Le patronat, principal responsable de l’échec des négociations sur l’assurance chômage, se voit récompensé par le gouvernement. Le bonus-malus sur les contrats courts reste symbolique et ne rapportera rien à l’Unédic. De leurs côtés, les salariés les plus précaires subiront une double peine en devenant des chômeurs précaires, pas ou peu indemnisés.
C’est un des paradoxes de la réforme : alors que selon la communication du ministère du Travail, les contrats courts représentent un coût de 9 milliards d’euros par an pour l’Unédic, la seule mesure affectant les employeurs ne dégage aucun gain financier pour l’assurance chômage. Le bonus-malus sur les contrats à durée déterminée de moins d’un mois, avancé depuis plus d’un an par le gouvernement comme la mesure étendard d’une réforme équilibrée, accouche d’une souris. D’abord, les pénalités ne concerneront que les entreprises privées. L’État, premier patron de France et gros pourvoyeur d’emplois précaires, reste hors du champ d’application du dispositif.
Ensuite, seuls sept secteurs d’activité sur trente-huit ont été retenus, ignorant ainsi 66 % des ruptures de contrats de travail, selon les chiffres du ministère. Le BTP ou le médico-social qui emploient massivement des contrats courts sont laissés de côté. Et même pour les secteurs concernés, le malus exclut les sociétés employant moins de 11 salariés. Et encore, pour les plus grosses, il ne concerne que les entreprises qui ont un taux de séparation supérieur à 150 %. C’est à dire, celles dont le nombre de fins de contrats dépasse de 50 % la totalité des emplois en CDI : par exemple 150 précaires pour 100 emplois pérennes. Enfin, le niveau de pénalité est essentiellement symbolique : +0,95 point de cotisation chômage.
Une mesure à coût zéro
Une bonne affaire pour les organisations patronales qui ont tout fait depuis l’ouverture des négociations en novembre 2018 pour faire capoter le bonus-malus sur les contrats courts. De contre-propositions en rupture des discussions à la fin du mois de janvier, le Medef, la CPME et l’Union des entreprises de proximité (U2P) ont livré une guérilla incessante qui s’est prolongée ces derniers jours par d’ultimes tractations avec l’exécutif. Résultat : aucun gain financier pour l’Unédic. Les cotisations des entreprises dont le taux passera de 4,05 % à 5 % seront compensées par celles qui bénéficieront d’un taux réduit à 3 %, même si elles emploient par exemple 100 précaires pour 100 CDI. Une sorte de prime à la précarisation vertueuse.
Ainsi, le « coût du travail » ne sera pas modifié à l’échelle d’un secteur et le ministère s’attend à des transferts entre les entreprises des sept secteurs retenus de l’ordre de 300 à 400 millions d’euros. Alors, certes le gouvernement et Emmanuel Macron peuvent afficher une promesse présidentielle tenue, mais la contrepartie est en réalité dérisoire. Par contre, l’autre objectif : celui de procéder à une économie de 3 à 3,7 milliards d’euros sur trois ans, présent dès la première lettre de cadrage du gouvernement, est bel et bien au rendez-vous. Le montant définitif est de 3,4 milliards d’ici 2022. Et comme ce n’est pas le patronat qui payera la facture, ce sont les chômeurs qui vont en faire les frais.
Une réforme de l’assurance chômage sur le dos des plus précaires
Même Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, a eu des mots très durs contre les choix du gouvernement à la sortie, hier matin, de la réunion de présentation de la réforme de l’assurance chômage à Matignon. Et pour cause. Les mesures d’économies sont toutes obtenues par une réduction des droits à l’indemnisation des demandeurs d’emploi. Ainsi, les chômeurs devront travailler six mois au lieu de quatre, sur une période de 24 mois au lieu de 28, pour ouvrir des droits. Avec cette mesure, le gouvernement entend récupérer 160 millions d’euros par an. Mais selon les syndicats de salariés, ce changement des règles d’indemnisation exclura plus de 200 000 précaires du système.
Le gouvernement introduit également une dégressivité des droits à partir de 6 mois pour les cadres dont le salaire en activité était supérieur à 4500 € brut. Par là, il déconnecte les droits aux allocations des cotisations versées et affaiblit l’esprit du système assurantiel de chômage. Autre mesure contestée, l’allongement à 6 mois de travail pour recharger ses droits à indemnisation. Elle pourrait concerner 900 000 allocataires, et Muriel Pénicaud a avancé le chiffre de 2,85 milliards récupérés sur trois ans avec cette modification des règles. Il s’agit du plus gros poste d’économie et il touche spécifiquement les plus précaires.
Peut-être la raison du lapsus de la ministre hier pendant la conférence de presse lui faisant dire : « C’est une réforme résolument tournée vers le travail, vers l’emploi, contre le chômage et pour la précarité. » Ce qui semble évident, c’est qu’il ne s’agit pas d’une réforme permettant de réduire le coût pour l’assurance chômage des quelque 17 millions de CDD et 20 millions de missions intérim chaque année, dont l’écrasante majorité ne dépassent pas un mois.
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