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11 mars contre l’austérité : le début d’une lutte à l’université ?

Coupes budgétaires, évaluations qui menacent les filières fréquentées par les étudiants des classes populaires… La colère monte à l’université tant côté étudiants qu’enseignants. Une première grande journée de mobilisation nationale est prévue ce 11 mars.

« À Poitiers, on a décidé que seuls les élèves qui étudiaient dans les bâtiments concernés pouvaient les bloquer. Résultats 50% à 60% des bâtiments de la fac sont bloqués ce 5 mars, c’est énorme« , décrit Jordan, secrétaire fédéral Solidaires étudiant·es. Avec 33 000 étudiants, l’université de Poitiers fait partie des pôles importants de la vie universitaire hors Paris. Depuis le mois de février, les étudiants y sont particulièrement mobilisés contre les coupes budgétaires visant l’enseignement supérieur et la recherche (ESR). Ce 6 mars, ils organisaient d’ailleurs une nouvelle journée de manifestation. « Depuis le mois de février, on a fait des assemblées générales (AG) où on était 800, c’est plus que pendant le mouvement contre la réforme des retraites, qui avait pourtant été très suivi ici. On occupait trois amphis, il fallait coordonner la vidéo en simultanée… Il y a aussi eu des manifestations où plus de 700 étudiants étaient présents. Les vacances (qui se sont terminées le 3 mars, ndlr) n’ont pas mis de frein à la mobilisation. Au contraire, elle a grossi à la rentrée« , continue le syndicaliste, étudiant en master à l’université de Poitiers. 

En ce début d’année 2025, si toutes les universités françaises sont loin d’afficher le même niveau de mobilisation que celle de Poitiers, un frémissement est pourtant en cours à l’échelle nationale. Alors que les vacances de février viennent de se terminer, des assemblées générales ont été organisées dans une vingtaine d’universités. « Cette semaine, nous étions une centaine en AG. C’est un début. La semaine prochaine on fera le tour des salles de cours pour faire débrayer les élèves et on ira manifester le 11 mars et le 13 mars« , explique Alexis, militant au Poing Levé à Paris 8 (Saint-Denis). En effet, une journée de mobilisation nationale est organisée le 11 mars à l’appel d’une large intersyndicale étudiante et enseignante. Quant au 13 mars : une manifestation parisienne inter-fac a été appelée par l’AG des étudiants de Nanterre.

La mobilisation de ce mois de mars n’est que la poursuite d’une contestation lancée dès l’annonce du budget austéritaire de Michel Barnier, globalement confirmé ensuite par François Bayrou. Le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche accuse une baisse d’1 milliard d’euros par rapport à 2024 (soit 31,3 milliards d’euros). La recherche subit également un gros coup de rabot notamment avec un quart de budget en moins dans le domaine de l’énergie, du développement et de la mobilité durables (480 millions d’euros de baisse).

« L’université fonctionne déjà sur un mode dégradé, avec des personnels qui compensent le manque de moyen en redoublant d’efforts. C’est très insidieux et, de l’extérieur on ne voit pas forcément le niveau réel de la dégradation. Avec ces nouvelles coupes budgétaires, des plans de retour à l’équilibre sont déjà votés dans certaines universités. Cela signifie réduire le nombre de formations, les ressources documentaires, les travaux dirigés, ne pas remplacer le personnel qui part à la retraite…« , soutient Anne Roger, secrétaire général du Snesup-FSU. 

Les organisations syndicales estiment que 80% des universités affichent de réelles difficultés financières et que 8 milliards d’euros seraient nécessaires à l’enseignement supérieur et la recherche publique pour remplir ses missions. 

Dès le mois de décembre 2024 des voix se sont vite fait entendre pour contester ces mesures austéritaires. Tant du côté des étudiants que des enseignants. Deux rassemblements ont été organisés à Paris les 10 décembre et 11 février. Ils réunissaient 300 à 400 personnes. Des premiers blocages contre l’austérité ont également été lancés par les étudiants en janvier et février comme à Rennes ou encore à Lille. Dans la capitale des Hauts-de-France, la présidence de l’université est allée jusqu’à demander l’intervention de la police pour déloger les étudiants à grands coups de gaz lacrymogènes.

Un autre élément est également venu attiser la colère et donner un nouveau souffle à la mobilisation. Le 14 février, le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) a rendu plusieurs rapports provisoires concernant les établissements de l’ESR situés en bordure parisienne, dans le nord de la France, ainsi qu’à Mayotte et à la Réunion. Plus de 25% des avis émis par cette instance qui évalue les formations sont défavorables. Un chiffre colossal qui a choqué la communauté universitaire. Dès le 19 février, dans un communiqué signé par une intersyndicale très large, un appel à « une riposte massive et unitaire » est lancé. Des « jeudis de lutte » sont organisés les 20 février, 27 février et 6 mars. Enfin, une mobilisation nationale est prévue pour le 11 mars, jour de CNESER budgétaire, où les financements seront répartis entre les différentes universités.

« Ce rapport n’a ni queue ni tête. Par exemple, dans licence informatique de Paris 8, on n’a le droit de recruter seulement 3% des étudiants hors de son académie. On a donc un public plutôt populaire. Mais on nous reproche de ne pas proposer des formations suffisamment internationales. Comme si nos élèves avaient les moyens de partir à l’étranger« , enrage Pablo Rauzy. Pour ce maître de conférences en informatique à l’université Paris 8, militant CGT Ferc-sup, les rapports de l’HCERES exposent au grand jour la nature de l’attaque menée contre l’ESR. « Ils y sont allés tellement fort qu’on voit clairement l’attaque néolibérale. Ils rêvent d’ un enseignement supérieur constitué de quelques « key labs » qui concentreraient la majorité des moyens financiers pour mener la compétition internationale. Les autres établissements, considérés comme des universités de seconde zone, seront uniquement là pour faire de la remédiation pour les populations précarisées« , poursuit Pablo Rauzy.

Si l’HCERES n’a pas le pouvoir de fermer directement certaines formations, ses avis peuvent servir aux présidences d’université pour justifier des fermetures. Anne Roger du Snesup appuie: « La volonté de fermer des formations est aussi motivée par le souhait de réduire le budget de l’ESR. » 

De plus, la remise des rapports a été particulièrement mal vécue par le personnel universitaire et les étudiants. « On a rempli des tableaux excel pendant des semaines et à la fin on prend ça dans la figure. Il faut se rendre compte que ce genre de réaction met aussi des gens en burn out« , assure Pablo Rausy. Ce 3 mars, l’AG des personnels de Paris 8 rassemblait une centaine de personnes. « Pour une première AG, ce n’est pas mal du tout« , estime le cégétiste. Les personnels de Paris 8 ont appelé à une AG inter-fac parisienne dans leurs locaux le 15 mars.

Côté étudiant, savoir sa formation jugée négativement inquiète et suscite de la colère. « À Paris 8, de nombreuses formations ont été attaquées par l’HCERES. On sent que ça touche les étudiants, que ça énerve et que ça peut entraîner de la mobilisation« , indique Alexis du Poing Levé Paris 8.