Stérin

Mobilisations anti-Stérin : une « diagonale de la résistance » s’élargit face à l’extrême droite

Ce 4 décembre, plusieurs organisations appellent à un rassemblement à Paris, où doit se tenir une Nuit du bien commun, liée au milliardaire d’extrême droite Pierre-Édouard Stérin. Une mobilisation qui s’inscrit dans la continuité de nombreuses autres.

Cet article est publié dans le cadre de notre partenariat avec Basta!.

« Pas de charité pour l’extrême droite »« Stérin miné »… Au Cirque électrique, à Paris, un petit groupe s’affaire à l’élaboration de slogans pour un rassemblement à venir, ce 4 décembre. Objectif : perturber la neuvième édition de La Nuit du bien commun parisienne, une soirée de levée de fonds cofondée par le milliardaire ultraconservateur Pierre-Édouard Stérin, qui a lieu cette année aux Folies Bergères.

Derrière l’initiative figure notamment un nouveau collectif, la Section carrément anti-Stérin (Scas), un nom en clin d’œil à la Section carrément anti-Le Pen (Scalp), créée 40 ans plus tôt contre le Front national. Avec d’autres, le Scas multiplie, ces derniers mois, les actions visant à bloquer des projets financés par l’écosystème Stérin et qui répondent au projet politique du milliardaire. Comme l’avait révélé L’Humanité, en juillet 2024, le plan Périclès (pour Patriotes / Enracinés / Résistants / Identitaires / Chrétiens / Libéraux / Européens / Souverainistes), élaboré par Stérin, a pour but de favoriser une victoire électorale de l’extrême droite. Si le milliardaire s’est mis en retrait de l’organisation des Nuits du bien commun, la société Obole, qui produit l’événement, reste en partie financée par l’homme d’affaires.

Après une coalition pour « Désarmer Bolloré », l’appel à « ruiner La Nuit du bien commun » de ce 4 décembre, signé par une quarantaine d’organisations et syndicats, comme les Soulèvement de la terre ou la CGT Spectacles, s’inscrit ainsi dans la continuité de dizaines de mobilisations un peu partout en France, qui pour certaines ont porté leurs fruits.

Le coup d’envoi de ces rassemblements a été donné le 6 mai dernier à Tours, pour mettre en lumière les « réseaux d’influence réactionnaires » qui se tissent à travers des associations lauréates des Nuits du bien commun « triées sur le volet par des proches du milliardaire et de sa galaxie », selon la Scas. S’affichant, pour la plupart, comme « aconfessionnelles » et « apolitiques », elles sont pourtant nombreuses à promouvoir des idées très conservatrices, comme le montre un projet d’enquêtes du collectif de journalistes pigistes Hors Cadre, soutenu par Basta!.

Rapidement, d’autres rassemblements ont essaimé dans les villes accueillant ces soirées caritatives, comme à Lyon, Toulouse, Angers, ou encore Aix-en-Provence, qui a marqué un réel tournant le 6 octobre. Ce matin-là, un piquet de grève est monté devant la salle de concert municipale (la 6Mic) qui doit accueillir « La Provence pour le Bien commun ». Une campagne intersyndicale appelle alors à construire « un front contre le fascisme et l’extrême droite dans la culture et le spectacle ». Sur la vingtaine de salarié·es de l’équipe « road » en charge de l’installation, embauché·es par l’entreprise Mimo, prestataire privilégié de La Nuit du bien commun, huit décident de faire grève. Sans parvenir, dans un premier temps, à empêcher le montage du lieu.

« En revanche, notre grève a eu de l’impact quand nous avons déplacé notre piquet sur la scène, sur les coups de 11 h 30. On a installé une nappe, on a fait un pique-nique, on a fait la sieste, et on a attendu », raconte l’un d’eux, Nono*, syndiqué au Stucs (syndicat de la culture et du spectacle de la CNT-SO). Menacés d’une intervention policière, les salarié·es sont alors informé·es d’une manifestation de soutien, rassemblant 250 personnes à l’extérieur. « C’est sans doute ce qui a découragé les organisateurs d’aller au bout. Ils risquaient un tel bazar si les forces de l’ordre intervenaient, que de toute façon leur soirée était fichue », analyse Nono. L’événement est finalement annoncé en visio : « On a d’abord pensé à une intox… mais les techniciens de Mimo sont venus démonter le plateau. C’est là qu’on s’est dit : c’est fou, on a gagné ! » se remémore le syndicaliste.

