Depuis la rentrée des vacances de la Toussaint, de nombreux enseignants et enseignantes des collèges et lycées d’Île-de-France se sont mis en grève ou ont fait valoir leur droit de retrait, exigeant un dédoublement des classes. Alors que le ministère de l’Éducation Nationale a pris l’habitude de ne rien leur lâcher, jouant la sourde oreille et minimisant les mouvements de grève, le contexte sanitaire et social inédit semble cette fois changer la donne : certains établissements ont d’ores et déjà obtenu le dédoublement.
Ce matin, ils n’étaient pas moins de 25 lycées, dans la grande majorité situés en Île-de-France, à avoir obtenu l’accord du rectorat ou de leur direction* pour dédoubler leurs classes. Et la liste, fournie par les « Bahuts En Lutte », n’était pas exhaustive.
Jean-Michel Blanquer ne les avait pas habitués à cela. Alors que le ministère de l’Éducation Nationale a réaffirmé sa volonté de laisser ouverts les établissements scolaires et de généraliser les cours en présentiel, pourquoi les digues semblent-elles craquer dès le premier jour de la rentrée ?
L’explication pourrait se trouver tout en bas de la sixième page du nouveau protocole sanitaire. Ce dernier prévoit en effet qu’un enseignement à distance soit partiellement mis en œuvre si « un établissement au regard de sa taille et de son organisation n’est pas en mesure de respecter les règles posées par le présent protocole ». La formule soulève plusieurs questions essentielles. Parmi elles : qui devra tirer la sonnette d’alarme ? Et qui évaluera si le protocole ne peut pas être respecté ?
Une première réponse grâce à la grève
Quelques jours avant la rentrée, la plupart des syndicats d’enseignants avaient déjà déposé des préavis de grève. Ils avaient pour but d’alerter sur les failles du protocole et de permettre aux personnels de ne pas se rendre dans leurs établissements s’ils estimaient cela trop dangereux.
En Île-de-France une première mobilisation le 2 novembre permet d’obtenir des réactions rapides de la part des chefs d’établissements. « Nous avons fait grève hier après-midi et avons obtenu que les classes de 35 élèves soient divisées par deux à partir de lundi prochain. Un premier groupe d’élèves restera à la maison avec du travail à faire et un autre sera en présentiel au lycée », explique Béatriz Gutierrez, secrétaire départementale de Sud Education 77 et enseignante au lycée Thibaut-de-Champagne à Provins.
« Nous avons une direction qui est plutôt à l’écoute, comparativement à d’autres endroits, mais je pense surtout qu’ils avaient peur qu’on prolonge notre grève », estime Béatriz Gutierrez. Car ce même jour, les mouvements de grève et les dépôts de droits de retrait se multiplient dans les établissements parisiens.
Grèves « massives »
En effet ce lundi 2 novembre, les comptes twitter du SNES-FSU 93 ou de la coordination des grévistes d’Île-de-France n’en finissent plus d’égrener les chiffres des grévistes, à tel point que Le Parisien parle de grèves « massives ».
Aurélien, enseignant d’histoire et de français dans un lycée professionnel du 93 raconte les prémices de la grève dans son établissement. « Le weekend avant la rentrée, nous avons tenu une AG numérique. Les collègues étaient outrés qu’on leur annonce quelques jours avant la rentrée qu’il n’y aurait pas d’heures banalisées pour parler de l’hommage à Samuel Paty et nous avons donc demandé le report de la rentrée des élèves à 10h, comme prévu au départ. Cela nous a été refusé et lundi matin, nous avons donc fait grève et organisé une assemblée générale pour exposer nos revendications. »
Parmi elles : le renfort en agents de service, en nombre insuffisant pour assurer le respect du protocole sanitaire (voir notre article) mais surtout, la possibilité de dédoubler les classes. « 30 dans une classe alors que l’épidémie a dépassé le niveau de mars dernier c’est une aberration », continue Aurélien, dont l’établissement a reconduit la grève ce mardi.
La lutte pour le dédoublement s’amorce. Le 3 novembre, de nombreux enseignants grévistes du département se réunissent devant les bureaux de la DSDEN 93 (Direction des services départementaux de l’Éducation Nationale de la Seine-Saint-Denis) pour exiger massivement le dédoublement. Elle ne donnera pas de suite à leur demande d’audience.
Un mouvement qui peut s’étendre ?
Reconnaître le droit à certains établissements de dédoubler leurs effectifs pose pourtant de nombreuses questions : pourquoi eux et pas les autres ? N’y a-t-il pas rupture d’égalité ? Et on voit mal le gouvernement laisser ces exceptions se propager. Interrogé par nos soins, le rectorat de l’académie de Créteil ne répondra pas à ces questions. Il démentira même avoir donné son accord pour que les classes soient dédoublées au lycée Thibaut-de-Champagne à Provins, prétextant que le dossier est à l’étude. Face à la réaction ulcérée des enseignants, le ministère compte-t-il revenir sur ses promesses de dédoublement une fois que la vague de grèves sera passée ?
D’autant plus que le mouvement pourrait avoir du mal à dépasser les frontières de l’Île de France. Si des grèves ont bien eu lieu ailleurs, comme au collège Alice de Guy à Lyon, au lycée Malraux à Voreppe (38) ou encore au lycée de Gap, elles semblent bien plus éparses qu’en région parisienne. Enfin les grévistes pourraient bien avoir le soutien des lycéens qui ont parfois tenté de bloquer leurs établissements, comme le documente Révolution Permanente. Mais leurs actions se heurtent bien souvent aux interventions musclées de la police.
*La décision de dédoubler les classes revient au rectorat, reste à savoir si les accords oraux des chefs d’établissements seront tous suivis d’effets.
Crédit photo : CC PhotonQuantique
Faisons face ensemble !
Si les 5000 personnes qui nous lisent chaque semaine (400 000/an) faisaient un don ne serait-ce que de 1€, 2€ ou 3€/mois (0,34€, 0,68€ ou 1,02€ après déduction d’impôts), la rédaction de Rapports de force pourrait compter 4 journalistes à temps complets (au lieu de trois à tiers temps) pour fabriquer le journal. Et ainsi faire beaucoup plus et bien mieux.