Maison des métallos occupation (avril 2024)

À Paris, l’occupation de la maison des Métallos, base arrière de la lutte pour les mineurs étrangers à la rue


Ballottés de gymnase en gymnase, expulsés des campements de fortunes, 250 jeunes mineurs en recours occupent, depuis samedi 6 avril, la maison des Métallos à Paris. Ils réclament des hébergements durables et dénoncent les expulsions et le harcèlement policiers, causés par l’organisation des Jeux  olympiques.

 

Lieu culturel emblématique de Belleville, où s’est écrite une partie de l’histoire de la lutte ouvrière de la capitale, la maison des Métallos a retrouvé une partie de son identité, faite d’AG, de réunions militantes et d’organisation de manifs. « Ici c’est un lieu de lutte, pas un lieu de vie », lance un militant, soutien du collectif des jeunes du parc de Belleville, à l’initiative de l’occupation. En occupant ce lieux, le collectif veut mettre la pression sur la Mairie et la Préfecture pour obtenir des garanties pour que tous les mineurs en attente de recours soient logés pendant et après les Jeux-Olympiques. Déclaré majeurs à leur arrivée en France, les 250 jeunes qui occupent les lieux ont tous fait appel de cette décision. Ils tentent maintenant de prouver leur minorité devant un juge pour enfant.

Le long des murs, des couvertures s’entassent, certains font la sieste pendant que d’autres discutent dans l’entrée principale du bâtiment. Des notes de guitares s’échappent du brouhaha provoqué par l’arrivée de dizaines de sandwichs, préparés par des bénévoles et financés par la caisse de grève du collectif.

Organisé depuis octobre dernier et composé de mineurs sans solutions d’hébergement et sans aucun accompagnement, le collectif a multiplié les manifestations à Belleville, devant la mairie du XXe au aux côtés de la marche des Solidarités lors du mouvement social contre la loi immigration. Leurs mobilisations ont permis d’arracher à chaque fois quelques places en hébergement d’urgence, sans pour autant recevoir un vrai accompagnement, ni un logement sur le long terme.

Ils alertent depuis des mois sur leurs conditions de vie et dénoncent leur abandon par l’État et la Mairie de Paris. Ils réclament que soit prise en compte la présomption de minorité, afin d’obtenir une protection, un logement, l’accès à l’éducation et l’usage des transports gratuits, comme tous les mineurs d’Ile-de-France.

De campements en expulsions, de gymnases à la rue, la situation intenable de ces jeunes les a mené, ce 6 avril, à occuper ce lieu du XIe arrondissement de Paris.

 

 

Maison des métallos occupation (avril 2024)
D’après l’association Utopia, 65% des jeunes qu’elle a accompagné pour des recours en 2021 ont finalement pu être reconnus mineurs auprès du juge des enfants.

 

Depuis la maison des Métallos, étendre la lutte aux gymnases

À la maison des Métallos, près de 70 jeunes sur les 250 occupants vivent à la rue, tandis que les autres ont une place temporaire en gymnase. Penché sur une feuille, un feutre à la main, Nazih passe une partie de ses journées à dessiner. À l’étage, un mur est tapissé de ses œuvres « On est là pour aider. Si on laisse ceux qui vivent à la rue tout seuls, ils ne pourront rien faire, ils ont aussi besoin de nous », glisse-t-il. Il est logé actuellement dans un gymnase à Barbes, mais il ne sait pas pour combien de temps. Avant ça, il a vécu à la rue, « longtemps », dit-il sans plus de précision. Lui aussi, comme tous ces jeunes, est en procédure de recours pour prouver sa minorité.

Mardi 9 avril, le collectif a décidé que ceux qui étaient hébergés dans des gymnases y retourneraient dormir la nuit, tout en continuant de venir renforcer l’occupation en journée. Dans ces lieux d’hébergement d’urgence, les conditions de vie sont difficiles et on demande aux jeunes de partir dès le matin. « Si on part plus que deux jours, on est rayé de la liste et on ne peut plus y retourner », explique Julien, mineur en recours et un des délégués du Collectif des jeunes du parc de Belleville.

Retourner dormir en gymnase, c’est aussi l’occasion d’étendre la lutte dans tous les lieux de vies de ces jeunes. « Il est hors de question d’abandonner les gymnases, on s’est battu pour ça aussi. Il y a maintenant plusieurs lieux de lutte, ici et dans les gymnases », lance un membre du collectif face à plus de 200 jeunes réunis dans la grande salle de la maison des Métallos.

 

L’organisation des JO, le « nettoyage social » des rues de Paris

 

Cette occupation était d’autant plus urgente que la pression du « nettoyage social » lié au JO s’accentue. Alors que l’hébergement d’urgence est déjà saturé dans la capitale, sans que les moyens ne suivent pour augmenter le nombre de places, l’organisation des Jeux olympiques est venue ponctionner le peu d’hébergement restant.

