Argentine Milei

Argentine : « mega-décret », loi omnibus, grève générale, un mois au pouvoir de Milei

L’Argentine s’annonce comme un lieu central d’affrontement entre une extrême droite arrivée au pouvoir qui veut appliquer une thérapie de choc libérale au pays, et le mouvement social argentin qui appelle déjà à une grève générale le 24 janvier. Si vous avez décroché de l’actu au tournant des fêtes, Rapports de force vous résume l’essentiel du premier mois au pouvoir du nouveau président Javier Milei.

 

« L’Argentine est un autre pays. Le capitalisme triomphe » fanfaronnait Javier Milei dans un tweet illustré d’une photo d’un rayon rempli de bouteilles de Coca-Cola, la veille du réveillon de la nouvelle année. En 20 jours de pouvoir, le nouveau président d’extrême droite de l’Argentine a déjà multiplié les mesures fracassantes, dont l’objectif est la dérégulation la plus rapide et complète possible de l’économie du pays. À peine deux jours après la prise de fonction de Milei, son ministre de l’économie, Luis Caputo, annonce la dévaluation de la monnaie nationale de 50 %. Avec pour conséquence l’augmentation du coût des marchandises en provenance d’autres pays.

Alors que l’inflation s’élève déjà à 160 % sur les douze derniers mois – et même autour de 30 % pour ce mois de décembreles prix de ces marchandises et des productions qui en dépendent vont encore grimper. D’autres annonces défavorables pour la population ont été faites le même jour, comme la réduction des subventions publiques pour les transports et l’énergie. Cette décision entraîne de premières hausses des prix de ces services essentiels, touchant particulièrement les couches les plus vulnérables de la société. Également parmi les mesures draconiennes annoncées : la suppression de 5000 postes de fonctionnaires recrutés au cours de la dernière année. Ces mesures d’austérité s’inscrivent dans un vaste plan visant à économiser 18,5 milliards d’euros au cours de la première année du mandat, selon le ministre de l’Économie.

 

Stratégie du choc en Argentine

 

Deux jours seulement après ces premières mesures choc, le 14 décembre, la ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, s’attaque au droit de manifestation. Dans le viseur du nouveau pouvoir, les piquets de grève et les blocages de routes. Ainsi, pour réduire la contestation sociale, le gouvernement prévoit que toutes les forces de l’ordre fédérales pourront intervenir sur des blocages et que le coût de ces interventions incombera aux organisateurs. Parallèlement, des sanctions s’appliqueront aux parents qui amènent des mineurs à des manifestations, a assuré la ministre qui, hors de toute raison, accuse les manifestants de les utiliser comme bouclier humain. Comme si cela ne suffisait pas, la ministre du Capital humain, nom donné par le nouveau pouvoir pour les domaines du travail, des affaires sociales et de l’éducation, menace les Argentins les plus pauvres de se voir couper leurs allocations en cas de participation à un piquete.

Mais la première semaine au pouvoir de l’extrême droite argentine n’était qu’une mise en bouche. Dès la seconde, le 20 décembre, Javier Milei promulgue un « Décret de nécessité et d’urgence » (DNU) devant prendre effet le 29 décembre. Celui-ci, surnommé « Mega-decret », abroge la loi encadrant les loyers. Mais aussi celle interdisant les privatisations d’entreprises, comme la compagnie aérienne Aerolineas ou le pétrolier YPF. De même, la limitation de la spéculation, entreprise par la grande distribution sur les prix de première nécessité, est supprimée. Les attaques contre le droit du travail sont nombreuses : passage de la période d’essai de trois à huit mois, réduction des indemnisations en cas de licenciement, ou encore remise en question d’accords collectifs vieux de plus de 40 ans. Avec 366 articles, le DNU contient des mesures de dérégulation tous azimuts qui concernent le tourisme, la santé, le commerce, internet, les transports ou encore la viticulture.

Mais ce n’est pas tout. Le 27 décembre, le gouvernement dépose au congrès un projet intitulé « loi de base et points de départ pour la liberté des Argentins ». Appelé « loi omnibus », le texte comprend 664 articles portant sur l’ensemble des secteurs de l’économie et de la vie sociale du pays. En préalable, il permet un « état d’urgence en matière économique, financière, fiscale, de sécurité, de défense, tarifaire, énergétique, sanitaire, administrative et sociale jusqu’au 31 décembre 2025 », renouvelable une fois. En clair : la possibilité durant son mandat de s’affranchir du parlement où la Libertad Avanza (La Liberté avance), le parti de Milei, est minoritaire, même avec son allié de droite. Parmi les mesures phares du texte de loi : la privatisation d’une quarantaine d’entreprises publiques, de nouvelles restrictions du droit de manifester qui considère tout « rassemblement intentionnel et temporaire de trois personnes ou plus » comme une manifestation pouvant entraîner des condamnations à 3 ans et demi de prison en cas de blocages. Mais aussi des modifications fiscales, du calcul des retraites et encore du système électoral supprimant les primaires des partis et changeant les équilibres de la Chambre des députés. Étonnamment au bénéfice du parti de Milei et de son allié de droite.

 

Une confrontation inévitable

 

« Ils ont voté pour lui [Milei] pour gouverner et les travailleurs ont voté pour nous pour les défendre » expliquait Héctor Daer, un des secrétaires généraux de la CGT le 28 décembre dernier. Ce jour-là, le premier syndicat du pays appelait à une grève générale pour le mercredi 24 janvier, afin de s’opposer au « méga-décret » et à la loi omnibus. Un record de rapidité en Argentine, moins de trois semaines après la nomination Javier Melei. Depuis, la CGT, considérée comme accommodante avec les gouvernements précédents, a été rejointe par d’autres syndicats (les deux CTA) et plusieurs mouvements sociaux et politiques.

Une date qui sera décisive pour mesurer la capacité du mouvement social à s’opposer au bulldozer ultralibéral et autoritaire du nouveau gouvernement. Et ce sous la pression des premières mesures anti-manifestations prises par l’exécutif. Déjà le 20 décembre, des dizaines de milliers d’Argentins étaient descendus dans la rue (25 000 à Buenos Aires) au soir des annonces de Milei sur le DNU et pour l’anniversaire des soulèvements populaires de 2001. Javier Milei avait mis en scène la surveillance policière de ces premières manifestations et déployé 5000 policiers dans la capitale, selon le quotidien Clarin. Une pression qui ne s’est pas démentie lors des manifestations suivantes qui ont également réuni de nombreux Argentins pendant les fêtes, comme le 27 décembre.

 

 

En plus des mobilisations sociales et des manifestations contre lui, le DNU a été attaqué devant les tribunaux, notamment par la CGT qui le juge anticonstitutionnel. Le 3 janvier, une décision judiciaire (chambre du travail) a suspendu une partie du décret : celui concernant la réforme du travail. Si cette décision bride quelque peu le pouvoir dans son entreprise de dérégulation, le gouvernement a annoncé son intention de faire appel. L’avenir du DNU reste donc incertain, de même que celui de la loi omnibus qui doit être examinée par le congrès tout au long du mois de janvier. Cependant, malgré sa victoire devant les tribunaux sur le volet travail du méga-decret, la CGT a confirmé son appel à la grève le 24 janvier pour obtenir le retrait total du texte.

Photo de Une : Oliver Kornblihtt / Mídia NINJA