individuelles de manifester ordonnées par les préfectures avec les outils de l’état d’urgence. Pourtant, la majorité de la population semble penser que ces mesures ne s’appliquent qu’aux terroristes. Chaque citoyen imaginant ne courir aucun risque s’il n’a rien à se reprocher.
Lors des manifestations contre la loi El Khomri, « des militants poursuivis devant les tribunaux sont venus nous voir, trouvant anormal que leur ADN soit prélevé » se souvient Céline Verzeletti, secrétaire fédérale de la CGT. « Certains ont découvert comment cela fonctionne une fois confronté à la Justice ». Pour la militante en charge du collectif pour les libertés syndicales au sein de la confédération, cet épisode est révélateur des difficultés pour sensibiliser les salariés sur les reculs sécuritaires. Le fichage génétique — initialement prévu pour les délinquants sexuels — comme l’état d’urgence, présenté pour lutter contre le terrorisme, « est un sujet difficile, où le gouvernement joue sur la peur », souligne la syndicaliste. « Certains de nos syndicats ont du mal à appréhender ces thèmes, ne sont pas convaincus ou n’en font pas une priorité. Ils sont totalement pris dans leurs entreprises sur les batailles revendicatives ». Ainsi, ils se mobilisent peu sur les manifestations de défense des libertés.
« La plupart des gens ne voient pas de changement dans leur vie quotidienne », avance le sociologue Laurent Mucchielli comme explication de la faible mobilisation contre le projet de loi du gouvernement. À l’inverse, « ceux qui pâtissent le plus de ces mesures sont pour partie des gens qui sont sans-voix. Les habitants des quartiers populaires, les étrangers en situation irrégulière ou les mineurs isolés ne sont pas entendus et n’ont pas de porte-parole ». Ainsi, « cela ne questionne pas le fonctionnement des organisations policières ».
Autorité, précarité, fatalité
Alors, la France glisse-t-elle doucement, mais sûrement vers un régime de type autoritaire ? En tout cas, Human Rights Watch s’est inquiété de « mesures abusives sources de violation des droits » et le commissaire européen au droit de l’homme a soulevé dans un courrier en date du 10 juillet des risques d’incompatibilité avec la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Des inquiétudes qui ne semblent pas alerter la population française. Au lendemain de l’émotion suscitée par les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et du 14 juillet 2016 à Nice, deux sondages indiquaient que 80 % des Français étaient prêts à accepter davantage de contrôles et une certaine limitation de leurs libertés.
Toutes ces mesures « sont menées au nom de la protection de la population » rappelle Laurent Mucchielli. « Qui s’oppose est tout de suite classé dans une position suspecte de ne pas contribuer à cet effort collectif pour nous protéger ». Ainsi, la parole des juges, des avocats ou des associations de défense des droits de l’homme est peu audible et coupée d’une grande partie de la population. « Les grandes forces politiques ne relaient pas cette parole des corps intermédiaires et des forces sociales », explique le sociologue en pointant l’adhésion du Parti socialiste aux politiques sécuritaires. En plus, « il y a une coupure des exécutifs politiques. Dans les cabinets ministériels, les hauts fonctionnaires ayant fait toute leur carrière dans une administration ont été remplacés par des communicants ou des personnes venant du secteur privé ». Pour lui, cela déconnecte les décideurs politiques d’une connaissance et d’une compréhension de la réalité du terrain.
« Cette loi sera utilisée par tous les pouvoirs d’aujourd’hui ou de demain » s’inquiète Malik Salemkour, le président de la Ligue des droits de l’homme (LDH). Opposé à la réduction de l’État de droit par l’inscription dans la loi antiterroriste des mesures issues de l’état d’urgence, il s’interroge : « C’est quoi la prochaine étape ? » La LDH a saisi l’ensemble des parlementaires, mais n’imagine pas que le texte ne soit pas voté. À défaut d’espérer mobiliser l’opinion, elle compte contester la loi par des questions prioritaires de constitutionnalité et saisir la Cour européenne des droits de l’homme.
« Les gens ont l’impression d’être protégés par le système démocratique et judiciaire », explique Malik Salemkour. Associé à « la perte de confiance dans la capacité à changer un monde dans lequel les entreprises et les gouvernements font ce qu’ils veulent », il note un certain fatalisme. De nouvelles manifestations sont prévues à Paris et en province fin septembre et début octobre, mais rien ne permet d’imaginer qu’elles seront massives.
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