Ces derniers mois, les expulsions de campements se sont enchaînées dans Paris et sa banlieue, tandis que personne ne sait encore ce qu’il adviendra de ces places d’hébergement d’urgence pendant les JO. Partout où on va, la police nous déloge, explique Julien. Il raconte s’être retrouvé « sans solutions » après l’expulsion du campement où il vivait, sur les quais de Seine le 6 mars dernier. « Avec les JO, la police veut nettoyer les rues, comme si on était des déchets », s’indigne-t-il.

Alors que des sans-abris ou des exilés sont régulièrement envoyés par bus hors de la capitale, ou que des étudiants se voient expulsés de leur logement CROUS, les mineurs craignent eux aussi d’être forcés de monter dans des bus en l’absence d’alternative. En procédure de recours pour prouver leur minorité, aucun d’entre eux ne souhaite quitter Paris, où ils sont régulièrement attendus pour des rendez-vous et des audiences pour faire avancer leur dossier. « Personne ne veut monter dans les bus. Déjà ici on a des difficultés pour circuler avec les contrôles pour aller aux rendez-vous, alors comment on va faire en province ? », s’interroge Julien.

Le collectif Le revers de la médaille, composé de plus de 80 associations, comme Médecins du monde ou Emmaüs, alertent depuis plus d’un an sur le « nettoyage social » à l’œuvre dans les rues de Paris, en vue de la préparation des Jeux olympiques : « Sur le terrain, nous constatons des effets très préoccupants de la préparation des Jeux en Île-de-France: expulsions forcées de populations en situation d’habitat informel et précaire, éloignement des personnes en situation de rue ou que l’on voudrait invisibiliser de l’espace public », écrit le collectif.

 

Ni mineurs ni majeurs, une lutte pour sortir de la zone grise

 

Julien, raconte ces huit derniers mois à la rue et la constitution progressive du collectif, en lutte pour des hébergements dignes, pérennes et l’application de la présomption de minorité aux jeunes en recours : « J’ai été expulsé d’un gymnase, j’y suis resté même pas un mois, on m’a dit d’aller déposer une demande d’asile », raconte-t-il. Pourtant, le jeune homme est actuellement en procédure de recours auprès d’un juge des enfants, après avoir été reconnu majeur lors de leur première évaluation de minorité. Demander l’asile reviendrait à arrêter les procédures de recours et risquer une OQTF. Pire, à renoncer à une éventuelle prise en charge par l’aide sociale à l’enfance.

Le Comité des droits de l’enfant, un organisme des droits humains rattaché aux Nations-Unies a accusé la France en janvier 2023 de violer plusieurs articles de la Convention internationale des droits de l’enfant, qui stipule notamment de reconnaître mineur toute personne se déclarant comme tel, jusqu’à la décision finale d’un juge.

Selon une enquête publiée mercredi 10 avril et réalisée par la Coordination nationale jeune exilés en Danger (CNJED), 3477 jeunes isolés vivent en errance en France, et 1067 d’entre vivent à à la rue. « Conformément au droit international, tous ces jeunes devraient bénéficier de la protection accordée aux mineurs et être pris en charge par l’aide sociale à l’enfance en attendant la décision d’un juge » écrit le CNJED.

 

Après six jours, malgré la crainte d’une expulsion, l’occupation tient bon

 

Mardi après-midi, une dizaine de policiers, gazeuse et LBD à la main sont venus troubler l’ambiance festive et détendue qui régnait à la maison des Métallos. Simple mesure de vérification des lieux, disent-ils, « une provocation », pour les militants sur places. « Si vous êtes mineurs, moi aussi je le suis !», ricane, face aux jeunes, un policier au crâne dégarni.

Alors que la crainte d’une expulsion traverse tous les esprits, la Mairie de Paris a indiqué aux associations présentes qu’elle ne demanderait pas à la police d’expulser les occupants. Dans un communiqué, la Ville a appelé l’État à « une prise en charge immédiate par l’État des publics concernés ». Interrogée sur la possibilité d’expulser les lieux, ou d’une mise à l’abri pérenne des jeunes, la préfecture de police de Paris n’a pas répondu à nos questions. Mercredi, l’ONG Médecins du monde est venue distribuer des kits d’hygiène et permis l’ouverture de plusieurs douches dans le lieu. Pour le collectif, les conditions d’une occupation durable sont réunies, et personne ne compte lâcher la Maison des Métallos.

SUD éducation Paris et la CGT spectacle ont apporté mardi leur soutien à l’occupation. La Marche des solidarités et le comité des travailleurs sans papiers 75, appellent à une manifestation en soutien à l’occupation, vendredi 12 avril à 16 heures. Elle partira de la place de la République et se terminera devant la maison des Métallos.