Forum Réfugiés

« Je suis sous anxiolytiques, je ne dors pas la nuit » : salariés en crise à Forum Réfugiés

 

Stress au travail, sous-effectif, manque d’accompagnement suite au décès d’un collègue… Un collectif de salariés lyonnais de Forum Réfugiés, association gestionnaire financée par l’État pour l’hébergement et l’insertion des personnes exilées, dénonce une situation explosive. Et s’inquiète de la dégradation des conditions de travail dans ce type de structures, à l’heure d’un nouveau projet de loi immigration. 

 

Une soixantaine de travailleurs sociaux se sont rassemblés devant la préfecture du Rhône, mardi 21 novembre. La mobilisation, doublée d’un mouvement de grève, a été lancée par un collectif de salariés lyonnais de l’association Forum Réfugiés, opérateur majeur de l’État dans l’hébergement et l’insertion des demandeurs d’asile et réfugiés.

Soutenue par la CGT, ceux-ci souhaitent alerter, à l’échelle nationale, sur « la dégradation des conditions de travail dans les structures d’accompagnement des personnes étrangères ». Des représentants de salariés ont été reçus en préfecture pour partager leurs revendications.

Ces professionnels exercent dans le CPH (centre provisoire d’hébergement, accueillant des personnes ayant obtenu un titre de séjour) et le CADA (centre d’accueil des demandeurs d’asile) de Vaulx-en-Velin et de Lyon 8e . Les conditions de travail « y sont exécrables : pas de remplacement des absents, structures vétustes, punaises de lit et cafards, coupures d’électricité…  Nous voulons plus de moyens, d’effectifs, une revalorisation salariale et le respect par l’employeur de ses obligations de sécurité », martèle Fabien*, membre du collectif de salariés.

Les témoignages et documents recueillis par Rapports de Force décrivent une souffrance au travail généralisée dans ces structures lyonnaises. « Je suis sous anxiolytiques, je ne dors pas la nuit », nous confie Fabien. Un autre salarié évoque des « malaises et crises d’angoisse au travail, insomnies et arrêts répétés », dans une attestation de témoin (pièce manuscrite destinée à la justice). Une enquête de l’inspection du travail est en cours.

 

Décès d’un collègue : « une vingtaine de salarié·es partis en quelques semaines » 

 

L’inspection du travail a commencé à se pencher sur le dossier fin août. Le tournant a lieu lundi 21 août : ce jour-là, les salariés du CADA et CPH apprennent le décès de l’un de leurs collègues. Un temps d’échange est organisé par deux cadres du siège de Forum Réfugiés.

De nombreuses difficultés sont exprimées à cette occasion par les salariés, qui déplorent un manque de soutien. « Le débat s’envenime et les difficultés des mois précédents ressortent », retrace un salarié dans une autre attestation de témoin. La discussion tourne court ; trois salariés quittent la salle.

Dans la foulée, des convocations en entretiens individuels sont envoyées. « Seuls deux agents d’entretien, sur les 22 salariés que comptent nos équipes, n’ont pas été convoqués », décompte Paul*, travailleur social membre du collectif.

Quatre salariés écopent de mises à pied disciplinaires, parfois après des semaines de rupture de salaire dues à une mise à pied à titre conservatoire. Deux sont licenciés pour inaptitude, reconnus comme tels par la médecine du travail. Les arrêts maladie pleuvent. Le collectif compte « une vingtaine de salarié.es partis en quelques semaines ». Soit la quasi-totalité des effectifs.

 

« On voyait, jour après jour, la dégradation de son état mental et physique »

 

« Venus réconforter l’équipe affectée par le décès subit d’un collègue, les représentants de la direction ont été accueillis par certains salariés par des insultes et des menaces, lesquelles ont donné lieu à des sanctions », déplore aujourd’hui la direction de Forum Réfugiés auprès de Rapports de Force.

Dans le courrier de notification d’une sanction disciplinaire d’un salarié, que nous avons pu consulter, il est reproché l’évocation de faits antérieurs qui « n’avaient pas leur place », dans la réunion du 21 août, et la tenue de propos « accusatoires » sur la responsabilité de la direction dans le mal-être du collègue décédé.

« On voyait, jour après jour, la dégradation de son état mental et physique. Il était en surcharge. Il disait qu’il ne faisait pas du vrai travail social », se souvient pour sa part Fabien, qui se dit « très proche » du collègue décédé. Lui et d’autres salariés assurent avoir fait part à leurs supérieurs hiérarchiques, à l’oral, de leurs inquiétudes.

