Après plus d’un an d’une pandémie qui a mis les mobilisations sociales en difficulté, c’est un 1er mai de transition. Pas encore totalement déconfiné, mais pas non plus moribond ou sans perspectives.
Reprendre la rue. C’était le premier des enjeux de cette journée pour les organisations syndicales qui avaient été privées de défilés lors du 1er mai 2020 à cause du premier confinement strict. L’appel unitaire national CGT, FO, FSU, Solidaires à manifester ce samedi a été suivi d’effet : près de 300 rendez-vous sur l’ensemble du territoire. Et des cortèges relativement garnis, alors que des restrictions de circulation persistent et que la crise du Covid-19 n’est toujours pas derrière nous.
À Paris, la manifestation n’a pu démarrer qu’avec deux heures de retard. Des affrontements en amont des cortèges syndicaux en bloquant le départ. Pour autant, le nombre de manifestants dans la capitale est estimé à 25 000 par la CGT et dépasse celui de la dernière journée de grève interprofessionnelle du 4 février. Une date regardée comme une jauge comparative à dépasser par Simon Duteil, un des deux porte-parole de Solidaires. Avec l’espoir pour le responsable syndical que ce 1er mai permette de « sortir mentalement du confinement pour reprendre des luttes victorieuses ».
Carrefour des luttes
« Journée de revendications et de solidarité », c’est ainsi que Sandrine Gammoudi Sauzeat, motifs de poings levés rouges sur son masque bleu, qualifie la journée du 1er mai. Cette membre de la commission exécutive de l’Union départementale CGT du Rhône tient à rappeler l’importance de cette date partout dans le monde. Et d’autant plus en période de crise sanitaire, quand il est difficile de se voir et de se mobiliser. « C’est un instant de retrouvailles pour tous ceux qui luttent ». Et ils sont plutôt nombreux à Lyon malgré la pluie : 3000 selon la préfecture, 5000 selon la CGT, l’organisation la plus représentée dans le cortège.
Mais loin d’être la seule. Les manifestations du 1er mai unifient de nombreuses luttes. C’est le cas de Michel, Claudine et Marielle, gilets jaunes de Mâcon, venu à Lyon pour y trouver de l’air et de la convivialité. « Nous n’avons plus de rond-point à Mâcon, nous nous retrouvons sur les marchés », explique Michel, retraité du privé. Dans cette ville qu’il qualifie de « cité administrative où règne la bourgeoisie et l’apathie », le 1er mai n’a pas l’habitude d’être très suivi. « Ce qu’on veut ? C’est toujours la révolution et le RIC (ndlr : référendum d’initiative citoyenne) », explique Claudine, institutrice à la retraite. « Mais c’est vrai qu’on s’épuise », avoue Marielle, cheffe d’entreprise. Une perspective se dessine néanmoins pour le petit groupe : la sixième ADA (assemblée des assemblées des gilets jaunes) devrait avoir lieu à Paris fin juin.
Ce 1er mai est aussi celui de la confirmation des rapprochements entre mobilisations sociales et mobilisations écologiques. Dans les cortèges de nombreuses villes, membres d’associations et de collectifs écologistes sont présents. C’est le cas de Fleur, militante à Alternatiba-ANV Rhône. En lutte « pour la justice sociale et écologique », sa présence dans le cortège du 1er mai lui paraît une évidence. « Ça a été dur de militer pendant le Covid, mais quand c’est dur, ça me motive d’autant plus. » Pendant les premiers mois de confinement, la militante a contribué à transformer le bar de son association en lieu de distribution alimentaire et base arrière de maraudes. « Nous étions près d’une centaine de militants à assurer cette action de solidarité. C’est à ce moment que notre engagement prend encore plus de sens », explique la militante.
Des écologistes et des gilets jaunes joints aux syndicalistes, mais pas seulement. En plus : la présence centrale des occupants des lieux de culture. Mais aussi des cortèges féministes dans plusieurs villes, ou encore des regroupements de sans-papiers, vite oubliés, mais bien présents parmi les salariés dits de la « seconde ligne ». Et encore plusieurs centaines de teufeurs à Montpellier, regroupés ce 1er mai pour dénoncer une fois de plus la loi sur la sécurité globale.
Des mouvements sociaux déconfinés ?
Ce n’est pas un grand soir, mais tout de même un léger frémissement, dans une période toujours peu propice aux mobilisations. Les manifestants étaient 3700 selon la préfecture et 5000 selon la presse locale à Nantes. Pas un raz-de-marée, mais c’est en tout cas deux fois plus que lors de la journée du 4 février au cœur de l’hiver. Ils étaient 1600 selon la police et 4500 selon les organisateurs à Bordeaux. Mais aussi 2000 à Montpellier sous la pluie. Et encore 2000 à Rennes, 1500 à Tours ou Dijon.
En tout cas assez pour faire dire à Philippe Martinez que « d’autres journées d’action en mai et juin scanderont ce printemps offensif ». Si le propos est empreint d’un optimisme volontariste, les motifs de mécontentement sont nombreux contre un gouvernement qui « n’a pas été à la hauteur face à la pandémie, à la destruction de l’hôpital et des services publics », explique de son côté Simon Duteil. Pour le syndicaliste de Solidaires, il est urgent de replacer les questions sociales au centre, alors que l’extrême droite est en embuscade dans la course à la présidentielle.
Pour cela, le porte-parole de Solidaires réclame des mesures d’urgence : « socialisation de l’industrie pharmaceutique, des brevets publics sur les vaccins, l’accès pour tous les jeunes aux minima sociaux, l’augmentation des salaires, les 32 h, l’interdiction des licenciements dans les entreprises qui font des profits, l’abrogation de la réforme du chômage, le conditionnement social et écologique des aides aux entreprises ».
Pas de doute, pour tout cela, une seule manifestation le 1er mai ne suffira pas.
Guillaume Bernard et Stéphane Ortega
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