Depuis son congrès de décembre, le NPA est divisé entre deux groupes qui ne travaillent plus ensemble. Mais sur quelles bases la scission du NPA a-t-elle eu lieu ? Et quel pourrait-être l’avenir de l’une des organisations politiques les plus importantes à gauche de la France Insoumise ?
Rappel : les trois plateformes du congrès du NPA en décembre 2022
Plateforme A = 6,21%
Plateforme B = 48,50 %. Déposée par des militants historiquement considérés comme représentant le courant majoritaire du NPA et appelé « la majo ».
Plateforme C = 45,29 %. Déposée par des tendances et fractions opposées à « la majo ».
« Construire une mobilisation générale », « lutter contre le système capitaliste », « devenir la génération révolution ». Rien de surprenant dans le vocabulaire employé par les militants du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) lors de leur vidéo de vœux pour 2023. Rien de surprenant, si ce n’est que le site qui l’héberge est en réalité un doublon. S’il a le même nom et porte le même logo que le site historique du NPA, il a été créé par des militants en rupture avec la ligne politique portée par les ex-candidats à la présidentielle Philippe Poutou et Olivier Besancenot.
Aucune tentative d’usurpation d’identité : la création de ce site est une des premières conséquences de la scission informelle débutée le 9 décembre 2022, lors du cinquième congrès du parti. Elle acte l’existence de deux groupes distincts, qui ne se parlent pratiquement plus. « Cette situation ne nous satisfait pas. Ça donne encore une fois l’impression que l’extrême gauche est morcelée, dans une période où elle devrait être plus unie que jamais. Mais on n’avait pas d’autre choix que de créer nos propres canaux de diffusion puisque nous n’avons plus accès aux anciens », explique Damien Scali, un des militants apparaissant dans la vidéo.
NPA : le congrès de la scission
Difficile de parler d’une réelle scission puisqu’aucun des groupes n’a officiellement quitté le NPA. Pourtant, depuis le dernier congrès, environ la moitié des effectifs du parti fondé en 2009, a acté la décision de ne plus travailler avec la seconde. Ce groupe, appelé « la majo », pour majorité, dans le jargon militant, est constitué des membres de l’ancienne Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR). Il est à l’origine du projet du NPA : c’est de lui que sont issus les candidats aux élections présidentielles Besancenot et Poutou et c’est encore lui qui dispose de la majorité au sein de la Commission exécutive (CE), véritable organe exécutif du parti. Ainsi, le dernier congrès n’ayant pas permis la réélection de la CE, c’est toujours « la majo » qui détient le site web historique, la publication papier, la gestion des locaux ou encore la gestion du budget.
Or, lors du dernier congrès, « la majo » a soumis une plateforme (un texte d’orientation politique) au vote des délégués du NPA réunis à Saint-Denis. Celle-ci, appelée « plateforme B », a recueilli 711 voix, soit 48,50 %. Une très courte avance par rapport à sa concurrente, la plateforme C, qui a cumulé seulement 47 voix de moins, soit 45,29 % des votes.
Cette seconde plateforme est composée de fractions et de tendances du NPA, dont le projet diverge de celui de « la majo ». Parmi les plus importantes, on trouve la fraction l’Etincelle, issue d’une scission de Lutte Ouvrière ; Anticapitalisme et Révolution, tendance qui a fait des Hauts-de-Seine son fief et qui est bien souvent incarnée par la figure du syndicaliste postier Gaël Quirante ; ou encore Démocratie Révolutionnaire et Socialisme ou barbarie. Ce sont les signataires de cette plateforme C qui sont à l’origine de la création des nouveaux sites et réseaux sociaux évoqués précédemment. Une troisième plateforme, la A, a totalisé 6,21 % des voix.
Constatant l’existence de ces deux groupes de poids presque équivalents, les délégués de « la majo » en ont conclu qu’il était impossible de continuer à militer au NPA en l’état et se sont retirés du congrès, actant une scission pour l’heure toujours informelle.
Que faire avec la France Insoumise ?
Les raisons de cette scission sont diverses. Les rédacteurs des plateformes B et C s’accordent pour dire qu’ils divergent concernant l’attitude à adopter à l’égard de la France Insoumise. « Nous sommes contre les alliances électorales avec la France Insoumise. On n’est pas pour dire, comme la France Insoumise, que voter Mélenchon c’est s’économiser des kilomètres de manifestation. On ne veut pas apparaître sur les piquets de grève avec une étiquette qui laisse penser que le réformisme est une solution », soutient Damien Scali de la fraction l’Etincelle, plateforme C.
Pour la plateforme B, c’est différent. « Nous on pense qu’on peut s’entendre avec la gauche antilibérale, comme la France Insoumise, y compris présenter des listes communes. On a de bonnes relations avec une partie de leurs groupes militants. Il y a des camarades qui sont moins tournés vers la voie électorale que d’autres, on peut faire des choses avec eux », fait valoir Philippe Poutou.
De fait, « la majo » a déjà adopté cette ligne depuis plusieurs années. Notamment avec l’expérience « Bordeaux en lutte », liste municipale composée de membres du NPA , de la France Insoumise, ou encore de gilets jaunes. Une initiative unitaire qui a permis à Philippe Poutou de rentrer au conseil municipal de la ville.
