grève Emmaüs Nieppe

Dépouille de sanglier déposée sur le piquet : les grévistes d’Emmaüs Nieppe dénoncent une « menace de mort raciste »

 

Samedi 17 février, les grévistes sans-papiers d’Emmaüs Nieppe (Nord) ont retrouvé une dépouille de sanglier à l’endroit où ils installent chaque jour leur piquet de grève. Ils dénoncent une « menace de mort raciste ». Pendant ce temps, les grèves continuent dans plusieurs communautés Emmaüs du Nord. Deux anciens dirigeants sont convoqués au tribunal le 13 juin pour « travail dissimulé aggravé ».

 

« La dépouille du sanglier a été déposée juste à l’endroit où on monte notre piquet, c’est évident que c’est nous qui sommes visés. C’est une menace de mort raciste », soutient Rodrigue, porte-parole des grévistes d’Emmaüs Nieppe (Nord). Ce samedi 17 février, vers 8 heures du matin, les six grévistes de cette petite communauté Emmaüs du Nord rejoignent le lieu où ils installent, pour le 141e jour consécutif, le campement de fortune depuis lequel ils mènent la lutte pour leur régularisation. Ils découvrent alors, horrifiés, le cadavre de l’animal. « Les morceaux comestibles avaient été enlevés. Il ne restait que la peau et la tête, détachée du corps. On l’a mis dans un sac en attendant de savoir quoi en faire », décrit Rodrigue.

Pour ces six compagnons sans-papiers, originaires de pays d’Afrique (sur 21 compagnons au total à Emmaüs Nieppe), il ne fait aucun doute qu’ils sont victimes d’une menace à caractère islamophobe, le sanglier étant un animal interdit à la consommation dans l’islam. Stéphane Vonthron, membre du bureau de l’Union départementale CGT du Nord, venu rapidement constater l’acte de malveillance et soutenir la grève d’Emmaüs Nieppe, ajoute : « bien-sûr, ça nous rappelle des actions islamophobes bien connues, comme les têtes de cochon déposées devant les mosquées. Mais le sanglier, c’est aussi un animal sauvage. J’y vois une dimension supplémentaire. On vient leur dire : “nous sommes chasseurs, nous avons des fusils“. C’est donc aussi une menace de mort et les grévistes se sont rapprochés de notre avocat pour porter plainte. »

 

grève Emmaüs Nieppe
La dépouille du sanglier retrouvée sur le piquet de grève d’Emmaüs à Nieppe. Crédit : DR.

 

Situé au croisement d’un chemin communal et d’une route départementale, le piquet de grève est tenu dans des conditions particulièrement difficiles. Outre les plus de 140 jours de grèves, la pluie, le vent, le froid et la solitude pèsent sur le moral des grévistes. Dans ce contexte, le dépôt du cadavre de sanglier est un coup de massue supplémentaire. « Nous, on est en France parce qu’on aime la France. Mais la France ne nous aime pas. Ce qui nous arrive je ne le souhaiterais même pas à notre pire ennemi », assène Rodrigue.

 

Une grève à Emmaüs Nieppe pour avoir des papiers…

 

Quatre communautés Emmaüs se sont mises en grève depuis l’été 2023. D’abord celle de Saint-André-Lez-Lille, début juillet, puis celles de Grande-Synthe et de Tourcoing, respectivement fin août et début septembre.

Entrée en lutte le 30 septembre, la communauté Emmaüs de Nieppe, la plus rurale – et donc la plus éloignée des centres villes, de l’activité militante et des lieux de décision -, fait office de petite dernière. Mais les revendications portées par les grévistes y sont les mêmes qu’ailleurs : l’obtention de conditions de vie et de travail dignes et la régularisation des travailleurs sans-papiers.

Rodrigue dénonce notamment « la fausse promesse d’Emmaüs » : obtenir sa régularisation au bout de trois années consécutives de travail au sein de la communauté. « Je travaille à Emmaüs Nieppe depuis 4 ans et je n’ai jamais été régularisé contrairement à ce qui m’avait été dit au départ. »

 

Troisième site en grève chez Emmaüs dans le Nord : les salariés et les compagnons unis

 

En effet, la loi immigration du 10 septembre 2018 donne la possibilité aux compagnons sans-papiers d’Emmaüs d’obtenir une carte de séjour sur la base de trois années d’expérience au sein des communautés. Mais, un an et demi après l’entrée en vigueur des textes, Emmaüs France a pu constater que cela n’avait rien d’automatique. La régularisation reste de l’ordre du pouvoir discrétionnaire des préfets. De plus, les communautés Emmaüs de Saint-André-Lez-Lille et de Nieppe ne sont pas reconnues comme Organisme d’accueil communautaire et d’activités solidaires (OACAS), agrément qui permet aux compagnons faisant une demande de papiers de les obtenir plus facilement. Et les grévistes de Nieppe de Saint-André-Lez-Lille reprochent à leur ancienne direction de leur avoir caché que les deux communautés ne détenaient pas cet agrément.

