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Elle écrit au Premier ministre, on lui répond de chercher du travail !

 

La reprise, ce n’est pas pour tout le monde. De nombreux travailleurs précaires ne voient pas d’embellie à l’horizon. Malgré le déconfinement, leurs activités restent à l’arrêt. Pour un temps indéfini. Ils n’ont pas tous droit au chômage, voient leur compteur d’allocations se réduire de jour en jour, et quand ils en alertent les services d’Édouard Philippe, ils ne sont pas entendus.

 

Jennifer travaille dans l’hôtellerie-restauration. À 32 ans, cette cheffe de rang enchaîne les contrats courts. Son employeur principal est un hôtel de luxe en région parisienne. Depuis mars, tout est à l’arrêt. Elle n’a plus de travail, mais pas de chômage partiel. Elle consomme donc ses droits au chômage. Ils vont s’épuiser en septembre. « Je ne suis pas la plus à plaindre » relativise Jennifer. « J’ai des collègues qui sont arrivés en fin de droits avant le mois de mars. Ils n’ont pas eu droit au prolongement de leur allocation*, décidé par le gouvernement. Ils n’ont plus rien. »

Si Jennifer a, pour le moment, des ressources, elle n’est pas sereine. Loin s’en faut. « Septembre, c’est demain ! Et demain, je n’aurai toujours pas de boulot. ». Son principal employeur l’a prévenue. Au mieux, il rouvrira l’établissement mi-septembre. Mais l’activité sera très ralentie et il devra se passer des services « en extra » de la jeune femme. « Il m’a dit de ne rien espérer avant mars 2021 » déplore Jennifer, encore sonnée par la nouvelle. Impuissante, elle voit son compteur de droits au chômage tourner. Le nombre de jours s’étioler. Jusqu’à épuisement total. Elle ne pourra pas recharger de droits à cause du premier volet de la réforme d’assurance chômage.

Depuis le 1er novembre, il faut avoir travaillé six fois plus d’heures pour ouvrir ou recharger des droits. L’autre volet de la réforme, qui doit réduire considérablement les allocations des travailleurs précaires, a pour le moment été repoussé d’avril à septembre. La ministre du Travail a promis des « adaptations » à la réforme. Sans plus de précision pour le moment. Des discussions avec les partenaires sociaux devraient se tenir d’ici à la fin du mois de mai.

 

Chercher du travail ? Merci je n’y avais pas pensé !

 

« Nous, les intermittents du travail, nous sommes les premiers visés par cette réforme injuste. Et nous subissons la double peine puisque nous sommes les grands oubliés de la crise sanitaire » dénonce Jennifer. Par exemple, elle ne comprend pas pourquoi les droits qui sont actuellement consommés par les demandeurs d’emploi ne sont pas gelés. Début avril, elle a d’ailleurs écrit au cabinet du Premier ministre pour alerter sur la situation de « toutes les personnes qui travaillent en intérim ou en extra ». Et qui voient leurs droits au chômage s’envoler, faute de pouvoir travailler. La réponse l’a sidérée. Elle l’a reçue comme une gifle. « En gros, on m’expliquait que je n’avais qu’à bosser ! Le mail me disait où et comment aller chercher du travail. En me rapprochant de Pôle emploi. Ou en allant voir les offres sur la plateforme mobilisation pour l’emploi»

Jennifer ne décolère pas. « Chercher du travail ? Merci je n’y avais pas pensé ! J’avais vraiment besoin de ce conseil ! » Il faut dire que la jeune femme n’est pas restée les bras croisés depuis l’arrêt de ses missions. « J’ai postulé partout ! Manutentionnaire, caissière, mise en rayon, conditionnement… J’ai envoyé des CV, mais je n’ai reçu aucune réponse. Aucune » insiste-t-elle. « On va encore nous faire passer pour des gens qui ne veulent pas travailler. Alors qu’on espère tous retrouver du boulot. » Jennifer cite l’exemple d’un ami parisien, parti travailler dans une usine à Nancy. « On sait qu’on va être obligés de trouver autre chose. Mais encore faut-il qu’il y ait autre chose ! »

Selon nos informations, le volume d’offres à pourvoir sur le site de Pôle emploi s’est littéralement effondré. La baisse est spectaculaire : -78 % d’offres la dernière semaine d’avril, par rapport à la même période de 2019 ! Quant à la plateforme de « mobilisation pour l’emploi » citée par le cabinet du ministre, elle ne proposait pas d’emploi adéquat pour Jennifer, pourtant prête à « toutes les concessions ».

 

Derrière la communication, une réalité moins reluisante

 

Lancée début avril par le ministère du Travail et pilotée par Pôle emploi, cette plateforme entend « répondre aux besoins urgents en main-d’œuvre dans des secteurs prioritaires ». Dans le détail : santé, agriculture, agroalimentaire, transports, logistique, aide à domicile, énergie et télécommunication. Les agents de Pôle emploi sont chargés de contacter les demandeurs d’emploi de leur agence pour les aiguiller vers les offres.

Dans une note interne que nous avons pu consulter, la direction de Pôle emploi écrit qu’il est « nécessaire de tenter de [les] convaincre d’accepter ces propositions ». Et de les « rassurer » sur les mesures de précaution prises par les employeurs. Sauf que… Les agents de Pôle emploi n’ont aucun moyen de vérifier que les règles sanitaires sont respectées. « C’est purement déclaratif ! » précise un conseiller de Pôle emploi. « Tout se fait par téléphone, on n’a aucun moyen de vérifier que la santé des personnes embauchées sera protégée ! ». Sur leurs annonces, les employeurs sont fortement incités à mettre en avant les mesures de précaution. Si certains garantissent des visières, du gel et des masques, d’autres se contentent de promettre que « les gestes barrières sont respectés ». Pas très rassurant.

La page d’accueil de la plateforme vante également la multitude d’offres à pourvoir. Entre 10 000 et 13 000, selon les jours. Mais quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit que certaines offres apparaissent chaque jour en double, voire en triple. D’autres sont loin d’être des emplois à pourvoir urgemment. Nous avons ainsi trouvé, dès le mois d’avril, des annonces pour des postes en juin voire juillet. Enfin, certains emplois proposés sont non pourvus depuis très longtemps. Et « traînent dans les tuyaux depuis des mois » remarque, amer, un conseiller de Pôle emploi.

Derrière la communication du ministère du Travail, la réalité est moins reluisante. Mais pour les travailleurs précaires, la réalité et l’avenir sont particulièrement terrifiants.

 

* Les allocations chômage sont prolongées pour les chômeurs arrivés en fin de droits à partir du 1er mars. La mesure continue de s’appliquer en mai. Elle pourrait l’être jusqu’à fin juillet, dernier délai, selon l’ordonnance du 25 mars.