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Garde à vue, procès, et 100 000 euros demandés pour un mail syndical chez Solutec

Accusé de piratage pour avoir envoyé un mail syndical, Yanis C., salarié d’une entreprise de services numériques, est jugé à Lyon vendredi 20 juin. L’affaire met en lumière les difficultés du syndicalisme dans le secteur informatique.

« C’est bientôt le moment de défendre nos droits et on a besoin de toi ! » C’est ainsi que commence le mail qui a valu 12 heures de garde à vue, la perquisition de ses disques durs et un procès pour piratage à Yanis C., délégué syndical chez Solutec, une entreprise de services informatiques. Un mail syndical banal, daté de septembre 2023, qui annonce les futures élections au conseil économique et social aux près de 1400 salariés de la société lyonnaise. Ce mail, la direction ne l’a visiblement pas supporté.

Les listes mails des employés sont bien souvent mises à disposition des syndicats via des accords d’entreprises, mais ce n’est pas le cas chez Solutec. L’entreprise accuse donc le syndicaliste de Solidaires informatique d’avoir obtenu le contact de ses collègues par des moyens frauduleux. Elle a porté plainte et demande 100 000 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral et financier. L’intéressé nie toute fraude.

Son syndicat dénonce « des accusations fausses et fantaisistes ». S’il y a une telle détermination à faire condamner Yanis C. dans ce procès, c’est que « ce qui est en jeu, c’est le droit des syndicats à joindre les salarié·es en sous-traitance dans l’informatique », dénonce Florent C., membre du bureau de Solidaires informatique.

Yanis C. sera jugé le vendredi 20 juin 2025 devant le tribunal judiciaire de Lyon.

En tant qu’entreprise de service numérique (ESN), Solutec est un vivier d’ingénieurs en informatique dans lesquels d’autres entreprises « donneuses d’ordres », viennent puiser. Les ESN les plus connues sont CapGemini, IBM France, Atos, ou encore Akkodis (anciennement Akka). Les salariés de Solutec sont donc bien souvent en déplacement chez leur client (Enedis, SNCF, BNP, TF1, la Métropole de Lyon, Fiducial…), ne fréquentent que très peu le siège et restent sous les radars des délégués syndicaux. Autres caractéristiques qui rendent la syndicalisation particulièrement difficile chez Solutec, comme dans beaucoup d’ESN : l’entreprise a doublé ses effectifs ces dix dernières années, ses salariés ont en moyenne 26 ans et le turnover est élevé.

Yanis C. entre à Solutec en 2018 comme ingénieur informatique. Le trentenaire y lance une section de Solidaires informatique en 2019, et comprend vite à quel point faire du syndicalisme est compliqué dans l’entreprise. « Je n’ai aucun moyen d’entrer en contact avec mes collègues puisque la direction refuse de me donner accès à la liste mail » , explique-t-il. La problématique touche aussi le syndicat de cadres CFE-CGC, seul autre syndicat dans l’entreprise. Contacté, celui-ci ne souhaite pas s’exprimer sur le sujet, car « un procès est à venir » .

Après plusieurs années d’activité, Solidaires informatique réunit 15% des voix lors des élections professionnelles dans l’entreprise, le reste allant à la CFE-CGC. Yanis C. finit par trouver un moyen de s’adresser aux employés. Il décide de consulter le registre unique du personnel, accessible à tous les salariés. « J’ai passé deux jours à recopier à la main le nom et prénoms de mes collègues, en présence d’un juriste de Solutec. Avec ça, il ne me restait plus qu’à composer les mails types et envoyer mon tract », dit le syndicaliste.

Mais Solutec ne semble pas croire son salarié. Le 20 novembre 2023, l’entreprise porte plainte contre X pour « accès frauduleux dans un système de traitement automatisé des données », extraction frauduleuse de données contenues dans un système de traitement automatisé et « collecte de données à caractère personnel par un moyen frauduleux déloyal ou illicite » . Le parquet confie l’enquête à la division de la criminalité organisée et spécialisée. Yanis C. n’est pas informé des démarches à son encontre.

Huit mois après le dépôt de plainte, alors qu’il se trouve au domicile de ses parents, Yanis C. est arrêté « par huit policiers avec armes et gilets pare-balles , se souvient-il. Il est placé en garde à vue pendant 12 heures et interrogé. « Ils m’ont dit que j’avais piraté des choses, j’ai répété que j’avais recopié les adresses à la main ». À sa sortie, il est emmené chez lui pour une perquisition de trois de ses disques durs. « Si je n’ouvrais pas la porte, de toute façon ils avaient un bélier dans la voiture. » Puisqu’il est toujours en sous-traitance chez un client de Solutec, Yanis C. doit repartir au travail le lendemain comme si de rien n’était. Il consulte tout de même un médecin qui lui prescrit huit jours d’arrêt de travail.

Avant la plainte contre son salarié, Solutec avait déjà essayé de le licencier. En septembre 2022, dans le cadre d’une visite de santé et sécurité, Yanis C. se rend compte de plusieurs anomalies. « Un salarié devait par exemple mettre sa casquette pour travailler, car les lumières l’aveuglaient » , explique-t-il. Ses critiques, ainsi que la manière dont il prend contact avec les autres salariés déplaisent à sa direction. S’ensuit une tentative de licenciement que Rapports de force a pu consulter. Elle reproche au syndicaliste d’avoir « préparé des post-its sur lesquels était inscrit son numéro de téléphone » qu’il a distribués aux salariés en indiquant qu’en cas de problèmes, ils pouvaient l’appeler.

Le motif est insuffisant pour l’inspection du travail, dont l’autorisation est requise pour licencier les délégués syndicaux. L’entreprise a alors déposé un recours auprès du ministère du Travail, qui a lui aussi refusé le licenciement, puis auprès du tribunal administratif de Lyon, qui a également jugé le licenciement infondé.

Dans sa décision de mars 2024, que nous avons pu consulter, le tribunal administratif estime que « la demande d’autorisation de licenciement ne peut être regardée comme sans lien avec les fonctions représentatives [syndicales] normalement exercées par M. C » . En résumé : il est apparu au tribunal que l’entreprise voulait licencier Yanis parce qu’il était délégué syndical. Solutec a fait appel de la décision. « Toutes ces manœuvres, c’est évidemment de la répression syndicale », considère Florent C. de Solidaires informatique.

Son syndicat appelle à une rassemblement vendredi 20 juin à 12h à Lyon, Place Guichard, avant l’audience. L’occasion pour lui de remettre en lumière e les difficultés de développement syndical dans les entreprises de services numériques.