Le projet de loi de finance (PLF) 2024 est examiné en commission des finances à l’Assemblée nationale depuis mardi 10 octobre. Il rassemble l’ensemble des recettes et des dépenses de l’État pour l’année à venir et permet donc de décider de la répartition du budget pour 2024. Or ce budget est largement contraint. Il est amputé d’environ 30% par les cadeaux fiscaux faits aux entreprises, mis sous pression par l’inflation mais aussi par la volonté gouvernementale de réduire la dette publique. Un cocktail qui rend impossible une politique sociale et écologique ambitieuse.
Le gouvernement n’en a pas fini avec le « en même temps ». Alors que le projet de loi de finance (PLF) 2024 est examiné en commission des finances à l’Assemblée nationale, Bruno Le Maire a déjà fixé son cap : « réduire la dette sans pratiquer de politique budgétaire austéritaire » tout en continuant les cadeaux fiscaux aux entreprises. Or, avec d’un côté l’inflation, qui réduit les marges de manœuvres de l’Etat (le PLF prévoit l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu sur l’inflation, une mesure à 6,1 milliards d’euros) et de l’autre le maintien des cadeaux fiscaux faits aux entreprises, ce « en même temps » est un vœu pieux : le budget 2024 sera bel et bien austéritaire.
Mais pas de panique. Si les députés refusent de le voter, il restera le 49.3. Elisabeth Borne l’a déjà utilisé le 27 septembre pour faire passer, sans vote, la loi de programmation des finances publiques (LPFP), soit la trajectoire budgétaire de la France jusqu’en 2027. On n’est plus à un passage en force près.
« Un capitalisme sous perfusion »
Pour retrouver de l’air, le budget 2024 aurait pu mettre fin à un certain nombre de dispositifs d’aide aux entreprises, qui sont loin d’avoir fait leurs preuves. Ces dernières sont de trois types, explique l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) dans son étude Un capitalisme sous perfusion publiée en mai 2022.
D’une part les « dépenses fiscales », de l’autre les dépenses « socio fiscales » (exonérations de cotisations sociales employeurs) et enfin les subventions de l’Etat et des collectivités locales. En 2019 (date des données de référence de l’étude) le cumule de ces trois types d’aides se chiffrait à 157 milliards d’euros, soit 6,44 % du PIB et 31 % du budget de l’Etat. Un ordre de grandeur confirmé par une étude de France Stratégie, de décembre 2020, qui évalue entre 139 et 223 milliards d’euros le périmètre des interventions économiques de l’Etat et des régions en 2019.
Le dogme des aides aux entreprises
Ces données recueillies sur une année témoignent d’une tendance. Et celle-ci n’est pas sur le point de s’amoindrir avec ce budget 2024.
« En près de 25 ans, la part du PIB consacrée aux diverses dépenses de soutien aux entreprises a augmenté de 70 milliards d’euros », déclare la CGT fonction publique, qui s’est livrée à une critique du PLF 2024. Elle précise :
En 2000, lorsque l’on neutralise les diverses dépenses de soutien aux entreprises, le budget de l’Etat représentait 14,1% du PIB.
En 2024, si l’on reproduit le même exercice, le budget de l’Etat ne représente plus que 11,4% du PIB.
Parmi ces dépenses, les exonérations de cotisations sociales représentent 75 milliards d’euros. Aussi appelées niches sociales, elles sont compensées par des impôts, principalement par la TVA (plus de 40 Mds d’euros par an), une forme d’imposition particulièrement inégalitaire.
Le gouvernement voit dans le soutien aux entreprises prétendument un moyen de soutenir la croissance et l’emploi. Sauf que ce dogme est régulièrement contesté, notamment par la Cour des comptes et par l’Ires. Forcément, avec un budget de l’État amputé à près de 31%, difficile d’avoir de grosses marges de manœuvre pour répondre aux grands enjeux sociaux et écologiques du pays.
Budget 2024 : 7 petits milliards pour l’écologie
Sept milliards d’euros supplémentaires pour l’écologie ! C’est l’annonce choc d’Elisabeth Borne, pour ce budget 2024. On ne les comparera pas aux 75 milliards d’euros de niches fiscales précédemment évoquées, de peur de souligner sa faiblesse. On se contentera de rappeler à quel point ils ne suffisent pas.