« Front de fractions »
Mais les divergences ne sont pas seulement d’ordre politique. Les membres de la plateforme B mettent en avant une impossibilité à travailler avec ceux de la C. « De l’extérieur, ça ne se voyait pas, mais il y a toujours eu des divergences au sein du NPA », rappelle Philippe Poutou. Pas de scoop : ces divergences sont inscrites au cœur du fonctionnement du parti, puisque celui-ci autorise un droit de tendance. Ce droit permet à des groupes militants de se doter d’outils d’expression publique propres : des sites, une presse, des réseaux sociaux, dissociés de ceux de la majorité.
La nouveauté, c’est que la majorité considère désormais ces divergences comme trop fortes. « Nous avions un parti paralysé. Certains militants ne pouvaient même plus travailler ensemble », soutient Philippe Poutou. Ainsi, « la majo » assure que la scission était nécessaire pour éviter de faire du NPA « un front de fractions », sans capacité de travail commune.
Du côté de la plateforme C, on estime que cet argument est un prétexte pour justifier la scission. « Le fonctionnement commun était possible, tout cela n’était pas insurmontable. La preuve, nous avons mené la campagne Poutou à la présidentielle ensemble », explique Damien Scali de l’Étincelle.
À l’image de ces deux groupes qui ne se parlent plus, deux versions de la scission cohabitent, chaque groupe se renvoyant la responsabilité de la situation. « En se retirant du congrès, la plateforme B porte la responsabilité centrale de cette scission. Mais la C ne lui a pas facilité la tâche, en multipliant les pressions », explique Salomé Demeschi, militante au sein de la tendance Alternative Révolutionnaire Communiste (ARC), à l’origine de la plateforme A (6,21 %). « Avec ce troisième texte, on espérait éviter la scission, malheureusement c’est raté », constate la militante.
Effritement militant et conséquences politiques
Derrière les procès d’intention que les militants se renvoient à la figure, une réalité chiffrée apparaît : depuis sa création, le parti perd des adhérents. Alors qu’il en revendique 10 000 à sa création en 2009, ils ne sont plus que 2000 aujourd’hui. Bien souvent, cet effritement se fait au profit d’autres formations de gauche. En 2012, la création du Front de gauche crée un véritable appel d’air. Les militants de la Gauche anticapitaliste, une tendance du NPA, rejoignent alors cette union en formant, avec d’autres groupes politiques, le parti Ensemble. Les militants les plus favorables aux alliances avec Mélenchon et sa galaxie ayant quitté le parti, le poids de ceux qui sont le plus hostiles à ce type d’alliance ne cesse alors de grandir.
En 2016, lors du 3e congrès, tous les courants opposés à la majorité du NPA déposent une plateforme commune, totalisant déjà 41% des voix. Un NPA divisé en deux s’esquisse déjà. La tendance se confirme les années suivantes, y compris avec des scissions/exclusions (selon la version retenue) de certaines tendances, comme le CCR (Courant Communiste Révolutionnaire), plus connu sous le nom de Révolution Permanente.
Sortir d’une situation confuse
Quand le NPA pourra-t-il sortir de la situation confuse induite par cette scission informelle ? Pour l’instant la date est incertaine. « Nous sommes en situation de divorce. Il va falloir gérer les histoires de répartition de biens matériels, on va essayer de faire en sorte que ça se passe le moins mal possible », métaphorise Philippe Poutou. « Nous n’avons pas la folie de penser que la plateforme C représente à elle seule le NPA. Mais nous affirmons que nous ne sommes pas moins représentatifs du NPA que la plateforme B. Impossible pour nous d’abandonner le nom », soutient de son côté Gaël Quirante, militant de la tendance Anticapitalisme et Révolution, signataire de la plateforme C.
En attendant, les deux groupes continuent leur chemin de leur côté. « La majo » a d’ores et déjà fixé un meeting avec Olivier Besancenot, Philippe Poutou et Pauline Salingue, militante dans la santé à Toulouse, le 17 janvier à Paris. De son côté, la plateforme C organise un comité politique national les 14 et 15 janvier.
Deux stratégies assumées
Ainsi, deux lignes politiques vont se revendiquer du NPA jusqu’à nouvel ordre. La première, menée par l’ex-majorité, vise à s’adresser notamment aux déçus de la France Insoumise, sans jouer la carte de la révolution à tout prix. « Nous voulons regrouper des gens qui ne s’affirment pas forcément révolutionnaires, mais radicaux. C’est d’ailleurs le projet du NPA depuis 2009 et nous n’avons pas réussi à l’accomplir », fait valoir Philippe Poutou.
L’autre ligne, elle, affirme le primat de l’étiquette révolutionnaire. « Une de nos perspectives, c’est de former un grand pôle des révolutionnaires. Ce qui manque pour faire une révolution, ce n’est pas la vapeur (ndlr : le niveau de colère sociale), mais le nombre de militants révolutionnaires », affirme Gaël Quirante. Salomé Demeschi, militante de l’ARC, rappelle que les militants des groupes locaux ne sont pas tous obligés de choisir entre ces deux lignes. « Il ne faut pas oublier qu’il y a toute une partie des militants, notamment dans les zones plus rurales et les villes moyennes qui n’ont pas choisi leur camp dans cette scission et qui vont continuer à militer comme avant.» La scission du NPA est donc loin de signifier la fin de l’envie de militer à gauche de la gauche.
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