Royaume-Uni

Manifestations d’extrême-droite, expulsions de migrants vers la France : que se passe-t-il au Royaume-Uni ?

Deux expulsions par avion de personnes exilées vers la France ont été opérées depuis le Royaume-Uni ce 18 et 19 septembre 2025, quelques jours à peine après la manifestation massive d’extrême-droite dans les rues de Londres, le 13 septembre. Ces événements font suite à un été rythmé par des rassemblements hostiles organisés devant les hôtels pour demandeurs d’asile. Rapports de Force vous aide à comprendre ce mouvement xénophobe au Royaume-Uni et ses conséquences.

Les images ont marqué par l’ampleur de la foule réunie. Samedi 13 septembre, entre 110 000 et 150 000 personnes ont défilé dans les rues de Londres à l’appel du militant d’extrême droite britannique Tommy Robinson. Parmi les mots d’ordre de cette marche, présentée comme « pour la liberté d’expression » : le rejet de l’immigration. Une manifestation à laquelle a participé Éric Zemmour, et qui a été saluée par le milliardaire Elon Musk. Ce dernier a en effet encouragé à « dissoudre le Parlement et organiser de nouvelles élections » dans une vidéo appelant aussi à la violence face aux arrivées de personnes migrantes : « que vous choisissiez ou non la violence, la violence viendra à vous (…). Soit vous ripostez, soit vous mourez »

Cet évènement est en fait l’apogée d’une série de manifestations anti-migrants qui dure depuis le mois de juillet. Celles-ci se sont tenues régulièrement, au cours de l’été, devant les hôtels sociaux hébergeant des exilés en attente de l’examen de leur demande d’asile. À l’origine de la marche : l’influenceur islamophobe Tommy Robinson, plusieurs fois condamné pour troubles à l’ordre public et hooliganisme comme l’a retracé France Info. L’homme est aussi soupçonné d’avoir été l’un des instigateurs des manifestations anti-migrants qui avaient déjà eu lieu à l’été 2024, d’une manière tout à fait similaire, devant les hôtels pour demandeurs d’asile. Cette année, ces manifestations hostiles aux personnes migrantes ont pris davantage d’ampleur. Comment l’expliquer ?

« La violence et l’intimidation à l’extérieur des centres d’hébergement pour migrants sont un mouvement raciste d’extrême-droite encouragé par le pouvoir, manipulant des personnes légitimement en colère face aux problèmes socio-économiques », estime Libby Kane, coordinatrice du CrossBorder Forum qui réunit plusieurs collectifs et associations britanniques, belges et françaises autour de la frontière franco-britannique.

Le contexte du pays est celui d’une aggravation de la précarité ces dernières années. Aujourd’hui, un Britannique sur cinq est en situation de pauvreté. La journaliste Juliette Dumas, autrice de l’ouvrage Les affamés du royaume : la crise de la pauvreté en Grande-Bretagne (paru chez Stock), épingle « un discours politique qui normalise ou qui ne s’alarme pas outre mesure » de cette situation socio-économique.

C’est actuellement le parti travailliste qui est au pouvoir depuis juillet 2024. Dès les premières semaines, le Premier ministre Keir Starmer a fait non pas de la lutte contre la pauvreté mais bien de la lutte contre l’immigration sa priorité. À l’instar du gouvernement conservateur qui l’a précédé. Une série de mesures a été portée par le pouvoir, dont la dernière en date est le très controversé accord franco-britannique surnommé « un dedans, un dehors » ; ou « un pour un ».

Conclu entre les deux pays le 10 juillet, cet accord prévoit le renvoi en France d’un migrant arrivé au Royaume-Uni par une traversée en canot pneumatique de la Manche, en échange de quoi, Londres s’engage à accepter un migrant se trouvant en France mais exprimant sa volonté de demander l’asile sur le sol britannique. Une expérimentation prévue pour un an, sur laquelle les deux ministères rechignent à donner des détails logistiques. « Il s’agit d’une nouvelle tentative sinistre d’un gouvernement qui s’efforce d’apaiser l’extrême droite raciste, dont il devient de plus en plus la marionnette », fustige Libby Kane.

