Le projet de loi immigration sera présenté en début d’année prochaine au parlement. Révolution du système migratoire français ou gage envoyé à la droite, on fait le point sur une loi plus «ferme» qu’«humaine».
Quelle sera la teneur de la prochaine loi immigration qui sera débatue début 2023 au parlement ? En citant Jacques Bainville, historien figure de l’Action française (extrême droite royaliste) à la tribune de l’Assemblée nationale le 6 décembre 2022, Gerald Darmanin a déjà donné un début de réponse. Arrêter, juger et expulser plus vite, voilà comment résumer l’état d’esprit du projet de loi immigration, la 29e loi sur ce sujet depuis 1980. Demandeurs d’asile ou travailleurs sans-papiers, le texte vise à expulser systématiquement et plus rapidement ceux qui auraient épuisé tous leurs recours en vue d’obtenir un titre de séjour ou une protection. En parallèle, un nouveau titre de séjour « métiers en tensions » doit permettre de régulariser pour un an les travailleurs sans-papiers dans certains secteurs requérants de la main d’œuvre.
Immigration et délinquance, la liaison dangereuse de Darmanin
Si l’on parle ici d’un projet de loi qui sera débattu et probablement amendé avant d’être adopté, l’un de ses grands principes est déjà en cour d’application. Le 17 novembre 2022, Gérald Darmanin a demandé aux préfets d’agir plus fermement à l’encontre des personnes sans papier vivant sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Il demande notamment aux préfets d’inscrire les personnes sous OQTF dans le fichier des personnes recherchées, une mesure jusqu’ici réservée aux « étrangers délinquants ». Il souhaite aussi que soient renforcés le contrôle et la surveillance des étrangers sous OQTF en prenant des mesures d’assignations à résidence. Gérald Darmanin a annoncé clairement sa volonté de rendre leur vie «impossible». Un texte déjà largement critiqué par les associations de défense des sans-papiers, qui donne le ton du projet de loi, où « délinquance », « fermeté » » et « expulsions » sont les mots d’ordre.
Concrètement, les sans-papiers risquent d’être davantage scrutés par les autorités et de se voir délivrer systématiquement des OQTF, que ce soit après un contrôle de police ou un refus de titre de séjour. Sont aussi envisagées des mesures de signalements auprès des organismes sociaux comme l’hébergement d’urgence, les prestations sociales ou les bailleurs, visant à exclue de ces dispositifs des étrangers sous OQTF. Une mesure illégale, rappelle La Cimade, puisqu’il s’oppose avec le droit inconditionnel à un hébergement prévu par le code de l’action sociale et des familles.
Un titre de séjour « métiers en tensions », la fausse bonne idée
C’est le gage d’humanité envoyé par le gouvernement dans ce projet de loi. Gerald Darmanin et le ministre du Travail Olivier Dusspot ont décidé de lier les besoins en mains-d’œuvre avec la gestion migratoire. Une idée pas si nouvelle, qui rappelle l’immigration choisie chère à Nicolas Sarkozy, mais qui pose de nombreuses questions quant à son application concrète. Gérald Darmanin souhaite conditionner les régularisations des travailleurs sans-papiers à des secteurs économiques dits « en tensions », afin de créer un titre de séjour, valable un an et renouvelable tant que le métier exercé figure sur cette liste, qui sera finalisée en début d’année. Elle devrait concerner les métiers de nettoyage, de la restauration, de l’aide à domicile, du soin, des conducteurs routiers ou encore de la construction. Une idée qui suscite beaucoup d’espoir chez les travailleurs étrangers, rapporte Morade Zouine, avocat spécialisé dans la défense des sans-papiers, mais qui dans les faits, existe déjà : « Si on veut régulariser des gens dans des métiers en tension, on a déjà un instrument qui le permet, c’est la circulaire Valls de 2012. Il suffit que le ministre de l’Intérieur dise que tout étranger avec 8 bulletins de salaire soit régularisé et c’est possible », soutient-il.
