grève Palais Galliera

Au Palais Galliera, musée de la mode de Paris, une grève suite à des propos racistes


 

Au Palais Galliera, musée de la mode de la Ville de Paris, on trouve 200 000 objets de collection, du Dior, du Balenciaga… Depuis mi-janvier, c’est aussi le théâtre d’une grève, organisée en soutien à deux veilleurs de nuit. Ces derniers sont sous le coup d’une procédure disciplinaires pour avoir réagi vivement aux propos racistes tenus par un supérieur.

 

« Ce qui blesse le plus, c’est l’absence de soutien de la part de la direction. Si j’avais été blanc, je n’aurais pas été traité comme ça. » Suspendu depuis quatre mois, Ibrahima, 44 ans, vient d’apprendre qu’il est muté sur un autre lieu de travail. Il est reproché à ce veilleur de nuit, tout comme à son collègue Bruno, d’avoir eu une attitude « agressive de nature à perturber l’ordre du service ». La procédure a été enclenchée après un différend avec l’un de leurs encadrants, survenu le 28 novembre 2023, au sujet de leur prise de fonction. Ibrahima, fonctionnaire, officie depuis cinq ans aux réserves du Palais Galliera.

En 2022, ce musée de la mode situé dans le XVIe arrondissement de Paris et abrite 200 000 objets de collection dont des pièces de Dior ou Balenciaga, avait été cité dans une enquête de Libération sur des cas de harcèlement sexuel, de racisme et d’homophobie au sein des musées de la Ville de Paris. L’article avait mené à une saisie de l’inspection générale de la Ville. Cette fois, la gestion managériale suite à des agissements racistes a finalement provoqué une grève au Palais Galliera.

 

« Vous les noirs, vous ne voulez pas travailler »

 

Habitant au Mans et d’origine guadeloupéenne, Bruno, 48 ans, dont vingt-quatre ans de métier, a l’habitude d’arriver dès 17h30 sur son lieu de travail pour prendre son service à 19h50. Cela lui permet d’éviter tout problème de train, de venir en renfort à ses collègues ou de les remplacer au besoin. « Il était environ 19h ce jour-là. Mon encadrant me dit que, comme je suis arrivé depuis longtemps, je dois signer ma prise de service. Je lui ai répondu qu’il n’était pas encore l’heure, et que j’allais passer aux toilettes d’abord. Il hausse le ton, me dit de signer le registre tout de suite. » 

Ibrahima, arrivé entre-temps, assiste à la scène : « J’ai vu notre encadrant jeter son sac et son manteau à terre, j’ai cru qu’il allait nous frapper. Je lui ai dit que mon collègue allait noter sa prise de poste, et moi après lui, et qu’il n’y avait pas de problème. Il a répondu ‘j’ai remarqué que vous les noirs, vous ne voulez pas travailler. » 

 

Sanction disciplinaire et grève au Palais Galliera

 

Choqués par le caractère raciste des propos, les deux veilleurs auraient alors intimé à leur encadrant de quitter les lieux. « On lui a répété que c’était du racisme, et qu’on irait voir le médecin et les syndicats. » Début décembre, tous deux ont porté plainte, et rédigé une fiche de signalement interne, restée sans réponse. « Mais ils nous ont dit au téléphone que ce n’était pas la peine de revenir », indique Ibrahima. Un courrier de suspension tombe quelques jours plus tard, ainsi qu’une convocation à un entretien disciplinaire. Leur encadrant, qui dans le même temps a effectué un signalement, n’aurait de son côté pas fait l’objet de mesure disciplinaire.

 

Racisme et sexisme au travail : des luttes qui s’imposent dans les conflits sociaux

 

Le 17 janvier, les deux veilleurs sont reçus par la directrice des ressources humaines de Paris Musées, dont dépend le Palais Galliera. Il leur est reproché d’avoir « agressé verbalement » leur supérieur hiérarchique, avec une « gestuelle agressive des mains », mais aussi de mal remplir leur registre. S’ils viennent tous deux d’être mutés, la procédure disciplinaire n’est a priori pas clause. Contacté, Paris Musées n’a pas souhaité s’exprimer sur le dossier, indiquant que l’enquête était toujours en cours. Sollicitée également, la Ville de Paris n’a pas souhaité répondre.