Ce succès en a inspiré d’autres : à Rennes, à la suite d’un appel à « la résistance » de la section locale du PS et d’un rassemblement sous l’égide des antifas rennais, La Nuit du bien commun prévue dans la capitale bretonne a dû, elle aussi, se tenir en distanciel, le 19 novembre dernier.

En dehors des grandes villes, les mobilisations « anti-Stérin » et contre l’extrême droite se répandent également, cette fois pour alerter sur des projets réactionnaires financés par le milliardaire qui tentent de se développer dans des zones plus rurales. À Moulins, dans l’Allier, le collectif Laïque et républicain, fédérant partis de gauche, syndicats et associations de l’agglomération, demande en juin le retrait des subventions publiques accordées à « un spectacle historique sons et lumières », programmé en juillet.

Inspiré du Puy-du-Fou, celui-ci est en réalité mis en scène par Guillaume Senet, un militant d’extrême droite. Malgré le pédigrée du metteur en scène, le spectacle est largement soutenu par la région Auvergne-Rhône-Alpes, le département de l’Allier et la ville de Moulins, comme l’a montré une série d’enquêtes de Basta!« C’est le député (communiste) Yannick Monnet qui a été le premier lanceur d’alerte, quand il a vu passer ça dans les documents du conseil municipal », relate Vincent Présumey, professeur d’histoire-géographie et militant du SNES-FSU, qui a pris part à la mobilisation.

Celle-ci n’a finalement pas suffi à faire annuler le spectacle, mais a permis de mettre en lumière ses visées politiques et éducatives : « Inspirée par le succès » du spectacle, une école hors contrat visant à « évangéliser et transmettre la foi », nommée le Cours Zita, et derrière laquelle se cache de nouveau Guillaume Senet, n’a finalement pas ouvert comme prévu à la rentrée 2025.

« On a tenu le choc et on a franchi une étape », se réjouit Vincent Présumey, désormais en contact avec plusieurs autres collectifs. « On est en train de tisser une toile, qu’on a surnommée la diagonale de la résistance, car il se trouve que j’ai été invité dans plein de départements du centre de la France. »

Autre résistance locale : dans le Morvan, un collectif se mobilise contre l’ouverture du Cours Vauban, un collège privé hors contrat à Étang-sur-Arroux, en Saône-et-Loire. C’est le troisième établissement du réseau Excellence Ruralités, amplement financé par l’écosystème de Pierre-Edouard Stérin. Et pour cause : son directeur du développement, Paul-François Croisille, est également trésorier de La Nuit du bien commun depuis 2021, comme l’ont détaillé des enquêtes de Basta!.

« Des éléments de discours de l’école ont commencé à nous faire tiquer. Et, rapidement, un membre du collectif, documentaliste en CDI, a trouvé des liens avec toute une nébuleuse catholique traditionaliste », raconte Chloé Loyez, membre de Morvan mobilisation solidaire. Le groupe de citoyen·nes tente d’en informer le rectorat, la préfecture, la région et d’autres collectivités à travers une lettre ouverte, à laquelle se joignent la CGT Éducation, la FCPE, la Ligue des droits de l’homme (LDH) et d’autres syndicats. Il organise également des réunions publiques pour alerter les habitant·es.

Contre toute attente, « ce qui a été le plus efficace pour retarder l’ouverture du Cours Vauban n’a toutefois pas du tout été le bien-être des enfants ou les liens avec l’extrême droite, mais le fait que les travaux aient lieu sur une zone humide », témoigne Chloé Loyez. Avec le soutien de France nature environnement, le collectif réussit à faire retarder les travaux.

Mais l’établissement finit par ouvrir le 1er septembre. « Quand on a alerté le rectorat, la préfecture, la mairie, on s’est retrouvé·es face à un mur, avec une telle inertie, si ce n’est une complicité de certains élus pour leur laisser le champ libre », regrette la membre du collectif, qui n’abandonne pas pour autant la bataille. « La question du devenir de cette zone humide n’est pas terminée. Et même si on ne réussit pas à faire fermer le Cours Vauban chez nous, on va les empêcher d’aller faire des dégâts ailleurs », défend-elle.

