Alors que l’épidémie de coronavirus a contaminé 613 personnes et fait 9 morts en France ce vendredi, des salariés ont fait valoir leur droit de retrait dans les transports, des écoles et des lieux accueillant du public. A chaque fois, les ministres concernés sont montés au front pour tenter d’expliquer que ces droits de retrait n’étaient pas légitimes, voire qu’ils n’étaient pas légaux.
« Toutes les études juridiques ont été très claires sur ce point, le droit de retrait ne s’applique pas dans des circonstances comme celles-ci », s’est hasardé jeudi matin Jean-Michel Blanquer à propos du droit de retrait pour cause de coronavirus. Une affirmation qui à l’entendre vaut pour « tout le monde » en plus des travailleurs de l’Éducation nationale. Vraiment ?
Certes, dans son ministère, ce sont les directions académiques, les rectorats, et en bout de chaîne le ministère, qui déterminent la validité ou non d’un droit de retrait. Ainsi, juge et partie, l’État employeur peut décider seul. Mais n’en déplaise au ministre de l’Éducation nationale, pour tous ceux qui ne sont pas fonctionnaires, c’est le Code du travail, et in fine les juridictions prudhommales en cas de litiges, qui détermine si le droit de retrait peut être utilisé par un salarié. Par contre, les déclarations de Jean-Michel Blanquer sont totalement à l’unisson de celles du reste de l’exécutif sur le sujet. Le 3 mars, Élisabeth Borne évoquait un « droit de retrait infondé » à propos de son utilisation par des chauffeurs de bus franciliens des entreprises Transdev et Keolis. Ceux-ci déploraient l’absence d’informations délivrées par leurs directions et réclamaient une mise à disposition de gel hydroalcoolique, de lingettes nettoyantes, de masques, et la désinfection régulière des bus.
Délégitimer le droit de retrait
« Les possibilités de recours à l’exercice du droit de retrait sont fortement limitées », assène un document intitulé « Questions/réponses pour les entreprises et les salariés », publié par le ministère du Travail le 28 février 2020, à propos de l’épidémie de coronavirus. Pour renforcer cette affirmation, le texte invoque deux circulaires de 2007 et 2009, éditées lors de pandémies de grippe, et relatives à l’exercice du droit de retrait en période de crise. Mais prudemment, le document du ministère du Travail apporte la précision suivante : « sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux ». Par ailleurs, il nuance : à partir du moment où « l’employeur a pris les mesures de prévention et de protection nécessaires ».
Ces précautions n’ont pas empêché Muriel Pénicaud la ministre du Travail d’avancer vendredi sur Europe 1 : « si la RATP s’arrêtait parce qu’il y a un agent contaminé, on n’est pas dans le respect du droit de retrait ». Pourtant la veille au soir, un syndicaliste de la RATP témoignait dans le journal télévisé de France 2 d’une absence d’équipements permettant aux salariés d’effectuer les « gestes barrières » contre le coronavirus. Une situation qui a provoqué le droit de retrait de plusieurs dizaines d’agents lors de la semaine écoulée. En tout cas, pendant son interview, la ministre du Travail a laissé paraître sa vision d’un droit de retrait légitime. « C’est s’il y a un danger grave ou imminent pour votre vie ou votre santé. Il y a très peu de situations de travail de ce type-là : quand il y a une explosion ou quand vous êtes sur un bâtiment en hauteur et que vous n’avez pas de protections ».
Que dit le Code du travail ? « Le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d’une telle situation » énonce l’article L4131-1. Ainsi, le cadre d’application est bien plus large que celui présenté par Muriel Pénicaud. Dans les faits, les droits de retraits utilisés par les salariés sont bien plus fréquents que les situations exceptionnelles évoquées par la ministre. Malgré cela, les infractions à la sécurité des travailleurs, pourtant une obligation des employeurs, sont légion. Elles sont à la source d’une partie des 600 000 accidents du travail par an en France, des 551 morts au travail de l’année 2018 et des 197 décès pour cause de maladie professionnelle de la même année.
Un droit individuel qui s’exprime souvent collectivement
Autre restriction au droit de retrait avancée par Muriel Pénicaud : « c’est jamais collectif un droit de retrait, c’est individuel ». S’il est vrai que le droit de retrait est un droit individuel, rien n’indique qu’il ne puisse être exercé par plusieurs salariés en même temps. D’ailleurs, le Code du travail dans son article L4131-3 prévoit qu’aucune sanction ne peut être prise à l’encontre « d’un travailleur ou d’un groupe de travailleurs qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d’eux ».
Dans les faits, ce droit est rarement exercé en solo. Pour « rompre » le lien de subordination attaché au statut de salarié et dire à son employeur que l’on exerce son droit de retrait, il est plus facile d’être plusieurs. C’est ce qui s’est passé dimanche dernier au musée du Louvre qui reçoit plus de 20 000 visiteurs par jour. Trois cents salariés réunis en assemblée générale ont décidé de faire valoir ce droit au moment où le gouvernement recommandait l’annulation des rassemblements de plus de 5000 personnes en lieu confiné. Depuis, le travail a repris. De nouvelles mesures de protection ont été prises par la direction du musée et validées lors d’un CHSCT extraordinaire.
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