Selon Ibrahima, des tensions préexistaient avec leur encadrant avant les faits, et notamment une attitude qu’il qualifie de dénigrement constant. « Ce n’était pas par rapport à notre travail, mais à notre manière de tenir la main courante [registre du personnel, NDLR]. Il nous disait que c’était illisible, mal noté, qu’on avait indiqué 19h au lieu de 18h55, etc. Il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas », résume-t-il.

 

Six jours de grève au Palais Galliera

 

Après un courrier à la direction de Paris Musées signé par les équipes de jour et de nuit du dépôt en décembre demandant la réintégration de leurs collègues « dans les meilleurs délais », et que « tout le jour soit fait » sur les conditions qui ont mené à l’altercation, leurs collègues se sont mis en grève les 17 et 18 janvier au Palais Galliera. D’autres jours de mobilisation suivent en février, puis en mars, cette fois pour demander l’abandon des sanctions à l’égard de Bruno et Ibrahima, mais aussi la suspension et la mutation de l’encadrant. En vain. « Ce qu’on leur reproche est aux antipodes de ce qu’on sait d’eux, il est improbable qu’ils se soient mis en colère sans raison », souligne un de leurs collègues, Jonathan*, présent sur le piquet de grève du Palais Galliera mi-mars.

« On veut faire valoir notre malaise, parce qu’on voit une grande solidarité de la hiérarchie contre la base, indique Jonathan. Un certain nombre de nos collègues sont à cran, sachant que cet encadrant continue à faire des évaluations, et à tenir des propos problématiques. Le climat est délétère, alors que c’était un site très tranquille. » 

Pour Max*, agent de jour qui travaille au dépôt du Palais Galliera, l’ambiance s’est également détériorée depuis l’arrivée de cet encadrant, deux ans plus tôt. Il explique subir une certaine « pression », avoir déjà été humilié devant un autre collègue, et sentir un traitement différencié du fait d’être noir : « On a l’impression qu’il peut, sans problème, mal parler à tous ceux qui ne sont pas nés en France. Il y a quelque temps, je me suis trompé d’horaires, en arrivant à 7h du matin au lieu de 10h30. J’ai demandé à finir le travail à 15h plutôt qu’à 19h, et il m’a répondu “non tu t’es trompé, tu dois assumer maintenant”. J’ai donc travaillé quatre heures en plus, gratuitement. » Il a fallu que Max en réfère à son N+2 pour régler le problème et s’assurer que ces heures seraient tout de même payées.

« C’est à la tête du client, un autre collègue s’est carrément trompé de jour une semaine plus tard, et il n’y a pas eu de problème, poursuit-il. Il a aussi dit à un collègue ivoirien ‘avec ton accent, tu ne passeras pas le concours de la fonction publique, tu peux lâcher tes livres’. Vu ses agissements et la manière qu’il a de s’adresser à nous en tant que personnes noires, on n’a pas eu de doutes sur la véracité des faits dénoncés par les collègues. » 

 

« Gestion raciste » 

 

Dans un communiqué diffusé le 13 mars, la CGT Paris Musées dénonce une « gestion raciste » de la part de l’administration de l’établissement public : « un minimum de conscience antiraciste aurait dû suffire à inverser les rôles, en suspendant immédiatement l’encadrant et en entendant au plus vite les victimes ».

Les élus communistes de la Ville de Paris ont de leur côté apporté leur soutien aux veilleurs de nuit, et appelé, dans un courrier du 11 mars, à l’arrêt des procédures à l’encontre des victimes présumés de propos racistes et à l’ouverture d’une enquête « externe et indépendante » alors qu’une enquête administrative serait actuellement menée par le secrétaire adjoint du Palais Galliera et par un chargé de mission de la DRH de Paris Musées.

« Être victime de racisme et devoir partir comme ça de mon ancien lieu de travail, c’est une injustice. Et on ne sait même pas ce qui nous attend encore, étant donné que la procédure n’est pas finie, indique Ibrahima. J’ai un fils de 10 ans et je ne sais pas comment lui expliquer pourquoi je ne vais plus au travail. C’est très douloureux. Tout ce qu’on veut, c’est réintégrer notre poste, et retourner travailler sereinement. Je veux être jugé sur mes compétences de travail, et non être traité différemment du fait de ma couleur de peau.» 

Bruno souligne : « Pendant notre entretien disciplinaire, la seule chose que la DRH avait en tête, c’est qu’on avait été agressifs, mais les propos racistes, par contre, ne l’ont pas gênée. Qu’est-ce que ça veut dire la violence pour les gens finalement ? Le racisme n’en fait pas partie ? » 

 

Photo : CGT Paris Musées