La « diagonale de la résistance » s’étend jusqu’en Sologne, où, là encore, un collectif d’habitant·es et de militant·es – Luttes locales centre – se mobilise contre l’Académie Saint-Louis de Chalès, à Nouan-le-Fuzelier – un pensionnat catholique hors contrat financé lui aussi par Stérin, et réservé aux garçons. Tandis que le collectif prépare un « manifeste pour la Sologne », il en profite pour dénoncer, fin avril, les soutiens de la « baronnie locale » à ce projet, parmi lesquels Alexandre Avril, maire de Salbris (Union des droites pour la République, alliée au RN). Rejoint par la FSU, le PCF local, plus de 30 organisations syndicales, associatives ou politiques, ainsi que plus de 160 personnalités, le collectif publie, en juillet, une lettre ouverte adressée aux pouvoirs publics.

La réponse de l’Académie Saint-Louis de Chalès suit quelques jours après sur Le Figaro Vox, signée par « 300 habitants du département [qui] défendent l’initiative au nom de la liberté d’enseignement »« Là on s’est dit que c’était une source d’informations », commente auprès de Basta! Katherine, de la coopération des luttes locales du Centre. « Donc, on a commencé à regarder qui étaient les signataires. Et on s’est rendu compte que c’étaient des entrepreneurs qui avaient des propriétés ou agences de conseil dans les secteurs de la finance, de l’immobilier, de la chasse. Que la plupart habitent en région Centre, mais que leurs entreprises ont leur siège social à Paris », décrit la militante.

Cette investigation citoyenne, même si elle n’a pas permis de bloquer l’ouverture de l’établissement, a été riche d’enseignements : « Cela nous a permis de comprendre quelles étaient les attaches de l’Académie Saint-Louis sur le territoire. » Autrement dit, outre l’élu local Alexandre Avril, ce sont « une majorité de riches propriétaires, essentiellement parisiens, qui viennent faire de la chasse sur le territoire », analyse Katherine, qui a rassemblé ces informations dans une infographie détaillée.

Infographie élaborée par des militants sur les réseaux de soutien à l’écosystème Stérin en Sologne. Coopération des luttes locales Centre

Plus au sud-est, dans l’Ain, c’est une autre mobilisation contre un établissement catholique hors contrat pour filles qui a récemment porté ses fruits. À Châtillon-sur-Chalaronne, la Maison d’éducation Pauline-Marie-Jaricot, en partie financée par la Fondation pour l’école, proche de Pierre-Édouard Stérin, a fait l’objet d’un arrêté préfectoral de fermeture temporaire le 19 novembre.

Un an plus tôt, plusieurs organisations avaient commencé à alerter sur le projet pédagogique réactionnaire de l’école. « En plus de constater que le projet affiché était totalement aux antipodes de ce qu’on revendique, et même de ce que l’Éducation nationale peut préconiser, on a constaté que cette structure bénéficiait de soutiens publics », décrit Marie-Alix de Richemont, secrétaire générale de la CGT Éduc’action et membre du collectif Visa (Vigilance et initiatives syndicales antifascistes). Avec le soutien de nombreuses organisations, comme la LDH ou le Collectif féministe de Bourg-en-Bresse, un rassemblement était organisé devant la mairie le 13 octobre.

Le tribunal administratif de Lyon a finalement suspendu l’arrêté préfectoral le 26 novembre, entraînant la réouverture de l’établissement, mais la mobilisation continue. Car, « au-delà de Monsieur Stérin, l’extrême droite semble s’intéresser de façon extrêmement forte à l’éducation, or quand on regarde ses programmes, nous sommes terrifiés », alerte Marie-Alix de Richemont, par ailleurs professeure d’espagnol. Parmi les lauréat·es de La Nuit du bien commun, qui se tient ce jeudi 4 décembre à Paris, figure notamment l’école libre hors contrat Jacinthe et François, qui vise à transmettre aux enfants « une éducation intégrale » et « un enseignement complet s’appuyant sur la foi catholique ».

par Guillaume BernardRozenn Le Carboulec

Crédit photo de Une : DR.