L’ensemble des postiers sont appelés à une journée de grève nationale le 18 mai par plusieurs syndicats. Mépris, manque de reconnaissance, réorganisations à outrance, perte de sens des métiers, rigueur salariale, sont autant de griefs reprochés à la direction de La Poste.
« Une dizaine d’agents ont été cas contact au Covid-19 de cadres de La Poste. Moi j’ai eu ma prime Facteur d’avenir baissée de 50 %. J’ai un collègue qui n’a touché que 4,50 € », explique Christophe*, un jeune facteur et syndicaliste CGT. « Les critères ne sont pas bons », regrette Nicole*, prenant pour exemple un facteur, jamais absent, cas contact Covid au travail cette année, et sanctionné sur sa prime. Au-delà de six jours d’absence par an, chaque journée supplémentaire ampute celle-ci de 9 %. Quelle qu’en soit la raison.
De quoi agacer à la distribution du courrier, où les facteurs font partie de ces salariés dits de la « seconde ligne », dont les salaires hors primes ne dépassent que de peu le SMIC, pour la majorité non-fonctionnaire des agents. Et, en matière de rémunération, les postiers n’ont pas grand-chose de plus à se mettre sous la dent. La direction n’a pas l’intention de verser la prime Macron en 2021 et l’augmentation des salaires 2020 ne dépassait pas les 0,2 %. Enfin, côté intéressement, les agents ne verront rien venir, malgré un bénéfice de 2,1 milliards d’euros l’an dernier.
« Une colère calme ! »
« Nous ne sommes pas valorisés à la hauteur du travail que l’on fait », explique Valentin*, douze ans de boîte au compteur à l’âge de 35 ans. Il constate que, réorganisation après réorganisation, les tournées sont de plus en plus lourdes. « Avec la surcharge de travail, les gens ne disent rien, encaissent, et à un moment, c’est une cocotte minute : ça explose », avance-t-il pour imager son vécu et celui de ses collègues. Mais s’il admet que cela provoque de la colère, c’est pour mettre aussitôt en avant une autre réalité : la destruction du collectif de travail qui permettrait son expression. « On ne connaît plus grand monde, les CDD arrivent et partent sans arrêt », regrette-t-il. « Une colère calme ! » C’est par cette formule que Christophe qualifie l’état d’esprit dans son bureau de Poste.
Cependant, le mépris et l’absence de reconnaissance ressentis par bien des factrices et facteurs servent de carburant aux mobilisations et se caractérisent par un : ceinture sur l’intéressement, ceinture sur la prime Macron, ceinture sur les salaires. Mais par contre, avec de nouvelles suppressions d’emplois et de tournées. Une réalité que la fédération SUD-PTT tente de traduire pour la journée de grève du 18 mai par le slogan : « Zéro augmentation, zéro prime, zéro embauche, réorgs partout = Riposte ! »
Un appel national à la grève semi-unitaire
Cette riposte, appelée de leurs vœux par certains syndicats, prend forme. Après des conflits départementaux au mois de mars dans les Hauts-de-Seine et en Gironde, une intersyndicale inédite par son périmètre (CGT, CFDT, SUD, FO, UNSA, CFTC) s’est fendue le 14 avril d’un appel à la mobilisation : présence dans la rue le 1er mai, semaine d’action mi-mai, et une date de grève non déterminée dans cette période. Une inflexion nationale qui a suscité la création d’intersyndicales départementales, plus ou moins larges, selon les possibilités locales de travail en commun. Et venant d’une partie de celles-ci : des appels à une journée de grève le 18 mai.
Faute d’un accord national à six syndicats sur cette date, les fédérations SUD-PTT, puis CGT-FAPT se sont lancées seules dans un appel général à la grève le 18 mai, en phase avec les appels locaux. Nationalement, Force ouvrière, pourtant impliquée dans de nombreux appels départementaux, titre sur son site internet par un ambigu « 18 mai, luttons comme il nous plaît ! ». Pendant que la CFDT, l’UNSA et la CFTC ne disent rien, même si localement certains de leurs syndicats appellent à la grève le 18 mai.
Pour cette journée de grève nationale, les revendications portent sur les salaires et primes, l’octroi d’un treizième mois, d’embauches, ainsi que sur la fin de la précarité et des fermetures de bureaux et suppressions de tournées.
La pression des réorganisations à La Poste
Fermeture de bureaux pour les guichetiers, suppression de tournées pour les facteurs, les réorganisations vont bon train à La Poste. Les syndicats en dénombrent un millier sur l’ensemble du territoire. Avec des suppressions de position de travail et des gains de productivité pour l’entreprise, non démentis par le plan stratégique 2030 de la direction de l’opérateur postal.
Dans son bureau, « pendant la crise du Covid, la boîte a procédé à une dizaine de suppressions de position de travail à la sauvette », évalue Christophe. En attendant une prochaine réorganisation, prévue officiellement dans quatre mois, pour laquelle aucun chiffrage n’a encore été livré aux agents comme aux syndicats. « On sait qu’ils vont faire sauter 15 positions de travail. Les CDD et les CDD intérimaires vont dégager », analyse-t-il.
Pour préparer sa réorganisation, la direction locale a fait passer un questionnaire à chaque factrice et facteur. « Ça ne sent pas bon », suggère Malik*. La cinquantaine, il a été abasourdi par certaines questions. Notamment les premières « Est-ce que vous voulez toujours faire de la distribution ? Est-ce que vous avez des projets professionnels ? » qui l’ont de suite mis en alerte. « On sent vraiment qu’ils veulent dégraisser », explique-t-il. Du coup, les spéculations sur le nombre de suppressions d’emploi vont bon train : « on entend parler de 16, de 30 », raconte-t-il. Un futur sombre, comme dans tous les services de La Poste, à moins d’un premier sursaut le 18 mai.
* Les prénoms ont été modifiés
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