Dernier épisode en date de la réforme de l’assurance chômage, Élisabeth Borne a présenté hier le contenu du nouveau décret qui s’appliquera au 1er juillet. Sans grands changements sur le fond par rapport à la version initiale de 2019. Et ce, malgré l’opposition unanime des syndicats, une décision défavorable du Conseil d’État, la crise sanitaire, la récession et la crise sociale. Un passage en force de plus, comme à chaque étape de la réforme depuis trois ans.
Octobre 2017 : la préparation. C’est la période des discussions préliminaires à Matignon. Syndicats et patronat sont invités à échanger avec le gouvernement sur les réformes de l’assurance chômage, de la formation et de l’apprentissage. Rien de très concret n’est réellement mis sur la table par l’exécutif. Les syndicats restent dans le flou. Mais parallèlement, les déclarations publiques du patronat et de membres du gouvernement ne laissent rien présager de bon pour les chômeurs. « Ce n’est plus possible d’avoir un tel taux de chômage, et de voir des gens qui utilisent le système pour partir en vacances, faire le tour du monde plutôt que de chercher un emploi », avance Pierre Gattaz, alors patron du Medef. « La liberté, ce n’est pas de se dire que finalement je vais bénéficier des allocations chômage pour partir deux ans en vacances », renchérit Christophe Castaner, alors porte-parole du gouvernement.
Le ton est donné pour justifier un tour de vis. Et cela marche plutôt bien. Deux mois plus tard, un sondage Odoxa pour BFM Business, Aviva et Challenges montre que deux tiers des Français pensent que la part des chômeurs qui pourraient retrouver du travail s’ils s’en donnaient davantage les moyens ou s’ils se montraient moins difficiles est importante. Le tour de vis arrivera bientôt.
Avril 2018 : le coup de bâton. Le gouvernement présente sa loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel ». Pour les chômeurs, quelques droits nouveaux en direction des démissionnaires et des indépendants, dont la portée s’avérera très limitée. Mais surtout, plus de contrôles et des sanctions plus lourdes pour « insuffisance de recherche d’emploi ». Opposition des syndicats de salariés. Mais le texte est voté dans l’été 2018. Les décrets suivront.
Septembre 2018 : le coup de bluff. Le Premier ministre demande aux organisations syndicales et patronales de négocier et faire vivre le « dialogue social » à propos des règles de l’assurance chômage. Dans une lettre de cadrage, Édouard Philippe leur impose en guise de dialogue un cadre contraint intenable : économiser entre 1 et 1,3 milliard par an sur trois ans et réduire l’usage des contrats courts. Avec en prime la menace d’une reprise en main du dossier par l’exécutif en l’absence d’un accord entre « partenaires sociaux ».
30 décembre 2018 : Bonne année 2019. Le décret pour sanctionner davantage les chômeurs est publié au journal officiel la veille de la Saint-Sylvestre. Parmi les mesures prises, le refus à deux reprises d’une offre dite raisonnable d’emploi entraîne la suppression pure et simple de l’indemnité pendant un mois. Puis deux mois et quatre mois en cas de récidives. Les mêmes sanctions sont applicables aux chômeurs s’opposant à l’actualisation de leur projet personnalisé d’accès à l’emploi. Celui qui justement permet de définir les « offres raisonnables d’emploi ». La boucle est bouclée.
Février 2019 : cartes sur table. Patatras, les négociations sur l’assurance chômage échouent. Comme attendu. Tout au long des discussions, le patronat a refusé toute contrepartie autour d’une taxation des entreprises multipliant les contrats courts de moins d’un mois. Après quelques formules assassines pour discréditer des « partenaires sociaux » incapables de s’entendre, l’exécutif reprend le dossier en main. Il est maintenant seul aux commandes. Et prêt à tailler dans les dépenses.
Juillet 2019 : le décret sanglant. Malgré l’hostilité des syndicats de salariés, le gouvernement publie au journal officiel son décret modifiant les règles de l’assurance chômage le 26 juillet. La facture est douloureuse pour les chômeurs. Six mois travaillés sur 24 mois, au lieu de quatre sur 28 mois pour ouvrir des droits, six mois au lieu d’un pour les recharger. Et ce, à compter du 1er novembre 2019. Puis, à partir du 1er avril 2020, le second étage de la fusée, avec la modification du calcul du salaire journalier de référence qui détermine le montant des allocations chômage. Des indemnités qui seront évidemment revues à la baisse, et pas qu’un peu.
