Le gouvernement a peu de mesures de « justice sociale » à présenter pour tenter de rendre plus acceptable sa réforme des retraites. La plus vendable en apparence est l’augmentation de la retraite minimum, alors que 5,7 millions de retraités vivent avec moins de 1000 € brut par mois. Mais tout indique que très peu de retraités devraient en bénéficier. Et que l’effort financier ne devrait pas excéder 0,1 % de hausse des dépenses de retraites par an.
Une belle leçon d’enfumage ou comment faire prendre des vessies pour des lanternes. Souvenez-vous : mi-novembre, une petite phrase du ministre du Travail devant les journalistes de la presse sociale avait suffi pour que le journal Les Échos s’enflamme, dans un article interview d’Olivier Dussopt en titrant « Nous irons au-delà des 1100 euros pour la retraite minimum ». Dans les 24 h suivantes, Le Point, France info et la presse quotidienne régionale emboîtaient le pas du journal économique avec des titres donnant l’illusion d’une grande mesure sociale.
Mais qu’a réellement dit le ministre ce jour-là ? « Au vu de l’inflation et de la revalorisation du SMIC, nous comptons aller au-delà de 1100 euros. Ce que nous portons c’est en fait une retraite minimum pour une carrière complète autour des 85 % du SMIC net », expliquait Olivier Dussopt. Soit potentiellement 1130€ pour 1,8 million de retraités à la carrière complète, sur 5,7 millions de retraités touchant moins de 1000 euros par mois. Anticipant la poursuite d’une inflation prévue par l’Insee à 7 % début 2023, Élisabeth Borne allait plus loin dans les colonnes du Parisien début décembre : « quand la réforme entrera en vigueur, cela correspondra à 1 200 euros au moment du départ à la retraite pour une personne qui a tous ses trimestres ». L’annonce paraissait belle. La réalité le sera nettement moins.
Qui sera concerné par cette augmentation de la retraite minimum ?
À vrai dire, pas grand monde, à écouter le gouvernement. Si le ministère du Travail s’est refusé à nous donner la moindre indication suite à nos nombreuses questions sur le sujet, Élisabeth Borne a été assez explicite lors de sa première interview de l’année, mardi 3 janvier sur France Info. « Ma priorité, c’est que ce soient les actifs qui vont devoir travailler un peu plus longtemps qui bénéficient de cette revalorisation », a-t-elle répondu lorsqu’on lui demandait si la pension minimum à 1200 euros concernerait les retraités actuels ou seulement les nouveaux retraités. En clair, ceux que la réforme contraindra à travailler jusqu’à 64 ou 65 ans.
Enfonçant le clou pour répondre à l’insistance du journaliste de France Info, elle ajoute « après, il y aura un débat sur le projet de loi, je n’ai pas de doute, il y aura des propositions en ce sens » à l’Assemblée et au Sénat. Une façon de dire, sans le dire complètement, que le projet de loi qui sera présenté en Conseil des ministres le 23 janvier prévoira une augmentation de la retraite minimum pour les seuls nouveaux retraités. À moins d’un revirement le 10 janvier, au moment des annonces gouvernementales, son extension ou non à tous les retraités sera débattue ultérieurement au Parlement. Mais peut-être pas longtemps, si un nouveau 49-3 est utilisé.
Par conséquent, avec la proposition du gouvernement, les 5,7 millions de retraités pauvres actuels seront exclus du dispositif. Quant aux nouveaux retraités de droit direct, qui sont en moyenne 650 000 chaque année (641 668 en 2020 selon la CNAV), ils n’en bénéficieront pas tous, puisqu’il faut justifier d’une carrière complète. Si on applique aux nouveaux entrants les mêmes pourcentages que sur la population déjà retraitée, à savoir que 37 % d’entre eux auraient des pensions inférieures à 1000 €, et sur ceux-là, moins d’un tiers (31,5 %) auraient une carrière complète, le nombre de personnes concernées pourrait chuter à 75 000 chaque année. Pour obtenir ce résultat, nous nous sommes basés sur les proportions données par le gouvernement dans un document fourni aux organisations syndicales dans le cadre des consultations, que nous avons pu lire.
Mais même en considérant quelques marges d’erreur, dans la mesure où nous ne connaissons pas encore le nombre exact de nouveaux retraités fin 2023, ni s’il y aura quelques variations sur la proportion de personnes n’ayant pas une carrière complète et ayant une faible pension, il ne fait pas de doute que les bénéficiaires d’une pension à 1200 euros seront moins de 100 000 la première année après la réforme. Une goutte d’eau dans un océan de pauvreté, alors qu’Emmanuel Macron estimait en juillet 2021 « qu’une vie de travail doit offrir une pension digne et donc toute retraite pour une carrière complète devra être supérieure à 1 000 euros par mois ». Mais l’arnaque ne s’arrête pas là.
Une goutte d’eau dans les dépenses de retraites
Au moment de présenter sa candidature le 17 mars 2022 pour un second mandat, le président de la République avançait l’augmentation des petites pensions comme une contrepartie du passage à 65 ans de l’âge de départ à la retraite. Et même comme un argument justifiant l’allongement de la durée du travail : « pour augmenter les pensions, il faut augmenter l’âge de départ ».
Mais les intentions du gouvernement contredisent clairement cette affirmation. L’instrument choisi par l’exécutif pour augmenter certaines pensions minimales est le minimum contributif. Pour l’heure, les modalités concrètes restent inconnues et risquent de se transformer en usine à gaz. Pour autant, dans diverses déclarations, le gouvernement a simplifié la réalité en avançant le chiffre moyen de 980 euros aujourd’hui pour celui-ci. Il n’est pas forcément exact, mais celui de 1200 euros après la réforme ne le sera pas forcément plus.
Mais prenons cette hypothèse gouvernementale comme base de calcul. Des pensions minimales à 1200 euros provoqueront une augmentation mensuelle de 220 euros. Sur 12 mois : 2640 euros par retraité. Multiplié par notre estimation de 75 000 personnes qui en bénéficieraient la première année, cela nous donne des dépenses supplémentaires d’un montant de 198 millions d’euros. Pas de quoi justifier un allongement de trois années de la durée de travail. Ni même deux années, alors que les dépenses de retraites s’élèvent à 345 milliards en 2021. Ce qui représente une augmentation de moins de 0,06 % la première année.
Et même si le gouvernement acceptait d’appliquer cette mesure à l’ensemble des retraités et non aux seuls entrants, son coût avait été estimé à trois milliards par an à l’horizon 2027 par le candidat Macron, lorsqu’il était candidat à sa propre succession. Là encore, comparé aux 345 milliards d’euros de dépenses de retraites, avec une augmentation de +0,86 %, il est difficile de faire avaler la nécessité de travailler plus longtemps pour les financer.
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