Grève automobile États-Unis

Grève automobile aux États-Unis : qu’est-ce qui marche là-bas ?

 

Depuis plus de deux semaines, les ouvriers de l’industrie automobile aux États-Unis sont entrés massivement en grève chez Ford, Général Motors et Stellantis. Le ciblage de sites stratégiques et l’appui sur une caisse de grève fournie ont permis de peser dans les négociations et d’obtenir des avancées. En France, comment l’annonce de cette grève est-elle reçue par les travailleurs de l’automobile ? Entretien avec Jean-Pierre Mercier, délégué syndical SUD Stellantis Poissy et militant à Lutte Ouvrière.

 

Rappel des faits :

Depuis le 15 septembre, un mouvement de grève massif touche l’industrie automobile aux États-Unis. Dans un premier temps, les salariés de Ford, Général Motors (GM) et Stellantis se sont mis à l’arrêt sur trois sites – un site par constructeur – à l’appel du syndicat unique de l’automobile : United Auto Worker (UAW). Au total, 12 700 des 146 000 membres de ce syndicat travaillant pour ceux que les Américains appellent « Big Three » ont cessé le travail. Fin août, les syndiqués s’étaient prononcés à 97% pour la grève par un vote, conformément à leur législation.

Au cours des six premiers mois de l’année 2023, GM, Ford et Stellantis ont réalisé 21 milliards de dollars de bénéfices. Des résultats dopés par l’envolée des prix causée par les pénuries de semi-conducteurs. Les revendications de l’UAW sont nombreuses car elles se veulent proportionnées aux résultats du groupe.

L’UAW demande ainsi 46% d’augmentation de salaire pour les 4 ans à venir, puisque c’est à ce taux que se sont augmentés les dirigeants des « Big Three » ces 4 dernières années. Le syndicat revendique également le rétablissement d’une « indemnité de vie chère », la refonte d’un système s’apparentant à du travail intérimaire pour les nouveaux salariés, des pensions à prestations définies et des soins de santé pour les retraités, l’accès au droit de grève lors des fermetures d’usines, l’augmentation significative des avantages actuels pour les retraités ainsi que davantage de congés payés « pour se consacrer à la famille ».

 

Grève automobile États-Unis
Grève chez Stellantis en France pour l’augmentation des salaires en octobre 2022. Crédit photo : Serge d’Ignazio.

 

Pour l’heure, la grève dans l’automobile aux États-Unis fait mouche. Après une semaine de lutte, Ford a décidé de lâcher du lest, a accepté de prendre en compte l’inflation et a revu en profondeur sa grille salariale. « Nous avons encore beaucoup de points importants à travailler, mais nous devons reconnaître que Ford montre qu’il est sérieux dans sa volonté de trouver un accord. Pour GM et Stellantis, c’est une autre histoire », a déclaré Shawn Fain, le nouveau dirigeant de l’UAW, un électricien de 54 ans élu à l’hiver 2022. Les deux constructeurs automobiles refusant de plier, l’UAW a décidé d’étendre la grève dans 38 centres de distribution de pièces détachées de General Motors et de Stellantis le 22 septembre. Bilan : 5600 adhérents supplémentaires du syndicat sont entrés en grève. Un dosage savant qui permet à l’UAW de continuer à dédommager financièrement les grévistes tout en préservant sa caisse de grève, qui s’élève à 825 millions de dollars.

 

Entretien  avec Jean-Pierre Mercier, délégué syndical  SUD Stellantis Poissy et militant à Lutte Ouvrière

 

Quelles conclusions tirer de la grève qui a lieu actuellement aux États-Unis ? Pourquoi ça marche là-bas ?

 

Il faut d’abord noter que, même si le mouvement n’est pas terminé et que tout n’a pas été obtenu, cette grève est déjà une réussite. Les propositions faites par les constructeurs ont beaucoup évolué depuis le début du conflit. Stellantis, qui est peut-être le groupe le plus difficile à faire fléchir, est passé de 14,5% d’augmentation des salaires sur 4 ans avant la grève à 17,5% puis à 21,5%. On est encore loin des 46% demandés mais cela montre que la grève a des effets. Ce qui est positif, c’est qu’on voit chez les ouvriers américains une véritable détermination à engager le bras de fer.

 

Est-ce qu’il y a des raisons, propres à la structuration du syndicalisme aux USA ou à la stratégie employée par l’UAW, qui font que cette grève fonctionne ?