Même les cadres mangent leur pain noir. À rebrousse-poil d’une logique assurantielle où les allocations sont arrimées aux cotisations versées, le gouvernement impose une dégressivité à partir du 7e mois de chômage pour les demandeurs d’emploi dont le revenu en activité était supérieur à 4500 € brut. Entre-temps, le grand progrès social annoncé par le gouvernement, d’une taxation des contrats courts, a été largement raboté.
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1er novembre 2019 : premier volet. C’est parti, le premier étage de la réforme entre en vigueur. Avec pour résultat un retard ou une absence d’ouverture des droits pour de nombreux demandeurs d’emploi : 710 000 en une année selon l’étude d’impact de l’Unédic.
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Mars 2020 : les ennuis commencent. Le volet 2 de la réforme est prévu pour le mois suivant. Puis il y a eu ce virus venu de Chine. En une semaine autour de la mi-mars la France bascule. Discours de Macron le jeudi 12 mars 2020 sur le « quoi qu’il en coûte », Conseil de défense où est décidé un 49,3 sur les retraites le samedi matin, fermeture des bars et boîtes de nuit en urgence le soir même, une balade aux urnes le dimanche et le confinement 48h plus tard. Le volet 2 de la réforme de l’assurance chômage n’y résistera pas. Il est remis à plus tard, sans que le volet 1 ne bouge. Cela tiendra encore quatre mois avant qu’au tournant de l’été le gouvernement ne se voie contraint d’aménager aussi le premier volet.
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27 avril 2020 : aménager le moins possible, le plus tard possible. Le pays est confiné depuis plus d’un mois, l’économie est figée, les chômeurs ne peuvent plus vraiment rechercher de travail. Les syndicats de salariés réclament l’annulation de la totalité de la réforme de l’assurance chômage. Face à cette situation exceptionnelle, Muriel Pénicaud, alors ministre du Travail, promet « une adaptation rapide des règles ». Un mois s’écoule, puis deux. Rien ne se passe jusqu’au tournant de l’été où le gouvernement adoucit à contrecœur le volet 1. Mais sans l’annuler. Le volet 2 est renvoyé à des discussions ultérieures avec les « partenaires sociaux ». Annoncées, décalées, reportées, elles ne débouchent sur rien de concret pendant des mois, jusqu’au coup de tonnerre de la décision du Conseil d’État sept mois plus tard, le 25 novembre.
25 novembre 2020 : quand ça veut pas ! Le Conseil d’État, saisi par plusieurs syndicats, juge illégal le volet 2 de la réforme de l’assurance chômage. « Du fait des règles qui ont été retenues, le montant du salaire journalier de référence peut désormais, pour un même nombre d’heures de travail, varier du simple au quadruple […] une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard du motif d’intérêt général poursuivi », estime la haute juridiction. Une claque pour le gouvernement qui voit aussi retoquer la partie de son décret concernant les contrats courts. Pour autant, l’exécutif s’appuiera sur le mot « disproportionnée », dans la décision du Conseil d’État, pour considérer qu’il lui suffit de revoir à la marge sa copie pour contourner ce revers. Élisabeth Borne promet de réunir rapidement les « partenaires sociaux ».
La réforme de l’assurance chômage cassée par le Conseil d’État
25 janvier 2021 : bilatérales partout, négociations nulle part. Les discussions doivent reprendre pour, dans l’esprit du gouvernement, trouver un avenir à la partie invalidée par le Conseil d’État. Une réunion est prévue à la mi-décembre. Elle est reportée après les fêtes de fin d’année, puis organisée sous forme de rencontres bilatérales le 25 janvier. L’exécutif avance ses pistes. Mesures spécifiques pour les jeunes, niveau plancher pour les allocations, pénalités différées pour l’excès de contrats courts sont des mesures sur la table.
Mars 2021 : dépasser les bornes. Pas question de renoncer pour autant, malgré le Covid-19 et le Conseil d’État. La ministre du Travail Élisabeth Borne a présenté le 2 mars les mesures qui figureront dans un décret publié d’ici la fin du mois et dont les dispositions entreront en vigueur le 1er juillet prochain. Finalement, l’ouverture des droits, leur rechargement comme la dégressivité des allocations s’appliqueront tel que définis avant la crise. Seule une période transitoire en attendant « meilleure fortune » allège partiellement les mesures. Tout ça pour ça !
Pour le volet 2, invalidé par le Conseil d’État en novembre, un nouveau mode de calcul intégrera un plancher minimal pour le montant des allocations. Les chômeurs qui alternent périodes de travail et de chômage verront bien leurs allocations baisser. Au final, le gouvernement aura réussi le tour de force d’imposer une réforme rejetée par l’unanimité des organisations syndicales et en partie invalidée par la plus haute juridiction administrative. Un cas d’école.
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