Dans son communiqué, le collectif affirme ainsi que la direction a été alertée « directement » par les équipes de cette situation individuelle, en particulier « la responsable adjointe de l’hébergement, le directeur général de Forum Réfugiés et leurs chefs de service respectifs (…) Aucun soutien n’a été apporté ».

Interrogée sur les remontées d’information concernant le mal-être de ce salarié, la direction nous répond en une seule phrase : « l’amalgame qui consiste à faire insidieusement le lien entre la situation du service et ce décès est abject ».

 

Alertes antérieures : « on a été laissés à l’abandon »

 

De manière collective, des difficultés dans les services sont exprimées depuis plusieurs mois. Dans un courrier adressé en juin par la DRH, onze salarié·es, dont l’homme aujourd’hui décédé, font part de difficultés avec leur cheffe de service depuis « l’été 2022 ». Ils y listent des agissements problématiques selon eux, tant vis-à-vis des résidents que des salariés. Des allégations « infondées », commente aujourd’hui la direction.

Surtout, les salariés y font part des « risques psychosociaux » engendrés : « épuisement physique, fatigue psychologique, anxiété (boule au ventre avant les interactions avec notre cheffe, appréhension avant les échanges et pour venir travailler, stress général), troubles du sommeil ».

Suite à ce courrier, des entretiens individuels se sont tenus. « Les signataires ont été invités à s’exprimer sur les faits dénoncés ; ces entretiens n’ont donné lieu à aucune sanction », nous indique le siège. Une précision qui se veut une réponse à la lettre ouverte du collectif de salariés, qui évoque des « menaces de sanctions pénales » durant ces entretiens.

Fabien, par exemple, a vécu le sien comme « une pression mise sur les lanceurs d’alerte ». Un autre salarié écrit avoir constaté le « mal-être » de tous ceux convoqués comme lui (dont Fabien ou encore le collègue décédé). Ces entretiens ont été « vécus comme culpabilisants, brutaux, et remettant en cause notre parole concernant nos difficultés », estime-t-il.

 

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Pendant plusieurs mois, de juin à fin août, les équipes ont ensuite fait face à une absence d’encadrement. « Nos deux chefs de service étaient en arrêt, on a été laissés à l’abandon », raconte aussi Paul*. Il assure que « le travail se faisait, car nous avons une conscience professionnelle » ; mais regrette qu’« aucun cadre de direction ne soit venu nous soutenir ». Le collègue aujourd’hui décédé, notamment, « s’est retrouvé très isolé sur site, sans chef de service, à gérer une soixantaine de résidents, avec seulement un ou deux collègues de temps en temps », souligne Fabien.

Entre « les entretiens individuels, le sous-effectif, la surcharge de travail, l’absence de soutien au collègue alors qu’ils étaient au courant de la situation… Nous n’avons jamais dit que nos cadres étaient responsables de la mort de notre collègue. Mais ils le sont de la dégradation de son état psychologique au travail », résume aujourd’hui Fabien.

 

« Forum Réfugiés fonctionne avec l’argent public, donc vos impôts »

 

« Quel est l’intérêt de tout ça, si ce n’est renouveler toute l’équipe en nous poussant vers la sortie ? », s’interroge Paul. Avec l’arrivée de la nouvelle loi immigration, qui durcit l’accès aux droits, « nous essayons de faire rempart pour donner de la dignité aux gens, tout en faisant notre travail… Mais j’imagine qu’ils veulent des gens plus rentables », soupire le travailleur social.

« Cette situation est aggravée par la politique de gestion et de marchandisation du flux des hébergés (…) ainsi que l’accélération des procédures administratives et la pression exercée par la préfecture pour « fluidifier » le dispositif national d’accueil », abonde le collectif de salariés dans un communiqué listant diverses revendications.

Sur les 46 millions d’euros de financements reçus par Forum Réfugiés en 2022, l’immense majorité provient de l’État et du ministère de l’Intérieur. « Forum Réfugiés fonctionne avec l’argent public, donc vos impôts. C’est étrange de les utiliser ainsi », déplore Paul. Ce n’est pas la première fois que des crises internes sont documentées, notamment par Médiacités. « Les premiers à en pâtir, ce sont les familles et les personnes accompagnées ». Près de 300 sont actuellement hébergées au CADA (Centre d’accueil pour demandeurs d’asile) et CPH (Centre provisoire d’hébergement) lyonnais.

La direction de Forum Réfugiés assure que la situation à Lyon fait désormais « l’objet d’un accompagnement renforcé par des cadres expérimentés pour que les services retrouvent leur activité dans un cadre serein ».

 

Crédit photo : collectif de salariés Forum Réfugiés