L’accord « va à l’encontre de la convention de Genèvequi oblige les pays à examiner la demande d’asile des personnes arrivant sur un territoire, quel que soit le moyen d’entrée », a rappelé auprès de l’Humanité Flore Judet, coordinatrice de l’association calaisienne l’Auberge des migrants. En outre, « Keir Starmer veut nous faire croire qu’il ouvre une voie légale, alors même que le regroupement familial existe déjà au Royaume-Uni ».

Selon les autorités britanniques, un premier exilé indien, ainsi qu’un second érythréen, ont été expulsés ce jeudi 18 et vendredi 19 septembre. Selon le journal anglophone The Guardian, dans le cadre de cet accord, 92 personnes étaient détenues en début de semaine en attendant leur renvoi en France.

Le Royaume-Uni et la France tentent péniblement d’appliquer l’accord, entré en vigueur début août. Plus d’un mois après cette entrée en vigueur, les premiers vols étaient initialement prévus ce lundi, mardi et mercredi. Mais « à notre connaissance, personne n’a été expulsé sur ces vols », fait savoir Libby Kane, corroborant les informations parvenant au compte-gouttes à la presse de la part des ministères français et britanniques.

Des contestations juridiques ont été victorieuses, notamment l’une concernant un jeune Érythréen de 25 ans, dont le vol vers l’Hexagone était prévu mercredi. La Haute Cour de Londres lui a accordé une période supplémentaire pour démontrer aux autorités qu’il avait bien été victime de tortures et de trafic d’êtres humains – lui qui, du fait de son arrestation dans le cadre de l’accord, n’a même pas vu sa demande d’asile être examinée. « Le fait que le ministère de l’Intérieur ait tenté d’expulser un tel profil illustre l’ampleur de la dépravation morale et de l’inhumanité de ce plan », souligne Libby Kane.

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L’opérateur des vols programmés jusqu’ici ? La compagnie Air France. « Nous appelons Air France, et toutes les autres compagnies aériennes potentiellement impliquées, à ne pas se rendre complices de ce trafic d’êtres humains raciste », dénonce la militante britannique. Une campagne d’envoi de mails et d’interpellations sur les réseaux sociaux a été initiée des deux côtés de la Manche. L’action a réuni des collectifs français et britanniques tels que Action Against Detention and Deportations, Solidarity Detainee Support et Gatwick Detainee Welfare Group.

Côté britannique, l’opposition à ce plan se joue aussi de manière moins visible dans les centres de rétention. Des groupes de bénévoles y visitent les personnes détenues dans le cadre de l’accord en collectant ainsi des contacts et informations utiles sur leurs profils et pour les contestations juridiques.

Ce type d’accord a pour but affiché de dissuader les traversées de la Manche. Un objectif tout à fait similaire au « plan Rwanda » que le gouvernement conservateur précédent avait tenté – sans succès jusqu’à aujourd’hui – de mettre en oeuvre. Pour rappel, cet accord consistait à renvoyer les exilés arrivés sur le sol britannique par bateau vers ce pays d’Afrique de l’Est, chargé d’y trier les profils ayant droit ou non à l’asile, le tout contre contrepartie financière. Malgré une série de revers juridiques, l’ex Premier ministre Rishi Shunak avait tenu à mettre ce plan au coeur de sa doctrine « Stop the boats » (« stoppez les bateaux »).

Ces deux dernières années, malgré ces annonces de mesures répressives plus ou moins applicables de la part des gouvernements, conservateur puis travailliste, les traversées de la Manche sont loin de faiblir. Plus de 31 000 personnes sont arrivées sur les côtes britanniques depuis début janvier 2025 selon les chiffres du Home Office (l’équivalent britannique du ministère de l’Intérieur). C’est un chiffre record à ce stade de l’année.

Les raisons sont multiples : d’abord les liens familiaux et linguistiques pour de nombreuses communautés du fait de l’histoire coloniale britannique ; mais aussi le nouveau système migratoire appliqué au Royaume-Uni depuis le Brexit, faisant du pays une porte de sortie clé pour des milliers d’exilés en errance administrative en Europe.