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A l’Assemblée, le RN défend les profits et le patrimoine plutôt que les classes populaires

Alors que le RN tente régulièrement de se donner l’image d’un parti attentif aux souffrances sociales, son attitude lors du débat budgétaire révèle son peu de préoccupation pour la justice fiscale et sociale.

Pendant plus d’un mois, les députés ont débattu de deux textes budgétaires : le projet de loi de finances (PLF) et son équivalent pour la Sécurité sociale (PLFSS). Particulièrement mobilisés, en même temps que s’ouvrait le procès mettant en cause de parti de Marine Le Pen pour détournement de fonds publics européens, les députés du Rassemblement national (RN) ont parfois joué la carte du « social » pour se positionner en contrepoint du gouvernement.

Un combat d’autant plus facile à mener que les travées de la droite et du centre de l’hémicycle ont, elles, pris la poussière. La manœuvre visait également à phagocyter des thématiques d’habitude portées par la gauche. « La gauche a trahi la cause populaire et n’existe plus que dans l’opposition au Rassemblement national. Votre bêtise politique vous sort de l’histoire et la place que vous occupez, nous la prendrons pour en faire quelque chose d’utile aux Français », a ainsi lancé le député RN Alexis Jolly lors de la niche parlementaire du parti qui avait lieu dans cette période de débats budgétaires.

En matière fiscale, le RN a voté en faveur de plusieurs amendements déposés par le Nouveau Front populaire (NFP). La taxation améliorée des Gafam (les géants du numérique, comme Google ou Amazon) ou le renforcement de la taxe sur les transactions financières ont ainsi semblé séduire le parti d’extrême droite. De même, l’instauration d’une contribution spécifique des hauts revenus, initialement pensée comme provisoire par le gouvernement, mais que la gauche a voulu rendre pérenne, a convaincu une grande majorité des députés du RN présents lors du vote.

Sur d’autres recettes fiscales possibles, le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella a défendu les intérêts des plus fortunés. Les députés d’extrême droite ont ainsi rejeté la hausse de la CSG sur les revenus du capital, la surtaxe exceptionnelle des grandes entreprises ou la proposition de taxe sur les hauts patrimoines de plus d’un million d’euros. Sans succès puisque ces amendements ont malgré tout été adoptés.

Le RN s’est aussi opposé à un article du projet de loi de finances visant à diminuer les exonérations de cotisations sociales patronales dont bénéficient actuellement les entreprises, tout particulièrement sur les salaires proches du Smic. Ces exonérations sur les salaires entre 1 et 1,6 Smic grèvent les caisses de la Sécurité sociale d’environ 40 milliards d’euros par an.

Leurs effets pervers sont aussi critiqués : elles favoriseraient des « trappes à bas-salaires » – les employeurs n’étant pas incités à augmenter les salaires pour continuer à bénéficier des exonérations – et contribueraient à la « smicardisation » des salariés. Comble de l’absurde, alors que c’est bien le gouvernement de Michel Barnier qui était à l’origine de cet article, seuls les députés du NFP ont défendu la mesure, contre un front s’étendant du centre jusqu’à l’extrême droite.

Pour justifier ses prises de position sur les sujets fiscaux, le RN a un argument récurrent : le soutien aux PME et TPE, qu’il faudrait protéger. En réalité, son soutien aux acteurs économiques français dépasse largement le cadre de la petite entreprise. Le parti s’est ainsi vivement opposé au retour d’un impôt sur la très grande fortune demandé par le NFP, et à un ISF climatique – un impôt ciblant notamment les 63 milliardaires français dont le patrimoine émet autant de gaz à effet de serre que celui de 50 % de la population française.

Le positionnement du RN a, ici aussi, permis de faire échouer la gauche. Le député RN Matthias Renault a ainsi critiqué les « taxes de la gauche » tout en dénonçant l’absence des députés de la droite et du centre. Une situation qui n’a pas manqué de faire réagir le président de la commission des finances de l’Assemblée, l’insoumis Éric Coquerel. « Pourquoi voulez-vous qu’ils [les députés de droite et du centre] soient plus nombreux, puisqu’ils savent qu’ils vous ont pour voter contre toutes les propositions fiscales et sociales ? »

Le débat sur l’ISF a aussi été l’occasion pour le RN de ressortir sa proposition phare d’un impôt sur la fortune financière (IFF), présente dans son programme lors des dernières élections législatives. Le parti souhaite ainsi remplacer l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), une version déjà très au rabais de l’ancien ISF, par ce nouvel IFF qui exclurait de son assiette la résidence principale des personnes imposées. Un cadeau à destination des plus riches comme le montraient nos confrères de Politis  : une toute petite minorité des Français les plus riches est concernée par cet impôt et la résidence principale bénéficie déjà d’un abattement fiscal.

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La mesure n’a pas convaincu le reste de l’Assemblée et a été rejetée, tout comme d’autres amendements du parti qui visaient à rehausser d’une tranche les seuils d’imposition de l’IFI, ce qui en aurait exonéré certaines personnes, et aurait permis aux autres de bénéficier d’un taux plus clément. Pour justifier ces mesures pro-riches, le parti d’extrême droite a osé évoquer l’inflation dans l’exposé de son amendement, avant d’affirmer qu’« injuste en son principe et excessif dans ses dispositions, l’IFI doit du moins être réservé aux personnes dont le patrimoine est réellement important ».

La première tranche de l’IFI concerne pourtant les personnes dotées d’un patrimoine de plus de 1,3 million d’euros, soit les 1 % de la population les plus dotés en patrimoine, selon l’Observatoire des inégalités. Une catégorie à laquelle appartient d’ailleurs Marine Le Pen.

