Jeune Garde antifascisme

Jeune Garde : « notre antifascisme n’a pas de feuille de route préétablie »

 

La Jeune Garde a le vent en poupe. À la manœuvre lors de la manifestation contre le meeting d’Éric Zemmour début décembre à Villepinte, cette organisation antifasciste âgée d’à peine quatre ans et déjà implantée à Lyon, Strasbourg et Paris, ouvre de nouvelles sections à Lille et Montpellier. Mais qu’est-ce que la Jeune Garde, quels sont ses objectifs, comment fonctionne-t-elle ? Entretien avec Raphaël Arnault, porte-parole lyonnais et membre fondateur.

 

Quel est ton parcours politique ? Comment es-tu venu à l’antifascisme ?

 

Il y a plusieurs épisodes d’attaque de l’extrême droite sur des cortèges qui m’ont marqué. J’étais lycéen en 2010 lors du grand mouvement contre la réforme des retraites et je participais aux manifestations lyonnaises aux côtés de milliers d’autres jeunes. À cette période, l’extrême droite lyonnaise avait prétendu défendre les commerçants face aux manifs et avait attaqué le cortège qui n’était absolument pas préparé à ça. C’est la première fois que je voyais des gens faire des saluts nazis et d’autres se faire lyncher au sol. J’ai également été marqué par la mort de Clément Méric en 2013 et les coups de couteaux portés à deux mineurs par des membres de Génération Identitaire et du GUD, à peu près à la même période. C’est là que je me suis dit « ah ouais, c’est ça l’extrême droite ! »

 

Jeune Garde Antifascisme
Raphaël Arnault lors de la manifestation antifasciste du 31 mai 2021 à Lyon. Crédit : GB

 

Politiquement, au lycée je m’identifiais pas mal à ce que pouvait faire le NPA. C’était la période Besancenot et cette volonté d’apporter une réponse radicale à nos problèmes de société sans être dans un folklore, ça me parlait. Une fois à la fac, je deviens adhérent et militant au NPA. Pendant les manifestations contre la loi Travail en 2016, j’anime même leur cortège.

D’ailleurs à cette période on voyait les fachos à toutes les manifs : soit ils tournaient autour du cortège en se marrant, soit ils attaquaient. Les cortèges de jeunes n’étaient pas du tout organisés pour répondre, même à 500 contre 20 nous étions aux abois. Pour moi, ce n’était pas une situation acceptable.

 

Sur quelles bases la Jeune Garde s’est-elle développée ?

 

La Jeune Garde est née à Lyon en janvier 2018 de la fusion de deux types de profils militants. D’une part des jeunes qui, comme moi, ont fait le constat que nous n’avions pas les armes face aux attaques de l’extrême droite. De l’autre, des antifascistes lyonnais plus anciens, Les Voraces, qui ont une expérience de rue et qui décident de remettre la main à la patte.

Dès le départ, nous avons décidé d’être dans une dynamique unitaire, ça tranchait pas mal avec ce que les groupes antifascistes avaient l’habitude de faire sur Lyon. Nous nous sommes donc présentés auprès de tous les groupes militants lyonnais allant des anarchistes aux réformistes. Cela a fini par déboucher sur le collectif Fermons Les Locaux Fascistes. Une vraie urgence, car ils pullulaient à l’époque.

Puis, la Jeune Garde Strasbourg est née en novembre 2019 et le groupe parisien en novembre 2020. Tout récemment, nous avons ouvert les sections de Lille et Montpellier. Pour que cela se fasse, il faut qu’il y ait une volonté des jeunes de ces villes et que les connexions entre eux et nous se passent bien. C’est quelque chose qui prend du temps.

 

Comment s’organise la Jeune Garde et comment recrutez-vous ?

 

On a bien sûr recruté au sein des organisations auprès desquelles on s’est présenté, mais notre volonté n’est pas de recruter seulement dans les milieux militants, elle est de créer un antifascisme populaire. C’est pourquoi nous recrutons avant tout sur nos lieux de vie.

Comme dans toute organisation, nous avons des réunions avec des membres actifs, un cercle de sympathisants. Dans nos cortèges, ce n’est pas très important que tout le monde soit à la Jeune Garde : on fonctionne à la pratique. Pour ce qui est du fonctionnement interne, nous avons des mandats clairs et ceux qui les détiennent doivent rendre des comptes devant le collectif. La grande difficulté c’est qu’on se veut ouvert tout en restant méfiant pour se protéger de l’extrême droite.  Nous sommes un groupe discipliné collectivement.

 

C’est aussi cette discipline, visible dans vos cortèges en manifestation, qui fait que parfois on vous traite de « staliniens ».

