Plusieurs milliers de personnes ont marché dimanche dans les rues de Paris à l’occasion de la journée internationale des migrants. Dans toutes les têtes, la loi «immigration» de Gérald Darmanin, dont les contours encore flous ne masquent pas sa volonté répressive.
C’est un début de manif comme un symbole : plusieurs milliers de personnes, dont une grande partie de travailleurs sans-papiers, ont lancé le cortège porte de la Chapelle, face au chantier de la future Arena des JO 2024. « On profite de la visibilité de la coupe du Monde pour montrer que ce qu’il se passe au Qatar fait écho à ce qu’il se passe sur les chantiers des JO », soulève Mathieu Pastor, membre de la Marche des solidarités qui a organisé cette manifestation. En juillet 2022, l’Humanité révélait l’existence d’un important réseau de sous-traitants aux relents mafieux qui embauchait des travailleurs sans-papiers sur les chantiers des JO. En décembre, le Monde révélait à son tour la présence de nombreux travailleurs sans-papiers sur les chantiers des JO en Seine-Saint-Denis. Si l’on est loin de la situation du Qatar et ses milliers d’ouvriers morts sur les chantiers de la Coupe du monde, ceux des Jeux olympiques sont devenus le symbole d’une éternelle hypocrisie : celle de l’emploi de centaines de milliers de travailleurs sans-papiers en France alors que se multiplient les politiques répressives à leur encontre.
Une marche pour la dignité des travailleurs sans-papiers
Dans le cortège, le traditionnel camion de la CGT, le ballon rose de Solidaires, et les chants du NPA se mêlent aux tambours de nombreux collectifs de travailleurs sans-papiers. Ouvriers de la logistique, du BTP, livreurs, ils sont venus en nombre dénoncer leurs conditions de travail et l’accès toujours plus difficile aux régularisations : « Sur tout le territoire français, des migrants, qu’ils soient en situation régulière ou irrégulière sont en souffrance, s’insurge Adama, ouvrier de la logistique, un gilet aux couleurs de la CGT sur le dos. Ceux en situation régulière ne peuvent pas obtenir de rendez-vous en préfecture pour des renouvellements de titres de séjour. Ceux en situation irrégulière n’arrivent pas à obtenir les documents de leurs employeurs pour les régulariser », poursuit-il. William, casque de moto sous le bras, est livreur pour Uber eats et Delivroo. Il est venu avec une trentaine de collègue, sous la bannière du Collectif des livreurs autonomes des plateformes (CLAP). Il raconte ses conditions de travail : « C’est difficile, surtout en hiver. Les restaurants ne nous laissent pas nous réchauffer à l’intérieur, les clients nous parlent mal, et pour couronner le tout, les plateformes ne paient pas bien », enchaine-t-il. Comme beaucoup de livreurs, William travaille sous un faux nom et se bat depuis plusieurs mois contre Uber, qui a désactivé le compte d’au moins 2500 livreurs sans-papiers : « Pendant le confinement, ils nous appelaient pour nous faire travailler, ils savaient très bien qu’on était sans papiers. Là ils se permettent de nous jeter à la poubelle, de nous mettre dehors en disant que nos pièces d’identité ne sont pas bonnes. Mais ils ne se sont pas posé ces questions avant », fulmine-t-il.
Tout au long du cortège, chaque sans-papiers à son histoire, faite de galère administrative et de précarité : salaires non payés, patron qui licencie du jour au lendemain, préfecture inaccessible, régularisation impossible. Face à cette profusion de misère sociale, Jean Albert Guidou, secrétaire général de l’union locale de la CGT à Bobigny, voit dans la mobilisation de ces sans-papiers l’avant-garde d’un combat plus large pour la dignité des travailleurs : « Le rêve des patrons, c’est le statut qu’ont les travailleurs sans-papiers. La lutte qu’ils mènent est une lutte commune et importante pour tous les travailleurs de ce pays », analyse-t-il. L’avant-garde aussi d’une lutte qui se mènera dans les prochains mois contre la loi «immigration» de Gérald Darmanin.
Le début d’une mobilisation contre la loi «immigration»
Geneviève Jacques, ancienne présidente de La Cimade, soulève l’importance du contexte dans lequel se déroule cette journée internationale des migrants : « La prochaine loi «immigration» et la circulaire ultra répressive du ministère de l’Intérieur arrivent dans un contexte de banalisation des idées d’extrême droite, décrit-elle. On est très inquiet sur le durcissement et le recul de l’accès aux droits des personnes qui travaillent ici depuis longtemps et qui sont traités comme des délinquants ou comme une menace pour notre pays ». Mathieu Pastor abonde : « C’est une loi qui va faire passer un cap vers plus de racisme et de précarité, plus d’oppression des migrants, des sans-papiers et tout étranger de manière générale ».
Pour lui, la riposte démarre aujourd’hui et se poursuivra dès janvier prochain. Il rêve d’un large mouvement, contre cette loi bien sûr, mais aussi contre le racisme et les idées d’extrême droite : « On sent un niveau d’indignation qui diminue face à l’horreur. On doit organiser notre camp, les syndicats, les partis politiques, les associations, on a besoin d’une prise de conscience, on ne fera pas reculer le Rassemblement national en se battant uniquement contre les retraites. Il faut prendre de front ces attaques racistes et nationalistes et se battre contre elles », clame-t-il.
Le prochain rendez-vous est donné le 20 janvier à la bourse du travail, pour une assemblée générale qui discutera de la suite du mouvement.
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