Selon le rapport Pisani-Mahfouzd » mené par France Stratégie (service, rappelons-le, rattaché à la Première ministre elle-même) : le financement de la transition climatique représenterait un surcroît d’investissement de 2,3 % du produit intérieur brut (PIB) par an. Pour que la France puisse tenir ses seuls engagements de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre à horizon 2030 (on ne parle même pas du coût du soin à apporter à la biodiversité) le rapport juge également qu’un investissement public immédiat de 30 milliards d’euros par an serait nécessaire sur le champ.
Autre problème souligne la CGT Finances publiques : « ces 7 milliards ne sont pas constitués de recettes nouvelles, le gouvernement refusant notamment l’idée d’un impôt sur la fortune (ISF) climatique ou d’une réforme fiscale en profondeur ».
Service minimum pour la fonction publique
Un chiffre pour résumer la politique des gouvernements (qu’ils soient de droite ou de gauche) depuis 2007 : 150 000. C’est le nombre d’emplois en moins dans la fonction publique d’Etat. Or, durant la même période, la population s’est accrue de 4 millions de personnes. « CQFD : le taux d’administration s’est donc détérioré et les conditions d’exercice et de rendu des missions publiques sont devenues plus difficiles » résume la CGT.
Le gouvernement a donc beau jeu de mettre en avant les créations d’emplois dans la fonction publique d’État prévues dans les budgets 2023 et 2024. « Sur les deux années considérées, le total est de 19 060 emplois, ce qui reste extrêmement modéré », précise la CGT fonction publique. Ce à quoi elle ajoute que 42% des emplois créés sont concentrés sur deux ministères : l’Intérieur et les Armées. A l’inverse, l’Éducation nationale n’a pas cette chance. Le gouvernement profite de la baisse du nombre d’élèves pour la rentrée 2024-2025 (83 000 élèves en moins) pour supprimer 2.500 postes. « Plutôt que de les supprimer, un redéploiement dans les quartiers les moins favorisés pour y soutenir le travail de l’Éducation nationale devrait être envisagé », estime la CGT.
Enfin, alors que Bruno Le Maire demande (cordialement) aux patrons d’augmenter les salaires, l’État, premier employeur de France, pratique des augmentations absolument ridicules. La CGT calcule que, compte tenu de l’inflation (sur laquelle les salaires, hors SMIC, ne sont pas indexés) la rémunération moyenne dans la fonction publique a diminué de 0,9% depuis 2009. En l’inverse, elle a augmenté de 13,1% dans la même période pour les salariés du privé. L’augmentation du point d’indice de 1,5 points alors que l’inflation 2023 est de plus de 5% est donc un nouveau recul.
Le logement : effort insuffisant
La rénovation énergétique des logements bénéficie de 1,6 milliard d’euros supplémentaires par rapport à 2022, pour un total de 5 milliards d’euros. Cette augmentation « viendra soutenir notamment la montée en charge des rénovations performantes aidées et accompagnées par MaPrimeRénov’, avec un objectif de 200 000 rénovations dès 2024 », indique le ministère de l’Économie et des Finances. Un effort insuffisant cependant tant la crise se fait sentir dans le secteur. Les crédits alloués à la production de nouveaux logements sont en chute libre depuis plusieurs mois. « Pas de moyens mis sur la table pour la production de logements sociaux, on s’y attendait, mais ça nous inquiète énormément », a réagi auprès de l’AFP Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre.
De plus, il n’est pas prévu d’aide globale pour les réhabilitations de logements sociaux, alors que « le plan de relance 2021-2022, puis le PLF 2023 avaient permis la mobilisation de 700 millions d’aides », signale l’Union sociale pour l’habitat. La Fondation Abbé Pierre regrette aussi que les aides personnalisées au logement (APL) ne soient revalorisées qu’au niveau de l’inflation (environ 400 millions d’euros) et que la réforme de la fiscalité des meublés touristiques (Airbnb et consorts) ne soit pas intégrée au texte.
Photo Credit: Dean Calma / IAEA
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