Depuis le 1er juillet, un nouveau décret ambitionne de mieux protéger les salariés face à la chaleur. Mais il reste non contraignant pour les entreprises. A quand de vraies mesures pour lutter contre la chaleur au travail ?
« Combien de morts faudra-t-il avant que l’on mette en place de vraies mesures ? », déplore Gilles Courc, inspecteur du travail et syndicaliste à la CNT-SO. Lundi 30 juin, 84 départements ont été placés en vigilance orange par Météo-France, « du jamais vu », selon la ministre de la transition écologique Agnès Pannier-Runacher. Quelque 200 écoles ont été partiellement ou totalement fermées en début de semaine sur décision des communes, tant les conditions de travail et d’accueil sont devenues intenables.
C’est que la chaleur tue, surtout au travail. En 2024,11 accidents graves, dont 7 mortels, sont liés à la chaleur, selon une note de Santé publique France, publiée en mars et qui s’appuie en partie sur les données de la Direction générale du Travail. Avant même l’été, la chaleur a déjà probablement provoqué un accident du travail mortel, un ouvrier du BTP ayant succombé à un malaise sur un chantier bordelais le 20 juin. Ce 30 juin, hors des frontières de l’hexagone, une salariée barcelonaise de 51 ans affectée au nettoyage des rues, est « tombée raide morte », après avoir travaillé toute l’après-midi par plus de 40°C.
Un décret trop léger
Face à cette situation, le gouvernement a pris de trop faibles mesures. A partir de ce mardi 1er juillet, les employeurs doivent se conformer à une nouvelle liste d’actions préventives, prévue dans un décret. « L’idée de ce décret est née après une série de décès dans les vendanges. Le ministre du travail de l’époque était Olivier Dussopt et il avait déclaré avoir obtenu de haute lutte la prise en compte de la chaleur au travail. Notamment en obtenant la possibilité pour l’inspection du travail d’arrêter l’activité d’une entreprise. Dussopt est parti en mai 2022. Ce chantier est resté en plan et aujourd’hui on accouche d’une souris », explique Gilles Courc.
En effet, le nouveau décret revient sur une obligation d’évaluer les risques qui existait déjà et détaille davantage les mesures de prévention. Par exemple : la généralisation de l’accès à l’eau fraîche au poste de travail. « Mais on ne sort pas de la logique de préconisation, on n’a pas de moyen de contraindre un employeur », poursuit l’inspecteur du travail. Si un patron refuse de mettre en place les mesures nécessaires pour protéger ses employés, l’inspecteur peut le mettre en demeure d’évaluer les risques…puis, si l’inaction perdure, faire un signalement au parquet. « C’est un procédure très lente, alors que la canicule se compte en jours. De plus, les deux tiers des signalements au parquet sont laissés sans suite », continue Gilles Courc.
Des chaleurs maximales
Pour remédier à cette situation, les syndicats ont leurs revendications. Le premier : décorréler les obligations faites à l’employeur des niveaux d’alerte de Météo France (jaune, orange, rouge…) « L’évaluation des risque doit se faire par unité de travail, insiste Gilles Courc. On peut très bien imaginer qu’un salarié qui travaille en plein soleil avec des machines produisant de la chaleur soit dans une situation dangereuse alors que son département est classé en vert ! »
Pour cela, la CNT-SO souhaite que des températures maximales et minimales s’imposent. La CNAM recommande de faire évacuer le personnel des bureaux quand les conditions d’hygiène et de sécurité deviennent mauvaises. «On pourrait se baser sur ces bornes de 34°C l’été et 14°C l’hiver et exiger la fermeture partielle ou totale d’un établissement si besoin », complète Julien Huart, également syndicaliste à la CNT-SO et coauteur d’une tuto d’auto-défense syndicale en cas de forte chaleur. Pour la CGT, la question des températures maximales est également centrale. Elle demande ainsi une réduction des rythmes de travail en cas de forte chaleur, une augmentation des temps de pause rémunérés dès 25°C, ou encore l’extension du chômage intempéries pour chaleur à tous les secteurs. « Il faudrait aussi des moyens humains pour faire appliquer le droit. La réalité c’est qu’il y a plein de fois où on reçoit des alertes et où on n’a pas le temps d’intervenir… Il y a 1 agent pour 12 000 salariés dans mon inspection du travail. C’est largement insuffisant », rappelle Gilles Courc.
Rapport de force dans l’entreprise
Les armes actuelles pour combattre la chaleur au travail restent peu efficaces. Un des seuls moyens dont dispose un salarié pour sortir d’une situation de souffrance étant de faire valoir son droit de retrait. Une réponse qui peut être individuelle, mais aussi collective si elle est appuyée par le retrait de collègues, voire organisée par un syndicat. Le droit de retrait a néanmoins le désavantage de renvoyer le salarié « à sa propre capacité à évaluer son état ». « Cela veut dire que s’il n’est pas reconnu, le salarié est en faute. Il vaut donc mieux faire cela collectivement, et mettre le CSE, l’inspection du travail et la médecine du travail dans le coup », précise Gilles Courc.
Enfin, face à la canicule, quelques cas de débrayage ont aussi été observés ces dernières années. Le 18 juillet 2022, pour la troisième fois en un mois, les équipes de deux abattoirs Bigard de Quimperlé (Finistère) arrêtaient leur travail, contraints par la chaleur étouffante. Ces cas restent rares, car la courte durée des épisodes de forte chaleur nuit bien souvent à l’organisation d’une grève. Et la colère descend en même temps que la température…jusqu’à la prochaine canicule.
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