Mais ce titre de séjour peut aussi créer des effets pervers : « Aujourd’hui, les salariés sans papier sont liés à leur employeur pour être régularisé, explique Christian Schweyer, porte-parole du Comité des travailleurs sans-papiers de Vitry (CTSPV). En tant que sans-papiers, ils acceptent des conditions de travail désastreuses, dans l’idée d’être un jour régularisé. Mais avec cette loi, s’ils sont régularisés, ils devront continuer d’accepter des conditions de travail désastreuses, puisqu’ils seront liés à un secteur d’activité, et ce, pour des visas d’un an », s’inquiète-t-il. En d’autres termes, les sans-papiers ne seront plus dépendants de leur patron, mais de l’État et de sa liste des métiers en tension. S’ils trouvent un autre travail dans un métier qui n’est pas sur la liste, ou si leur métier sort de la liste, ils auront de plus grandes difficultés à être régularisés et risqueront de tomber sous le coup d’une OQTF. « C’est avant tout un affichage cosmétique pour dire qu’une certaine frange de la population immigrée est admise au séjour par ce qu’elle travaille et qu’elle occupe des postes que les Français ne veulent pas, mais ça reste des métiers mal rémunérés avec des conditions de travail difficile », analyse Morade Zouine.
Accélérer les procédures d’asile pour expulser plus vite
Un important volet du projet de loi concerne les procédures de demandes d’asile, là encore, pour les accélérer et favoriser l’expulsion des déboutés. Deux institutions seront concernées par des changements : l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) et la Cour nationale du droit d’asile, là où les demandeurs d’asile peuvent déposer un recours s’ils ont essuyé un refus auprès de l’OFPRA. Actuellement, il faut se rendre dans les locaux de l’OFPRA, à Fontenay-sous-Bois (94) afin d’y réaliser un entretien auprès d’un agent avant d’obtenir une réponse quant à la demande d’asile. Même chose pour la CNDA, où l’on peut porter un recours, uniquement au siège, à Montreuil. Gérald Darmanin souhaite décentraliser ces deux institutions, en créant des guichets de l’OFPRA en préfecture et en offrant la possibilité de déposer un recours à la CNDA dans des tribunaux dans plusieurs villes de France.
« Avec ce projet de loi, l’objectif du gouvernement est de gagner un mois sur le délai d’introduction des demandes d’asile, explique Morade Zouine. Le problème, c’est que rien n’est prévu sur le renforcement des moyens. Tout le monde veut gagner du temps, il faut donc augmenter les effectifs, mais à aucun moment Gérald Darmanin n’explique qu’il souhaite le faire de manière significative », s’alarme-t-il. Depuis début octobre, les avocats de la CNDA sont d’ailleurs en grève contre le l’utilisation « massive et injustifiée » de décisions rendues par ordonnances, visant à refuser les recours des exilés avant même de les entendre en audience.
Pour l’avocat, le but de ces changements n’est pas de donner une réponse rapide dans un souci d’humanité, mais bien de faire vite pour « juger et expulser le plus vite possible ». Car il est aussi prévu de délivrer des OQTF directement après une décision négative de l’OFPRA. « Le but est de préparer la mesures d’éloignement, qui sera exécuté directement l’appel est rejeté à la CNDA », précise l’avocat. La Cimade de son côté dénonce le « détricotage » du système de droit d’asile sous prétexte de « simplification et de décentralisation ». L’association craint notamment la perte d’indépendance des agents de l’OFPRA, « placés de fait sous l’autorité des préfets », dans le cadre de la décentralisation de ses services.
Une loi encore plus dure après son vote ?
S’il ne s’agit que d’un projet de loi, les débats à l’Assemblée nationale en 2023 s’annoncent difficiles pour la majorité, qui pourrait concéder à la droite un durcissement du texte. Car sans majorité nette à l’Assemblée nationale, le gouvernement devra négocier les contours de la loi avec les républicains, seul allié potentiel pour la majorité. De son côté, le RN fustige une loi trop laxiste, tandis que LFI dénonce une vision utilitariste de l’immigration et appelle à plus de régularisation. Éric Ciotti, nommé récemment à la tête de LR, pourrait contribuer à ancrer le texte encore plus à droite, notamment en exigeant des quotas de régularisation liés aux métiers en tension ou une augmentation des expulsions. Pour Morade Zouine, dans tous les cas, les choses sont mal parties pour que la loi améliore les conditions de vie des travailleurs sans-papiers et des exilés : « C’est une réforme purement politique, il n’y a pas un besoin social impérieux de rajouter un texte, c’est pour ça qu’ils disent ce « en même temps » de fermeté et d’humanité. C’est une vieille rengaine, on reproduit les mêmes erreurs alors qu’on a déjà un arsenal législatif suffisant pour tout ça ». Une bataille politique intense est donc à prévoir pour 2023 autour de cette loi, très probablement accompagnée d’une surenchère de propos xénophobe et raciste dans les médias.
Les organisations de défenses des sans papiers et des exilés se mobilisent depuis début décembre contre cette loi, des marches sont organisée ce dimanche 18 décembre partout en France.
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