« Dans la réforme du bac, on retrouve les défauts de celle des retraites »

 

Les élèves de première passent actuellement les nouvelles épreuves du baccalauréat dites « épreuves communes de contrôle continu » (E3C). Or l’organisation locale d’un examen qui a toujours été national, ainsi que le niveau d’amateurisme du gouvernement dans la mise en place de ces épreuves suscite la vive opposition des enseignants qui organisent grèves et blocage. Entretien avec Claire Gueville, secrétaire nationale responsable du lycée au SNES-FSU.

 

Jean-Michel Blanquer a parlé d’une minorité d’enseignants mobilisés qu’en pensez-vous ?

 

Le mouvement de contestation des épreuves communes de contrôle continu (E3C) est très large, contrairement à ce que veut faire croire le ministre de l’Education Nationale. Pour l’heure, 40% des établissements nous ont informé qu’ils organisaient des actions contre les E3C. C’est un nombre qui est déjà important et qui va croître, car les établissements ont jusqu’à mars pour organiser ces épreuves. De plus, cette mobilisation ne se limite pas à la grève de la surveillance : de nombreux collègues ont refusé de choisir les sujets qui leur avaient été proposés car ils ne correspondaient pas aux savoirs qui avaient été enseignés. Ce sont donc les inspecteurs qui l’ont fait à leur place. Enfin on peut aussi imaginer que, quand viendra l’heure, il y aura aussi une grève de la correction.

 

Comment votre lutte s’articule-t-elle avec la bataille contre la réforme des retraites, dans laquelle les enseignants sont très impliqués ?

 

Au Snes-FSU (NDRL : syndicat majoritaire chez les enseignants dans l’enseignement secondaire), notre priorité est toujours la bataille contre la réforme des retraites. Mais auprès des collègues j’insiste beaucoup sur le projet de société qui est sous-tendu à la fois par la réforme des retraites et par celle du baccalauréat : l’individualisation des parcours. On retrouve les défauts de la réforme des retraites dans la réforme du lycée : on nous propose une retraite où chacun engrange des points, un bac où il faut accumuler des compétences comme sur un CV et qui n’aura pas la même valeur en fonction de l’établissement dans lequel on l’aura obtenu. Ces deux réformes auront nécessairement pour effet de creuser les inégalités.

 

Les enseignants sont nombreux à pointer l’impréparation de ces E3C et l’amateurisme du gouvernement Blanquer. Qu’en pensez-vous ?

 

C’est une réalité. On voit des collègues qui n’étaient pas forcément contre la réforme du lycée se mobiliser parce qu’ils en ont marre de devoir appliquer des textes dans l’impréparation la plus totale, ils se sentent pris pour des imbéciles. Bien évidemment, ce fiasco donne lieu à des dérives graves : on sait par exemple que dans l’académie d’Orléans, des inspecteurs ont indiqué les chapitres à réviser aux élèves. On sait aussi qu’ailleurs, des enseignants, stressés par la perspective d’obtenir de mauvais résultats dans leurs classes sont allés jusqu’à donner les sujets et leurs corrigés aux élèves. On voit jusqu’où peut aller la mise en concurrence des établissements : vider l’examen du baccalauréat de son sens. Enfin la pire des dérives c’est sans doute celle qui consiste à organiser ces épreuves à tout prix, y compris en utilisant la police pour faire rentrer les élèves dans les salles. C’est ce que j’ai vu hier matin à Tours et je vous assure que ça fait drôle.