 

C’est sûr que le modèle de syndicat unique donne une force. En France, j’y suis personnellement favorable, l’émiettement syndical nuit à la lutte. Mais ce n’est pas forcément la structure qui permet de tout expliquer. Regardez : cela faisait 40 ans qu’il n’y avait pas eu de grève de cette ampleur dans l’industrie automobile américaine et avant l’arrivée de la nouvelle direction (NDLR : élue à l’hiver 2022) au sein de l’UAW, le syndicat avalait toutes les couleuvres possibles et signait tous les accords avec les patrons.

Sur le plan de la stratégie, l’UAW a décidé qu’il fallait commencer par bloquer seulement 3 sites. Je ne sais pas si c’est une bonne option ou non, je ne suis pas là-bas. Mais je crois qu’une des très grandes faiblesses de cette grève c’est que c’est le syndicat qui décide à la place des grévistes. Les travailleurs sont dominés dans le travail, dans leur vie, tout le temps. Ce sont eux qui se mettent en danger lors de la grève, en sacrifiant du salaire, en prenant des risques. Ils doivent pouvoir décider de la manière dont se mène leur grève, j’ai toute confiance en eux.

 

Le recours à la sous-traitance, aux intérimaires, l’atomisation des collectifs de travail sont des facteurs qui nuisent à la grève habituellement. Ce n’est pas le cas aux États-Unis ?

 

Si, bien sûr, aux États-Unis cette division est encore plus poussée qu’en France. Dans l’automobile, il faut six ans de présence à un nouveau salarié pour avoir les mêmes droits que les permanents. L’UAW https://www.okpal.com/rapports-de-force-l-info-pour-les-mouvements-soc/#/veut faire chuter cette période à 90 jours. De même, la sous-traitance est très présente : le patronat divise tout ce qu’il peut diviser pour faire croire aux ouvriers que leurs intérêts ne sont pas les mêmes. C’est vrai qu’on a l’habitude de dire, en France, que les intérimaires ne se mettront jamais en grève. Pourtant, je crois que quand le rapport de force est important tous les salariés sont embarqués. C’était le cas en mai 1968, c’est la force de la classe ouvrière.

 

Comment cette grève dans l’automobile aux États-Unis est-elle reçue chez Stellantis en France ?

 

Ça nous donne énormément d’arguments. Récemment nous sommes passés dans l’entreprise avec un tract pour informer de ce qu’il se passait aux États-Unis. Les salariés voient que leurs frères américains demandent 46% d’augmentation de salaire alors qu’ils ont déjà obtenu 14 000 dollars de prime d’intéressement. Ils sont admiratifs, ça force le respect. Chez Stellantis en France aussi la colère est grande, fin septembre 2022, nous avons mené plusieurs journées de grève dans tout le groupe pour l’augmentation des salaires. Il y a eu une série de débrayages dans les usines et on n’avait pas vu ça depuis la grève de PSA Mulhouse en 1989. Je ne fais pas de langue de bois, on a atteint notre limite assez rapidement, il manquait de la détermination. Quand on s’attaque aux augmentations de salaire, on s’attaque au cœur de l’exploitation capitaliste, moi je milite pour que les travailleurs prennent conscience que le seul moyen qu’ils ont de gagner c’est de mener un large bras de fer. Encore aujourd’hui, Sud-Stellantis demande 400€ d’augmentation du salaire mensuel et la situation aux États-Unis prouve que mener la lutte est possible et efficace. Maintenant les ouvriers français n’ont pas débrayé spontanément en soutien à leurs camarades américains. Ça ne marche pas comme ça.

 

Joe Biden s’est rendu sur un piquet pour soutenir les grévistes. En France, on imagine difficilement Emmanuel Macron faire de même. Comment expliquer cette situation ?

 

Et pourquoi pas ? Les politiciens sont toujours surprenants, ils sont capables d’être dans une posture un jour et le lendemain dans une autre. Je me rappelle qu’Emmanuel Macron et Marine Le Pen s’étaient rendus dans l’usine Whirlpool, en grève contre sa fermeture, pendant l’entre-deux-tours en 2017. En revanche, il est possible que la présence de Joe Biden aux côtés de l’UAW emmerde Carlos Tavares (NDLR : DG de Stellantis) et les autres dirigeants de l’automobile. Comme au tennis, les grévistes doivent jouer toutes les balles, mais personne n’est dupe, ils ne sont pas les amis de la classe ouvrière.

 

Crédit photo principale : UAW