Pass sanitaire

Pass sanitaire : pas de grand complot, plutôt sauver la relance et l’économie de marché

 

« Dictature sanitaire », « Great reset », « Nouvel ordre mondial », « Volonté d’asservissement du peuple », les récits mobilisateurs distillés par les mouvements antivaccins, très actifs sur internet et dans les manifestations anti-pass sanitaire, prolifèrent depuis les annonces d’Emmanuel Macron du 12 juillet. Mais loin des fantasmes autour d’un dessein caché par un pouvoir occulte, si tout était bien plus simple.

 

Les explications les plus simples sont souvent les meilleures. Pas besoin d’avoir recours à des théories censées dévoiler un complot invérifiable pour expliquer les décisions du gouvernement ou comprendre le monde dans lequel nous vivons. En matière de gestion de la crise sanitaire, l’observation des choix de l’exécutif au cours des 18 derniers mois suffit à rendre lisibles les choix d’Emmanuel Macron.

 

Confiner le plus tard possible, le moins possible, et ouvrir au plus tôt

 

S’il y a bien une constante dans les décisions hiératiques du pouvoir dans cette crise sanitaire, c’est celle d’éviter par tous les moyens un confinement tel que celui des débuts de l’épidémie qui avait fait perdre 14 % de produit intérieur brut (PIB) à l’économie française au second trimestre 2020 (8,3 % sur l’année). Et participer à creuser le déficit public de 211,5 milliards d’euros, soit 9,2 % du PIB, contre 3,1 % en 2019. Dans ce but, à partir d’octobre 2020, Emmanuel Macron dégaine les couvre-feux limitant la vie aux seules activités professionnelles, pendant que son ministre de l’Éducation promet une absence de contamination dans les établissements scolaires, justifiant leur ouverture et ainsi le maintien des parents au travail. Plus question de placer l’économie sur pause.

Bien que contraint de confiner le pays un mois plus tard, le nouveau confinement est bien moins strict que le précédent afin de permettre à la plupart des activités économiques de se poursuivre. Et en bonus : sauver la consommation pendant la florissante période des fêtes. Un confinement levé le plus vite possible, 10 jours avant Noël, sans attendre la réduction à 5000 cas de contamination quotidiens, pourtant annoncée comme objectif par le chef de l’État. Logiquement, vient alors le temps de la gestion d’un plateau haut de l’épidémie et de ses deux à trois cents morts quotidiens, après les fêtes de fin d’année. Puis le moment, fin janvier 2021, du pari épidémiologique présidentiel de ne pas confiner face au variant britannique. Un pari contre l’évidence et en dépit d’une dégradation de la situation sanitaire. Pari perdu et reconfinement à minima fin mars. Mais suivie d’annonces de déconfinement dès la mi-avril par Emmanuel Macron, alors que le taux d’incidence était encore supérieur à 300.

Des choix pour que l’économie vive avec le virus, même si de nombreux décès (plus de 14 000 selon un calcul du journal Le Monde) auraient pu être évités par un confinement plus précoce. Mais des décisions pas totalement surprenantes pour un président constant depuis quatre ans dans sa défense tenace de l’économie de marché et de son carburant : la croissance.

 

Ne pas laisser le variant delta plomber la reprise

 

