Les articles de Rapports de Force sont truffés de syndicalistes CGT, SUD, CNT… Pour une fois qu’on avait l’occasion d’interviewer le premier syndicat de France, la CFDT, on ne s’est pas privé. Reportage dans la manifestation du 17 décembre à Toulouse.
Qu’est-ce qui différencie un cortège CFDT d’un autre cortège syndical ? Pas nécessairement la moyenne d’âge, toute aussi élevée que dans certains cortèges CGT. Pas non plus la musique diffusée par le camion : un peu de Téléphone pour rêver d’un autre monde, un peu d’IAM, parce qu’on croit encore que ça fait jeune. Les slogans sont peut-être clamés avec moins de vigueur, mais ils sont rigoureusement les mêmes : « Les jeunes dans la misère, les vieux dans la galère, de cette société là, on n’en veut pas. »
Non, ce qui différencie le cortège orange (CFDT) devant et bleu ciel (UNSA) derrière, « c’est la culture », nous répète-t-on. La culture qui fait que les slogans sur les pancartes, « Âge Pivot = Âge Idiot », ont moins l’habitude d’être cinglants qu’ailleurs, la culture qui fait qu’on n’est pas CONTRE la réforme des retraites, mais POUR une réforme juste et équitable, la culture qui, enfin, fait qu’on a beau être le premier syndicat de France, on n’est finalement que quelques centaines dans la rue à l’arrière du cortège Toulousain.
« Pour nous, la grève est un échec, ça signifie qu’on n’a pas réussi à négocier », explique Joséphine. Gilet CFDT sur le dos, cette employée dans une clinique privée vit la manifestation comme une contrainte, « Ça ne me fait pas plaisir d’être ici, j’aurais préféré être tranquille chez moi à regarder Netflix. Mais ça fait vingt ans que je fais du syndicalisme et quand il faut y aller, moi j’y vais ». Ce 17 décembre est le premier jour d’appel à la mobilisation lancé par la CFDT depuis le début du conflit autour de la réforme des retraites, alors que l’intersyndicale SUD-CGT-FO-FSU appelle à la grève depuis le 5 décembre. Ce n’est qu’après les annonces d’Édouard Philippe que le syndicat réformiste est rentré dans la danse, sans toutefois rejoindre l’intersyndicale.
« Nous savons qu’il faut une réforme des retraites, mais nous ne voulons pas de ce qu’en a fait Macron », assure Myriam, la belle-sœur de Joséphine, elle aussi à la CFDT mais dans l’hôpital public. Leurs revendications sont claires, elles sont d’ailleurs inscrites sur la banderole de tête, co-siglée CFDT, CFTC, FAGE (syndicat étudiant) et UNSA : négociation sur la pénibilité, pension minimum égale au SMIC, refus de l’âge pivot. Pour ce qui est du reste, le syndicat approuve : « Allez dire à un maçon que son métier est moins pénible que celui d’un cheminot, qu’il doit partir à la retraite plus tard. Vous allez voir comment vous allez être reçu. Les cheminots manifestent pour conserver leurs privilèges, nous ne voulons plus de ça », conclut Joséphine.
« Réformistes mais pas naïfs »
Pourtant à deux pas d’elle, la CFDT cheminot, qui a appelé à la grève avant le 5 décembre est bien présente dans le cortège orangé. « J’en suis à 10 jours de grève », précise Johann Bedel-Navarro, secrétaire général adjoint de la CFDT Cheminot Occitanie. « Dire que nous nous battons pour le maintien de notre régime spécial, alors que nous l’avons perdu en même temps que notre statut en 2018, est faux. Et lorsque ce genre de mot d’ordre provient d’une organisation syndicale, c’est une hypocrisie. Ce que nous voulons, c’est la clause grand-père : aucun cheminot au statut ne doit se voir appliquer la nouvelle réforme, même s’il est né après 1975. La confédération comprend très bien cela et nous soutient », détaille ce jeune contrôleur. « Je vous assure que si on obtient la clause il n’y aura plus autant de cheminots en grève et dans la rue mais en attendant, il n’y aura pas de trêve de Noël. On est malheureusement dans le conflit. » Souriant, débit posé et barbe de deux jours, Johann Bedel-Navarro n’est pas un inconnu à Toulouse, il figure sur la liste de Nadia Pellefigue, conseillère régionale socialiste qui se présente sans étiquette pour les municipales de 2020.
Le cheminot n’est pas le seul du cortège à avoir participé à la manifestation du 5 décembre, Christian Duffau, manager au SAV d’EDF et syndiqué CFDT y était aussi. « La retraite à points, pourquoi pas, mais ne pas connaître la valeur des points, savoir que celle-ci peut changer, ça non. » Rentré à EDF en 1983, il lui fallait, à l’époque 37.5 années de cotisation pour avoir sa retraite à taux plein. « Je sais très bien que les lois peuvent changer, et que le soi-disant contrôle des syndicats sur la valeur des points n’est pas un garde-fou suffisant. On est réformistes mais pas naïfs », sourit-il.
Dans le cortège, on croise enfin Ingrid Nfifi, documentaliste chez Milan Presse et déléguée syndicale CFDT. « Je suis rentrée à la CFDT parce que la déléguée syndicale qu’il y avait avant moi était celle qui représentait le mieux mes valeurs. On pense que c’est par la négociation qu’on arrive à obtenir des droits ». Quand on lui demande pourquoi le premier syndicat de France ne réussit pas à mettre plus de gens dans la rue, elle ne sait pas vraiment quoi répondre. « N’est-ce pas parce qu’en repoussant toujours l’échéance de la grève, en n’y appelant que très rarement, les militants en perdent l’usage ? », suggère-t-on. « Peut-être. Il y a aussi les pratiques des salariés vis-à-vis des syndicats qui changent. Dans la boîte, on vient me voir pour régler ses problèmes de salaire, de congés. Les gens ne comprennent pas qu’un syndicat est un outil collectif. Même ceux qui s’intéressent à la vie de l’entreprise, lorsqu’on leur dit d’adhérer, ils répondent qu’ils n’ont pas le temps. Comme si moi je ne travaillais pas aussi. Pourtant il faut être nombreux pour pouvoir obtenir un vrai rapport de force avec la direction », conclut-elle.
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