 

…et des contrats de travail

 

S’ils n’ont pas de papiers, les grévistes d’Emmaüs ne sont pas salariés non plus. Ils sont rémunérés via une allocation communautaire d’environ 350 euros, n’ont pas de contrat de travail et pas la possibilité de passer par la case prud’hommes. Ils n’ont donc pas d’horaires de travail imposés, en théorie. Mais dans la mesure où ce public est particulièrement précaire, qu’il loge sur place et qu’il espère obtenir une régularisation par le biais d’Emmaüs, il peut parfois être difficile de dire non à un directeur.

Ainsi, les grévistes de Nieppe décrivent des journées de travail d’au moins 40 heures par semaine, effectuées dans des conditions difficiles et demandent, avec la CGT, une requalification de leurs contrats de travail. Dans une longue réponse envoyée à Mediapart, le direction d’Emmaüs Nieppe nie toute forme de subordination dans le travail des compagnons et assure que l’activité des grévistes sur le site était bien conforme à la charte des communautés Emmaüs. Malgré tout, deux anciens dirigeants d’Emmaüs Saint-André-Lez-Lille et d’Emmaüs Nieppe, Anne Saingier et Pierre Duponchel, sont convoqués le 13 juin 2024 au tribunal pour des faits de « travail dissimulé aggravé ».

 

Racisme à l’extérieur et à l’intérieur de la communauté

 

À ce contexte de soupçon de travail dissimulé s’ajoute donc le racisme. Dans cette circonscription passée au Rassemblement national en 2022, les automobilistes de passage marquent parfois leur hostilité vis-à-vis des grévistes. « C’est terrible, mais on n’est pas si étonnés de recevoir ce sanglier mort. Depuis qu’on mène cette lutte, il arrive que des gens qui passent en voiture sur la route nous insultent. On entend des mots tels que “retournez travailler bande de fainéants, ici c’est la France“. On essaie de ne pas s’arrêter à ça, on reçoit aussi beaucoup de soutien ».

Un racisme auquel les six grévistes se disent malheureusement habitués depuis longtemps, au sein même de leur communauté Emmaüs. Capture d’écran à l’appui, ils nous décrivent l’existence d’un groupe Whatsapp de bénévoles et compagnons d’Emmaüs Nieppe qui ont tenu des propos racistes à leur égard. De même, sur une page Facebook favorable à la réouverture d’Emmaüs Nieppe, un internaute propose également aux grévistes » l’achat d’un billet retour [ndlr : vers leur pays d’origine] ». Toujours dans sa réponse à Mediapart, sur ces deux points, la direction d’Emmaüs Nieppe « condamne les faits » et soutient qu’ils sont « contraires à ses valeurs », tout en se montrant incapable d’y mettre fin.

 

« Plus rien à perdre » : les compagnons Emmaüs du Nord déterminés à poursuivre la grève

 

Pour Rodrigue, cette situation provient aussi de la manière dont compagnons sans-papiers et compagnons français cohabitent au sein même d’Emmaüs Nieppe. À la différence d’autres communautés – comme à Saint-André-Lez-Lille – quasi exclusivement composées de compagnons étrangers en situation irrégulière, Emmaüs Nieppe compte une bonne moitié de Français. « Il y a 11 français et 10 étrangers. Les Français n’ont pas de raison de faire grève puisqu’ils ont des papiers. En plus, ils touchent le RSA et 200€ de la communauté. On n’a donc pas le même argent, on n’est pas égaux. De même, ils ont un frigo réservé aux Français, auquel on n’a pas le droit de toucher. Il y a du racisme », décrit le porte-parole des grévistes.

Dans un tel contexte de racisme, l’UD CGT du Nord et le Collectif Sans-papiers 59, qui soutiennent les luttes des compagnons d’Emmaüs sans-papiers du Nord, prennent la menace du dépôt de sanglier mort au sérieux. « Ce cadavre de sanglier, c’est peut-être l’image de ce qu’ils aimeraient nous faire », conclut Rodrique.

 

 

Crédit photo de une : DR.