Les aiguilleurs seront en grève le week-end du 24 et 25 février, à l’appel de Sud Rail. Prévue de longue date, cette mobilisation catégorielle fait suite à celle des contrôleurs le week-end précédent, du 16 au 18 février. Pourquoi les aiguilleurs, et pourquoi un mouvement catégoriel plutôt qu’unitaire ? Rapports de Force fait le point.
Après les contrôleurs le week-end passé, c’est au tour des aiguilleurs de partir en grève ce 24 et 25 février, à l’appel du seul syndicat Sud Rail. La grève des contrôleurs avait été largement suivie : les trois quart des agents ont débrayé. Les réactions politiques ne se sont pas faites attendre.
Le ministre délégué aux transports, Patrice Vergriete, s’est dit « surpris » par une grève jugée « disproportionnée par rapport à la qualité du dialogue social à la SNCF ». Dans le même temps, certains parlementaires, du centre-droit à l’extrême-droite, ont soutenu des propositions visant à limiter le droit de grève – un droit constitutionnel, pour rappel. Le sénateur centriste Hervé Marseille, par exemple, a déposé une proposition de loi visant à durcir la réglementation sur le service minimum dans les transports, et à enlever aux agents le droit de faire grève sur certaines périodes de vacances scolaires.
Une séquence de « diversion politique », balaie Julien Troccaz, de Sud Rail, « pour faire oublier, entre autres, la crise des agriculteurs. Le bashing des cheminots fait son retour sur le devant de la scène », soupire-t-il. Quant au droit de grève : « celles et ceux qui proposent de le restreindre sont ceux qui bossent le moins », raille-t-il. « Je ne connais personne qui exerce un travail de première nécessité et voudrait ça ! Ce ne sont pas les collègues dans l’éducation, ni dans le milieu hospitalier, qui défendraient une chose pareille… Et si certains pensent que ça va calmer une colère sociale et un rapport de forces : ils se trompent ».
Une grève contre le rythme de travail « très intense » des aiguilleurs à la SNCF
Parmi leurs revendications, les aiguilleurs demandent une indemnité de circulation de 300 euros, ainsi que des embauches pour une hausse des effectifs. Mais l’enjeu central concerne les conditions de travail.
« On est sur des postes décalés, en 3×8 pour la plupart. Il faudrait améliorer le rythme de travail quotidien pour ces collègues, qui ont déjà un emploi très intense. Par exemple : de forts enjeux de sécurité, ou encore l’encadrement des travaux sur les voies ferrées… », décrit Julien Troccaz. Pour se faire, les aiguilleurs ont une revendication principale : passer de l’actuel schéma, un roulement dit « sur 4 lignes » – c’est-à dire un poste en 3×8, 7 jours/7, tenu par seulement 4 agents – à un roulement « sur 5 lignes », poste tenu par cinq agents.
Un « 4 lignes » implique inévitablement davantage de « trous de roulement » : autrement dit, des moments sur une journée de service où aucun agent en roulement n’est disponible, leurs temps de travail respectifs ayant été effectués. Un « 4 lignes » équivaut à plus de 150 trous de roulement par an, calcule Sud Rail dans un document d’analyse paru sur le sujet.
Ce schéma a pour conséquence de « diminuer la part des agents en roulement au profit de la réserve », explique le syndicat. La réserve, ce sont des agents qui viennent remplacer leurs collègues lorsqu’il y a ces fameux « trous de roulement » sur une journée de service. Travailler comme agent de réserve implique d’être fortement mobilisé pendant les vacances scolaires, et surtout d’avoir « un planning connu au dernier moment, avec des changements de dernière minute très fréquents, qui rendent très compliqués l’articulation avec la vie familiale et sociale », détaille Sud Rail. Pour l’entreprise, faire appel à la réserve permet d’avoir une organisation plus flexible donc de faire des économies, ici ou là, sur les postes (5 % d’effectifs en moins, calcule Sud Rail).
« Pas de perspective unitaire »
Le fait que la grève des aiguilleurs succède à celle des contrôleurs a fait dire à certains responsables politiques, comme le chef des file des Républicains Éric Ciotti, que les syndicats de la SNCF jouaient la « surenchère permanente ». Or, cette mobilisation a un historique. En mai 2022, suite à une grève unitaire à la SNCF, les fédérations CFDT, UNSA et Sud Rail lèvent leur préavis face aux engagements pris par la direction du groupe. Sauf que, fin 2022, « quand on fait le bilan, on se rend compte qu’il n’y a pas eu une application sérieuse des engagements pris sur les questions d’emploi, de rémunérations, d’organisation du travail », retrace Julien Troccaz.
Un fort conflit social éclate au mois de décembre 2022. Les contrôleurs ont d’ailleurs dénoncé, le week-end dernier, le non-respect du protocole d’accord qui en était ressorti. Puis, la séquence sur la réforme des retraites en 2023 a suspendu un temps les mobilisations sur le sujet. Jusqu’à l’automne 2023, où une nouvelle grève des contrôleurs et des aiguilleurs éclate, avec « la même base revendicative qui avait été construite auparavent », souligne Julien Troccaz. Fin 2023, dans la même perspective, « nous décidons, à Sud Rail, de lancer une nouvelle mobilisation. Nous ne sommes donc pas dans une stratégie de « surenchère syndicale », mais bien dans la poursuite d’un processus plus ancien ».
Reste que Sud Rail fait cavalier seul sur cet appel de fin février. « Il y a des discussions qui doivent être ouvertes par les directions en local, et on l’espère au niveau national, sur ces sujets-là. Donc nous aujourd’hui, on est pas sur ce mode d’action », a justifié Romain Pitelet, secrétaire général adjoint CGT Cheminots, sur BFMTV. Tout en précisant que certaines actions pourraient être menées par des équipes CGT au niveau local.
Cette solitude de Sud Rail explique en partie le caractère catégoriel de la mobilisation. L’idée d’un mouvement plus global avait bien été évoquée pour Noël 2023 par le syndicat, dans la foulée de NAO (négociations annuelles obligatoires). « Sauf qu’on a eu une fin de non recevoir des trois autres fédérations. Début 2024, on a proposé de nouveau : même refus. On manque de perspective unitaire. Notre conclusion a donc été de s’orienter vers des mobilisations catégorielles qui ciblent les personnels auprès desquels Sud Rail fait un travail en profondeur depuis des mois ». Le syndicaliste ne veut pas y voir « un aveu de faiblesse », mais admet que « s’il y avait eu une perspective unitaire, avec les autres fédérations, il en aurait été autrement ».
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