Rien d’étonnant par conséquent à voir le chef de l’État d’abord préoccupé par la relance économique – et les 100 milliards d’euros injectés par le gouvernement – au tournant de l’été 2021. Une relance et une croissance déterminées depuis plus d’un an par les évolutions de la circulation épidémique et la saturation du système de soin qu’elle implique. Or, après une campagne vaccinale aux débuts calamiteux, laissée en grande partie à l’initiative de prises de rendez-vous individuels sur des plateformes privées, sans réelle planification de santé publique, le Premier ministre s’aventure dans une communication hasardeuse dans la première quinzaine du mois de mai : « nous sommes en train de sortir durablement de cette crise sanitaire ». À cette date, les indicateurs sont meilleurs et la vaccination progresse du fait d’un plus grand nombre de doses livrées. Mais le « président épidémiologiste » ne semble pas voir ou croire à la menace du variant delta, malgré les ravages qu’il a occasionnés en Inde six mois plus tôt et sa diffusion dans plusieurs pays. Pourtant, fin mai, l’Angleterre voisine est confrontée aux prémisses d’une nouvelle vague liée à ce variant, bien que plus de la moitié de la population ait reçu une première dose d’AstraZeneca. La « course contre la montre » évoquée par Emmanuel Macron à propos de la vaccination pour éviter un redémarrage épidémique a du plomb dans l’aile.

En deux mois, le gouvernement passe de la confiance béate à l’inquiétude puis à la panique. Le « nous sommes en train de sortir durablement de cette crise sanitaire » de Jean Castex le 10 mai laisse place à « le variant Delta est le seul vrai risque pour la croissance », de Bruno Le Maire fin juin. Parallèlement, entre la mi-juin et la première semaine de juillet, les marchés financiers passent de l’euphorie à la nervosité. Une nervosité qui gagne les cercles économiques et le G20, dont les ministres des Finances, réunis à Venise début juillet, soulignent le risque de ralentissement de la reprise lié à une trop faible vaccination.

Quelques jours plus tard, Emmanuel Macron dont la communication optimiste sur la fin de la crise a contribué à la baisse du nombre de premières injections de vaccin au mois de juin – une partie de la population différant à l’après vacances une vaccination devenue moins urgente à ses yeux – change de cap . Il impose un sécuritaire Pass sanitaire et une obligation vaccinale pour certaines professions dans un bricolage absolu. Objectif : 50 millions de primo-vaccinés fin août et une reprise économique à la rentrée entravée le moins possible par l’extrême contagiosité du variant delta. Une nouvelle forme de « quoi qu’il en coûte », cette fois pas aux dépenses publiques, mais à une société déjà profondément malmenée par 18 mois de pandémie.

Trois jours plus tard, le ministre de l’Économie explique de nouveau devant les députés réunis sur l’orientation des finances publiques en vue de la préparation du budget 2022 que « le chiffre de croissance dépend directement de notre mobilisation collective face au virus […] la vaccination c’est la croissance, la vaccination c’est la sécurité, la vaccination, c’est l’emploi ». Des arguments et des motivations peu teintés de préoccupations pour la santé de la population.

 

Ni la campagne présidentielle

 

Rebond de la consommation et de l’activité à la rentrée. Ce sont clairement les projections et les objectifs du gouvernement. Et avec eux, l’espoir d’un débat budgétaire moins difficile à l’automne, grâce à des entrées fiscales en hausses, alors que les prévisions de déficit atteignent pour le moment 220 milliards pour 2021. Mais également, la perspective d’atteindre 80 % ou plus de la population vaccinée à l’automne représente la possibilité, à la veille du lancement de la campagne présidentielle, de tourner en partie la page d’une crise sanitaire dont la gestion pourrait valoir de nombreux griefs contre le chef de l’État.

Ce « passer à autre chose » était déjà affiché au mois de juin par Emmanuel Macron, lors de son « tour de France » raté pendant lequel il a mis en scène sa volonté de réformer les retraites dès le mois d’octobre. Si ce pari-là semble bel et bien raté, la réforme de l’assurance chômage, pour laquelle il a fixé la date du 1er octobre pour une application pleine et entière, en dépend possiblement. Et sa volonté de se présenter comme un grand réformateur pour 2022 aussi. D’où probablement les menaces de rendre la vaccination obligatoire pour tous à l’automne si la couverture vaccinale demeurait insuffisante pour atteindre ses objectifs. Quitte à alimenter encore une fois les fantasmes des complotistes et à fracturer plus encore la société.

 

Photo : Serge d’Ignazio