La préoccupation du RN pour l’inflation n’est pas aussi flagrante quand elle concerne les classes populaires. Les propositions qui attirent la sympathie du parti se résument essentiellement à des baisses de taxes sur les prix de l’électricité et du gaz. Le parti d’extrême droite promeut en parallèle des mesures qui rendent plus coûteux l’accès à certains services publics. Il veut ainsi mettre en place une « taxe lapin », soit une facturation de la consultation à un patient ne s’étant pas présenté à son rendez-vous médical ou bien un « ticket modérateur » pour la justice, soit une somme minimale que devrait dépenser tout justiciable s’il veut faire appel à un avocat, y compris s’il a des faibles revenus.

Le parti d’extrême droite s’attaque ensuite tout particulièrement à certaines catégories de la population. Sans surprise, les personnes étrangères constituent sa première cible. Il veut ainsi les priver de la prime d’activité (qui bénéficie aux personnes qui travaillent), de l’aide médicale d’État (AME) et veut réserver l’hébergement d’urgence aux personnes en situation régulière. Le parti propose également d’instaurer trois jours de carence en cas d’arrêt maladie pour les agents de la fonction publique, un projet sur lequel il rejoint le gouvernement.

Les députés RN ont par ailleurs apporté leur soutien à un amendement de leur allié Éric Ciotti visant à ôter aux intermittents du spectacle la possibilité de lisser leurs revenus, souvent instables, sur plusieurs années pour le calcul de leurs impôts. Dans l’exposé écrit qui accompagne son amendement, l’ancien président des Républicains élargit sa critique au régime de l’intermittence dans son ensemble, le qualifiant de « niche fiscale ».

L’examen du budget aura également amené une nouvelle fois le RN à s’exprimer sur la réforme des retraites. Alors qu’au printemps 2023, il n’avait pas soutenu la mobilisation dans les rues et les entreprises contre l’augmentation de l’âge de départ à la retraite, le parti cherche depuis régulièrement à se réapproprier cette lutte qui suscite un large engouement dans la population. Le 29 octobre, un amendement du NFP est examiné dans l’hémicycle pour rétablir la retraite à 62 ans.

Opposition immédiate du RN qui, par la voix du député Thomas Ménagé, appelle le NFP à « un peu de sérieux » en arguant d’une impossibilité juridique d’abroger la réforme des retraites par amendement en raison de l’article 40 de la Constitution. Lequel dispose qu’un amendement n’est pas recevable lorsque son adoption « aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ».

Souhaitant incarner un « parti de gouvernement » soucieux des règles, le RN a alors en tête sa propre loi d’abrogation qu’il souhaitait présenter deux jours plus tard, durant sa niche parlementaire. Une initiative qui a fait long feu, le camp gouvernemental ayant réussi à vider de sa substance le texte du RN en s’appuyant justement sur ce même article 40. Le 4 novembre, après ce coup politique raté, le parti apporte finalement son soutien à un nouvel amendement du NFP visant à abroger la réforme des retraites.

Si les débats sur la partie « recettes » du projet de loi de finances ont pu être menés à leur terme, il n’en est pas de même pour sa partie « dépenses », qui n’a pas été examinée. Le RN n’a donc pas eu à se positionner sur les coupes budgétaires souhaitées par le gouvernement. Toutefois, plusieurs de ses amendements ont été examinés en commission des finances. Associés à son contre-projet de budget, ces amendements dessinent le visage austéritaire du parti.

Il entend ainsi diminuer de plus de 4 milliards d’euros les crédits alloués aux acteurs culturels, aux associations (et plus spécifiquement celles œuvrant dans le champ de l’enseignement scolaire ou de l’écologie), à l’enseignement supérieur (et tout particulièrement aux sciences humaines et sociales), ou encore aux fonctionnaires travaillant dans le champ de l’écologie. Concernant ces derniers, le parti d’extrême droite fait converger son mépris de l’écologie avec une haine sociale : « Les fonctionnaires bureaucrates ont démontré leur inutilité voire leur incompétence […], ce qui justifie d’enlever des crédits de personnel », justifie le RN dans l’exposé de son amendement.

C’est véritablement au moment du vote de l’entièreté de la partie « recettes » du projet de loi de finances que le parti de Marine Le Pen montre son désintérêt pour les questions sociales. Alors que vote après vote, les députés de gauche avaient réussi à transformer le projet initial du gouvernement, le parti d’extrême droite a décidé d’unir ses voix à celles de la droite et du centre pour voter contre le texte. Des voix précieuses pour le camp gouvernemental qui a pu rétablir sa version initiale du texte avant de le présenter au Sénat.

À l’issue de son examen par la chambre haute, le projet de loi de finances reviendra à l’Assemblée nationale. Selon toute vraisemblance, Michel Barnier devrait alors mobiliser le 49.3 pour le faire adopter en l’état, ce qui suscitera une motion de censure de la part des députés du NFP. Le RN la votera-t-il ?

Alors qu’il l’a longtemps exclu, le parti pourrait s’y résoudre, remobilisé par les ennuis judiciaires de Marine Le Pen, elle et plusieurs cadres du parti étant accusés d’avoir mis en place un système de détournement de fonds publics européens, avec un préjudice estimé à 7 millions d’euros. Encore une fois, c’est davantage la volonté de faire un coup politique qu’une réelle préoccupation sociale qui guidera les députés d’extrême droite.

Article réalisé avec Bastamag