Invité dimanche de l’émission « Questions politiques » sur France Inter, Christophe Castaner a avancé le nombre de 133 plaintes déposées à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et autant d’enquêtes ouvertes placées sous l’autorité d’un magistrat. De son côté, le journaliste David Dufesne a signalé 425 situations pouvant faire l’objet de « manquements » des forces de police. Les policiers incriminés risquent-ils vraiment des sanctions ?
« Si des gens sont blessés, ils ne vont pas se signaler sur Twitter, ils vont porter plainte » a commenté le ministre de l’Intérieur à propos du travail de recensement du journaliste indépendant David Dufresne. Christophe Castaner a alors renvoyé vers la plateforme de signalement sur internet de l’IGPN. Pourtant, la plateforme en ligne n’est pas directement le lieu où s’enregistrent les plaintes ouvrant des enquêtes suivies par un magistrat, même si la police des polices peut orienter un signalement vers le parquet. Pour porter plainte, la norme est de saisir le procureur de la République ou de se rendre dans un commissariat pour la faire enregistrer en bonne et due forme. Une démarche qui peut s’avérer délicate, au moins dans les commissariats, où aller se plaindre devant des policiers pour des faits de violences policières, ne va pas totalement de soi.
Pourtant, dimanche, le ministre de l’Intérieur a admis des manquements à la déontologie policière dans le cadre des manifestations des gilets jaunes. « Il y a des anomalies et des dérapages policiers, j’en ai constaté quelques-uns », a-t-il déclaré avant de promettre des sanctions « au terme de l’enquête ». Selon ses dires, ces enquêtes de l’IGPN sous l’autorité d’un magistrat sont au nombre de 133. Il n’est pas précisé si celles-ci sont toutes passées par la voie judiciaire ou si l’IGPN a transmis au parquet une partie des quelque 250 signalements reçus à propos des gilets jaunes à la mi-janvier. En tout cas, parmi ces 133 dossiers, 52 concerneraient un possible usage abusif des lanceurs de balles de défense LBD 40, selon Europe 1.
Beaucoup de signalements
Pour avoir un début de réponses, il faudra encore attendre quelques semaines ou quelques mois, malgré le souhait affiché de Christophe Castaner que les résultats soient connus rapidement. En réalité, le délai moyen des enquêtes de l’IGPN est assez long. Il était de 163 jours en 2017, contre 141 en 2016. Ainsi, les premières conclusions pourraient n’être révélées qu’au printemps. Mais au-delà du délai, ce sont les conclusions mêmes de la police des polices qui pourraient décevoir les victimes ou témoins de violences policières. Dans son rapport de 2017, l’IGPN fait état de 1085 saisines judiciaires. Pour celles-ci, les « bœufs-carotte » enquêtent sur instruction de l’autorité judiciaire, remettent leurs éléments au juge d’instruction ou au parquet qui sont libre de poursuivre ou pas.
Aucune donnée statistique ne fait état du nombre de condamnations des policiers poursuivis dans ce cadre, et l’IGPN certifie ne pas avoir de retour de l’institution judiciaire sur les suites données à ses enquêtes. Pourtant, les condamnations de policiers sont assez rares, comme l’indique un article de CheckNews compilant des sources diverses, même si les documents publics de l’IGPN attestent que l’infraction la plus fréquente conduisant à des poursuites est : violences volontaires commises par un agent de police. Des faits assez graves. En 2017, ces violences avec ou sans armes représentent 43 % des saisines judiciaires et plus de la moitié des enquêtes ouvertes par la police des polices.
À l’inverse des enquêtes judiciaires sur lesquelles les données sont manquantes, les saisines administratives permettent d’éclairer un peu les résultats du travail de l’IGPN. Sur les 4795 allégations de manquements évoquées dans le rapport 2017, pour un total de 7000 signalements, 92 % n’ont révélé aucun manquement pour la police des polices. Pour atteindre un tel résultat, l’institution considère que « si l’usage de la force et de la contrainte par les policiers est en soi perçu comme illégitime ou inutilement brutal, les investigations consécutives à ces signalements ne démontrent que rarement son usage disproportionné ». Un décalage mis sur le compte d’une mauvaise compréhension des prérogatives des policiers par les requérants dans 57 % des cas, et par la mauvaise fois des déclarants dans 28 % d’autres situations, selon l’institution.
Peu de sanctions
En tout cas, malgré les décomptes parfois obscurs de ce rapport, 288 enquêtes administratives transmises à l’autorité compétente ont révélé 809 manquements. L’usage disproportionné de la force ne compte que pour 1 % de ces manquements, pourtant majoritaires dans les signalements. Un chiffre qui donne peu d’espoir de voir reconnues les violences dénoncées par les gilets jaunes. En 2017, cette faute a été reconnue pour 18 agents. Ainsi, l’administration a distribué un avertissement, 5 blâmes, et convoqué 11 conseils de discipline. Le dix-huitième a bénéficié d’une mesure alternative à la sanction disciplinaire.
Quels seront les résultats des 133 enquêtes de l’IGPN cette fois-ci ? Réponse au printemps, même s’il est difficile d’imaginer, pour les policiers mis en cause au cours du mouvement des gilets jaunes, des conclusions radicalement différentes de celles des années précédentes. En même temps, l’IGPN dépend entièrement de la direction générale de la police nationale, elle-même rattachée au ministère de l’Intérieur. What did you expect ?
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