Malgré le blocage de leurs régularisations en préfecture et des convocations au commissariat lundi, les 21 compagnons sans-papiers du site Emmaüs de Saint-André-Lez-Lille maintiennent leur mobilisation. Ceux des sites de Grande-Synthe et de Nieppe, situés également dans le département du Nord, restent tout autant déterminés.
Dans le Nord de la France, trois sites Emmaüs sont encore en cessation d’activité, avec des actions de blocage : Saint-André-Lez-Lille, Nieppe et Grande-Synthe. Les compagnons sans-papiers, logés et travaillent dans ces communautés, continuent de s’y mobiliser, après mois de grève, pour dénoncer leurs conditions de travail. « Il y a des hauts et des bas, mais ils restent déterminés. Ils n’ont plus rien à perdre », décrit Jean-Paul Delescaut, secrétaire de l’union départementale CGT du Nord.
À l’origine du mouvement, les compagnons du site de Saint-André-Lez-Lille sont en grève depuis juillet. Ce lundi 27 novembre, une dizaine d’entre eux étaient convoqués au commissariat. Tous étaient accusés de troubles à l’ordre public et d’entrave à la circulation dus à leur occupation du site, qui dure depuis cinq mois.
Ils en sont ressortis vers 17h, après des auditions d’une heure environ pour chacun. « On avait rien à leur dire, à leur répondre », soupire au téléphone, d’une voix fatiguée, Ibrahima Yattara, l’un des grévistes lui-même convoqué.
Plainte contre des « agressions policières » à Saint-André-Lez-Lille
Ces convocations avaient été distribués lors d’une intervention policière sur le site, jeudi 23 novembre, au petit matin. Les grévistes ont dénoncé la violence de cette intervention. Certains ont été blessés, au moins deux hospitalisés. Ibrahima Yattara lui-même raconte que des agents l’ont « tiré par le bras, par derrière : ça m’a déboîté l’épaule ». Comme d’autres, il témoigne avoir aussi reçu du gaz lacrymogène. Il a pris rendez-vous à l’hôpital pour des examens approfondis de ses blessures.
Les grévistes ont décidé de porter plainte contre ces « agressions policières », fait savoir Ibrahima Yattara. Si plusieurs jours se sont écoulés depuis l’intervention, l’homme ne décolère pas : « après avoir tabassé les compagnons, ils nous ont dit « on va donner des convocations aux chefs »… Mais ces convocations, ils auraient pu nous les donner gentiment ! Pas en débarquant à 6h du matin comme ça, en se jetant sur les gens, comme si on était des voyous armés ! C’est une communauté qui appartient à l’Abbé Pierre, ici », tient-il à rappeler.
Dans un communiqué du 24 novembre, Emmaüs France affirme n’avoir pas été informé par la préfecture du Nord de l’intervention policière, et condamne les violences subies par certains compagnons.
« Quoi qu’il arrive, nous resterons grévistes »
Sur ce site de Saint-André-Lez-Lille, il n’y a « plus aucune discussion ouverte entre la direction et les grévistes. On s’est rencontré une fois en juillet, et depuis c’est terminé », expose Jean-Paul Delescaut de la CGT. Malgré cela – et malgré, surtout, la durée de la mobilisation ainsi que l’intervention policière de jeudi -, on compte encore 21 grévistes sur ce site. « Nous on habite ici depuis cinq ans, sept ans… Alors quoi qu’il arrive, nous resterons grévistes », martèle Ibrahima Yattara.
Dans le même département du Nord, ils sont aussi près de 27 à maintenir le blocage de l’activité sur le site Emmaüs de Grande-Synthe. « Trois nouveaux grévistes les ont rejoint il y a quinze jours », indique Jean-Paul Delescaut. Sur ce site, le dialogue avec la direction est complètement rompu, note le responsable syndical.
Le troisième site sur lequel un blocage se poursuit est celui de Nieppe. Nieppe est le dernier site à avoir rejoint le mouvement, fin septembre. Là-bas aussi, « la situation stagne, même si on a des revendications claires », synthétise Jean-Paul Delescaut.
Un quatrième site s’était mis en grève mi-septembre : celui de Tourcoing. Mais la grève y a été levée « il y a un peu plus d’un mois », expose Samuel Meegens, secrétaire générale de l’union locale CGT de Tourcoing. Sur ce site, les compagnons grévistes étaient soutenus, fait inédit, par des salariés grévistes. « Cet avantage est devenu un inconvénient », estime aujourd’hui le responsable syndical. Après avoir obtenu « la démission du conseil d’administration et quelques avancées, les salariés ont en effet cessé la grève en premier ; les autres ont été découragés de poursuivre », retrace Samuel Meegens.
Des régularisations « à la discrétion du préfet » selon Emmaüs
À Saint-André-lez-Lille et Nieppe, les compagnons ont déposé des plaintes pour « traite des êtres humains » et « travail dissimulé », comme l’a documenté entre autres Streetpress. Les enquêtes sont en cours. Dans ce cadre, la régularisation provisoires des compagnons sans-papiers qui ont déposé plainte, le temps de la procédure pénale, seraient possibles du côté de la préfecture du Nord, souligne Jean-Paul Delescaut. Or, jusqu’à aujourd’hui, « rien n’a été fait », déplore-t-il.
Au-delà de la procédure, les compagnons dénoncent des promesses non-tenues quant à leur régularisation administrative. La loi immigration du 10 septembre 2018 ouvre la possibilité aux compagnons sans-papiers d’Emmaüs d’obtenir une carte de séjour sur la base de trois années d’expérience au sein des communautés. Mi-septembre, Rapports de Force avait rencontré des compagnons qui travaillent depuis 3, 5, parfois 8 ans pour Emmaüs, mais étaient toujours bloqués dans l’attente de leur régularisation.
« La loi ne prévoit pas d’automaticité de régularisation, cela reste à la discrétion du préfet », insiste la direction d’Emmaüs France que nous avons sollicitée. Dans son dernier communiqué, l’association soutient que la situation des grévistes de la Halte Saint-Jean est considérée « avec la plus grande attention ».
Contactée à son tour, la préfecture du Nord n’a pas souhaité répondre à nos questions. « Nous ne pouvons donner suite à votre demande », indiquent ses services de communication.
Une réunion s’est tenue ce mardi 28 novembre entre les grévistes et leurs soutiens syndicaux. Parmi les axes stratégiques : débloquer « un levier à l’Elysée, dans les ministères, notamment avec l’appui que l’on a reçu de la confédération CGT », indique Jean-Paul Delescaut. Le but : passer un cap dans les négociations, en visant au-dessus de la préfecture des Hauts-de-France.
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