L’intensité de la grève des bus Transdev monte d’un cran : deux salariés ont été assignés en justice. L’audience a eu lieu ce 29 septembre, au tribunal judiciaire de Fontainebleau. Elle intervient alors que la grève s’amplifie en Seine-et-Marne, jusqu’à s’étendre dans le Val-d’Oise. Depuis bientôt un mois, les salariés dénoncent les conséquences, présentes ou à venir, des nouveaux accords négociés entre leur employeur et Île-de-France Mobilités.
Devant le tribunal judiciaire de Fontainebleau, c’est un défilé de bus. En passant, les chauffeurs klaxonnent, freinent, et saluent de la main la centaine de leurs collègues amassés sur le trottoir. Ces derniers sont des grévistes de la société de transport Transdev, opérant en Île-de-France. Leur rassemblement trouble le calme de cette ville chic de Seine-et-Marne : des applaudissements jaillissent, certains reconnaissent des collègues au volant, les appellent à les rejoindre.
L’ambiance est enjouée. Pourtant, la tension est à son comble dans le bras de fer qui les oppose à leur employeur. Deux conducteurs ont été assignés en justice par Transdev. L’Union Solidaires Transports aussi, en tant que personne morale. Ils sont accusés de faits de violence lors des piquets de grève, tenus depuis plus de trois semaines pour les plus anciens. « Un dossier à charge, monté de toutes pièces » balaie Jamel Abdelmoumni, délégué central Transdev Île-de-France Sud Rail, qui fait partie des accusés. « C’est une entrave au droit syndical, au droit de grève : ils veulent nous faire taire afin d’éteindre la grève des bus Transdev », considère-t-il.
La grève des bus Transdev, initiée début septembre, prend de l’ampleur au fil des semaines. Il s’est étendu dans toute la Seine-et-Marne (dépôts de Lieusaint, Montereau, Vulaines, Melun, Marne-la-Vallée…) et touche désormais le Val-d’Oise. Les grévistes protestent contre la dégradation de leurs conditions de travail, la perte de salaire et de conquis sociaux. En cause : la renégociation de l’accord-cadre entre Transdev et Île-de-France Mobilités, avec l’ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien, impulsé par Valérie Pécresse (présidente de région et d’Île de France Mobilités). Le 16 septembre, une centaine de personnes a manifesté devant le siège du conseil régional, à Saint-Ouen. On comptait alors déjà un conducteur en grève sur deux, en Seine-et-Marne.
« On a vu ce qui nous attendait »
Cette mise en concurrence implique des appels d’offres au rabais : l’accord-socle renégocié grignote donc sur les conditions de travail des salariés. « Rien n’a été cadré par Valérie Pécresse. Il n’y a pas eu de socle social institué », déplore Jamel Abdelmoumni. Conséquence : là où les nouveaux accords commencent à être appliqués, comme au dépôt de Lieusaint, « les conducteurs ont perdu de 200 à 500 euros net par mois. Et les amplitudes horaires ont augmenté, jusqu’à 14 heures par jour », raconte Hakim, qui travaille à Vulaines. Dans son dépôt, 100 % des effectifs sont en grève. Comme partout ailleurs dans le département, « on a vu ce qui nous attendait. On s’est dit : on ne peut pas laisser passer ça », expose le conducteur.
« Si on ne fait rien, d’ici quelques mois, on perdra nous aussi 400 à 600 euros net sur notre salaire mensuel », abonde Steve, également salarié à Vulaines. Une baisse conséquente, due à la disparition des primes en cas d’application des nouveaux accords : habillement, non-accident, nuit… « On s’est battus pour avoir ces primes-là, on ne peut pas les perdre du jour au lendemain » défend-il.
Les conditions de travail se sont toujours négociées dépôt par dépôt avec la direction de Transdev. Et cette fois encore, la stratégie de déploiement des accords est différenciée. Ainsi, Vulaines verra son accord appliqué début 2023, tandis que l’horizon est plutôt à la mi-2023 pour Montereau. Pour autant, un sentiment d’unité domine. « Les délégués syndicaux ont échangé entre eux, les conducteurs ont eu les accords sous les yeux. La solidarité s’est nouée très vite » retrace Hakim. Autour d’un mot d’ordre simple : « on ne demande pas à avoir plus. Juste à garder ce qu’on a ». Le procès de ce matin lui apparaît donc « injuste. C’est de l’intimidation ».
Vers un processus de médiation ?
Les grévistes rassemblés devant le tribunal auraient aimé tous y rentrer, afin de soutenir leurs collègues. Mais la sécurité n’en laisse passer qu’une petite dizaine. L’audience est publique, mais la salle est étroite, justifie-t-on. Heureusement, ceux qui demeurent à l’extérieur n’attendront pas longtemps. Dans la salle d’audience, la juge coupe court aux plaidoiries des avocats. « J’enjoins les parties à participer à un rendez-vous d’information de médiation », déclare-t-elle dès le début. Ce rendez-vous devrait se dérouler cet après-midi, en amont d’une nouvelle audience prévue demain, jeudi 30 septembre, à 15 heures. Il réunira l’employeur et les deux grévistes, accompagnés de leurs avocats, autour d’un médiateur. À l’issue, deux options. Soit les parties tombent d’accord pour régler le litige à l’amiable, auquel cas l’audience de jeudi actera l’entrée dans un processus de médiation. Soit il n’y a pas d’accord, et la juge entendra alors les plaidoiries.
L’avocate de Transdev est vent debout contre cette décision. « La médiation est totalement hors sujet. On est sur des faits de violence illégaux : le débat ne porte pas sur les revendications sociales des syndicats », insiste-t-elle, à de nombreuses reprises. Après un appel téléphonique avec la direction de Transdev, elle ajoute même : « la société considère que cette décision de médiation est une aberration ». De quoi irriter la juge : « dans ce type de litiges, les conditions de déroulement de la grève peuvent se discuter afin trouver un juste équilibre. Tout le monde y gagnera », martèle celle-ci. Sans bouger de sa position.
L’obligation de se mettre autour d’une même table ne semble donc pas convenir à Transdev. À l’inverse, elle satisfait les grévistes et syndicats. « Tous les moyens qui peuvent permettre de rencontrer l’employeur et de négocier avec lui seront bons », affirme l’avocat des grévistes Benoît Pelletier. « Jusqu’ici, Transdev a refusé toutes nos propositions de médiation. Aujourd’hui, on les oblige à se mettre autour de la table. Refuser jouera en leur défaveur », estime Jamel Abdelmoumni. Devant la foule à l’extérieur, il promet de « rester soudés » entre tous les piquets de grève. Et conclut : « nous disons à Transdev : mettez-vous autour de la table, parce que nous, on ne lâchera rien ». Sollicitée, Transdev n’a pour l’heure pas donné suite à nos demandes d’interview.
Mise à jour : Le jugement de l’audience du 30 octobre a finalement été favorable aux salariés. Transdev a été débouté sur tous les sujets. Les charges contre les deux grévistes, et contre l’Union Solidaires Transports, n’ont pas été retenues. Lors du rendez-vous d’information sur la médiation, le 29 octobre, l’entreprise avait refusé d’entrer dans un processus de médiation.
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