E-commerce : entre expansion et incertitude

 

La crise du Covid-19 a fait décoller le marché de l’épicerie en ligne, quasiment inexistant auparavant. Pourtant, malgré cet essor, les géants du e-commerce doivent composer avec un certain nombre d’incertitudes et tenter de tirer individuellement leur épingle du jeu. Nous republions ici La Cyberlettre, newsletter qui explore l’impact des technologies sur nos sociétés par la journaliste Mathilde Saliou. N’hésitez pas à vous y abonner.

 

En cette période de restrictions des achats réalisables irl (ndlr : achats physiques), que se passe-t-il du côté du e-commerce ? Les ventes en ligne explosent, assez logiquement : difficile d’acheter ce qu’on veut dans le monde « réel », alors autant le commander.

Pour Amazon, cela signifie une augmentation de 32% de produits envoyés au premier trimestre 2020, contre +10% au premier trimestre 2019. Cela se traduit par un chiffre d’affaires plus important (26% plus haut au premier trimestre 2020 qu’à la même époque en 2019), mais aussi une augmentation des coûts – après tout, il faut livrer tout le monde, (plus ou moins) protéger les employé·es, amortir la baisse d’efficacité provoquée par la distanciation sociale, embaucher (175 000 personnes supplémentaires pour ses entrepôts américains sur les deux derniers mois), etc.

Côté consommation, comme en Chine dès début février, les pratiques évoluent : beaucoup moins de commandes de plats préparés, beaucoup plus de courses quotidiennes. Beaucoup moins de biens permettant de faire de la marge, beaucoup plus de produits de première nécessité. La principale transformation, en réalité, tient dans l’explosion de ces courses d’épicerie en ligne, un segment du e-commerce qui avait jusqu’ici un mal fou à décoller. La demande de services liés au tourisme s’est violemment contractée, celle des jeux, films et séries en streaming a augmenté. Selon les pays, aussi, il est possible de livrer un panier plus ou moins large de produits – Amazon estime ainsi que ses activités indiennes ont été les plus durement touchées, dans la mesure où la politique de livraison y est très restrictive.

Aux Etats-Unis, les autres grandes marques d’e-commerce (Walmart, Instacart, etc) font face à des enjeux assez proches. D’ailleurs, les cours de bourse de tous ces acteurs sont relativement liés, et remontaient en début de semaine dernière. La particularité d’Amazon tient plutôt dans sa place de plateforme « par défaut » pour les consommateur·ices. En France, en revanche, le contexte est un peu particulier : la justice a forcé l’entreprise à évaluer les risques pour ses salarié·es ou à restreindre ses activités. Conséquence directe de ce jugement : Amazon France a décidé de fermer ses entrepôts – mais permet tout de même de commander auprès de ses filiales voisines. Résultat, l’entreprise de Jeff Bezos perd régulièrement des parts de marché (de 38% le 3 mars à 24 % le 20 avril selon les chiffres de BFM Business). À cela s’ajoute la toute récente mise de la filiale sur liste noire par Washington, qui considère Amazon France comme un haut lieu de la contrefaçon – une décision brocardée par Jeff Bezos, qui qualifie de vendetta le comportement du gouvernement américain.

 

Des algorithmes pour tirer son épingle du jeu

 

En fait, comme la plupart des autres industries technologiques, le e-commerce aussi a de quoi être nerveux devant les incertitudes provoquées par la coronavirus. Mais parmi les entreprises du secteur, Amazon garde un atout dans sa manche : ses algorithmes. Vous vous souvenez des avions qui tournaient à vide pour garder leur place dans les aéroports ? Et bien, pour celles et ceux qui vendent sur Amazon, il existe une logique à peu près similaire. Dans une longue enquête, ProPublica démontre que l’algorithme qui place les vendeur·ses plus ou moins hauts dans les résultats de recherche les force à mettre un maximum de leurs produits en vente sur cette plateforme là, pas sur les autres.

Car si la demande est trop haute et que ces fournisseur·ses se retrouvent en rupture de stock, Amazon les fera descendre bien loin dans la liste de résultats. En cette période de forte consommation en ligne, les commerçant·es privilégient donc Amazon devant toute autre plateforme de vente en ligne et lui fabriquent un avantage concurrentiel qui pourrait ressortir de cette crise encore plus prononcé qu’auparavant. Si la justice ne s’en mêle pas avant, bien sûr (la commission européenne a ouvert une enquête sur de possibles comportements anti-compétitifs en juillet dernier).

 

Mathilde Saliou