 

(Rires) Parfois on nous dit aussi que nous sommes des maoïstes ou des trotskistes. Personnellement j’ai une formation marxiste matérialiste mais la Jeune Garde est indépendante de tout parti et de toute organisation. 

 

Quels sont vos rapports avec les groupes antifascistes déjà existants ?

 

Nous ne partageons pas la manière dont ils construisent leur organisation mais nous ne sommes pas en concurrence avec eux (ndlr : voir le texte de présentation de la Jeune Garde Lyon publié en mars 2018). Ce sont la plupart du temps des groupes affinitaires et ils le revendiquent d’ailleurs. Nous voulons parler à plus de monde. Selon le contexte local, nous travaillons avec eux ou pas. Dans la période, les différences stratégiques ne doivent absolument pas nous diviser. L’extrême droite a gagné suffisamment de terrain pour qu’on ne puisse plus se le permettre. 

 

Quelle est votre stratégie pour combattre l’extrême droite ?

 

Nous n’inventons rien : on fait un travail de terrain : boîtage, tractage. On insiste sur l’autodéfense et la sécurité en manifestation, on se renseigne sur les activités de l’extrême droite. Le travail unitaire avec les organisations politiques proches est également central. On s’entraîne parfois aussi, on fait du sport. 

En réalité, notre antifascisme n’a pas de feuille de route préétablie. Nous nous adaptons à la situation. Quand il a fallu lutter contre l’implantation du Bastion Social nous avons travaillé unitairement pour mettre la pression sur les pouvoirs publics. Pour faire fermer les locaux de Génération Identitaire, c’était une autre paire de manches. Ses militants avaient une image publique plus lissée, ils s’exprimaient même dans les médias.

C’est là qu’on s’est dit qu’il fallait que nous aussi nous allions sur le terrain médiatique. C’est là que nous avons mis en place des porte-paroles. De même, nous n’avions jamais pensé au départ nous étendre nationalement. Pourtant, c’est en train de se faire.

 

Le fait que la Jeune Garde ait des porte-paroles, c’est la réelle nouveauté de votre organisation par rapport aux organisations antifascistes préexistantes. Comment cela s’est mis en place ?

 

Comme je l’ai dit, ce n’était absolument pas prévu. On a pensé qu’une présence médiatique serait utile pour lutter contre Génération Identitaire, puis on a gardé ce modèle pour la présidentielle où la question des médias est au centre.

Une figure publique a toujours été un problème dans le milieu antifasciste parce que ça met en danger la personne qui choisit de l’être. Pour ma part, tous les fachos de Lyon connaissaient déjà ma tête donc ça a été comme une évidence que je devienne porte-parole. Avoir des porte-paroles c’était aussi rompre avec la figure de l’antifasciste masqué, et être en accord avec notre volonté de porter un antifascisme populaire.

 

Quand ton mandat de porte-parole prendra-t-il fin ?

 

On ne sait pas, pour l’instant ce n’est pas prévu. Ça dépendra de l’évolution. Imaginons qu’Éric Zemmour arrive au pouvoir, la Jeune Garde rentrerait sans doute dans la clandestinité et il n’y aurait plus d’histoire de porte-parole.

 

Tu as pu te retrouver sur le plateau télé de Touche Pas à Mon Poste (TPMP) à débattre avec une influenceuse identitaire alors que les groupes de la gauche radicale, a fortiori les groupes antifascistes se tiennent en général à la ligne : « on ne parle pas avec l’extrême droite ». N’est-ce pas une contradiction ?

 

À l’heure actuelle, on n’a plus le luxe de déserter tous les plateaux où l’extrême droite est présente, sinon, malheureusement on ne va plus nulle part. Pour ce qui est de ma participation à TPMP, la décision n’a pas été facile à prendre en interne. Ça a encore été une affaire d’adaptation et de circonstances. Nous y sommes allés cette fois-là parce que nous pensions que nous pourrions arriver à apporter la contradiction à Juliette Briens (ndlr : l’influenceuse en question) et ses idées. Je n’ai pas discuté avec elle, c’était un combat. Même si ce n’est pas facile à mesurer, on pense qu’on l’a plutôt gagné cette fois-ci. Ça ne veut pas dire qu’on ira à chaque fois qu’on est invités ; d’ailleurs, nous avons décliné une autre invitation de TPMP ; mais on ne s’interdit pas de le faire.

De plus, ce genre d’émission, avec tous les défauts qu’elle a, nous a permis de toucher au-delà du cercle militant habituel. Je n’ai jamais reçu autant de messages, y compris de proches ou de copains pas particulièrement politisés, qui m’ont dit : « bravo, tu l’as faite taire la raciste ».