Whole Foods Market, filiale d’Amazon qui emploie 95 000 salariés aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni surveille ses magasins pour tuer dans l’œuf toute possibilité de syndicalisation. Pour la direction du groupe la « loyauté des employés », le roulement des effectifs et même « la diversité raciale » sont autant d’indicateurs d’une possible organisation des salariés. Une pratique peu étonnante au vu du passif anti-syndical d’Amazon.
Sur une carte des États-Unis, 510 points représentent les magasins Whole Foods. Une note est attribuée à chacun d’eux en fonction de la probabilité que leurs employés forment ou rejoignent un syndicat. Les notes les plus hautes sont signalées par des points rouges, ce sont les magasins dont le « risque de syndicalisation » est le plus élevé.
D’après des documents consultés par le site américain Business Insider, Whole Foods Market, chaîne de supermarchés biologiques détenue par Amazon, établit un fichage précis de ses magasins. Pour ce faire, l’entreprise utilise une vingtaine d’indicateurs parmi lesquels on trouve la « loyauté des employés », le roulement des effectifs, le nombre de fois où la ligne de signalement des ressources humaines a été jointe, la proximité d’un bureau syndical et même « la diversité raciale ». Les facteurs économiques et démographiques locaux tels que le taux de chômage ou encore le pourcentage de familles de la région vivant sous le seuil de pauvreté alimentent également cet indice de risque de syndicalisation.
Si on en croit Whole Foods Market, la carte permettrait d’alerter la direction afin qu’elle entre directement en contact avec les salariés, sans qu’il y ait besoin de syndicat. Si l’entreprise reconnaît le droit des salariés « à décider si la représentation syndicale leur convient », elle précise toutefois à Business Insider : « Nous sommes d’accord avec l’écrasante majorité des membres de notre équipe sur le fait qu’une relation directe entre les dirigeants et les membres de l’équipe est la meilleure solution. » Whole Foods Market présente ainsi les syndicats comme des intermédiaires encombrants qui nuiraient au bon déroulement du dialogue entre l’employé et son patron.
Amazon, un passif anti-syndical
Malheureusement, les méthodes de Whole Foods Market n’ont rien d’étonnant quand on connait les pratiques d’Amazon en matière de répression anti-syndicale. En 2018, alors qu’Amazon possède la chaine de supermarchés depuis à peine un an, la direction envoie une vidéo destinée aux cadres de Whole Foods Market. Révélée par le média américain Guizmodo, la vidéo explique comment anticiper et empêcher l’organisation des salariés dans une entreprise.
Parmi les conseils prodigués on trouve déjà, à l’état embryonnaire, certains des indicateurs qui permettront de constituer la carte. Parmi eux, la fameuse « loyauté envers son entreprise ». Si le salarié « utilise des mots comme salaire décent ou délégué syndical, s’il distribue des pétitions ou des dépliants, s’il adopte un comportement qui ne correspond pas à son caractère, ou bien encore s’il s’intéresse trop à la vie de l’entreprise, alors vous avez là des signes annonciateurs d’une organisation des travailleurs à laquelle il faut rapidement répondre », explique la vidéo. Au delà de ces « facteurs » d’alerte, la vidéo prescrit des moyens de lutter contre la mise en place d’une organisation : « Vous pouvez utiliser la manière douce et leur dire que vous préférez traiter directement avec vos associés, ou employer la manière forte et leur dire : « les syndicats mentent, ce sont des rats trompeurs ». La loi vous protège dans les deux cas. »
En France, la multinationale a également eu l’occasion de prouver son mépris pour les droits syndicaux. En 2017, le délégué CGT du site Amazon de Chalon-sur-Saône a ainsi vu son ordinateur confisqué pendant trois jours par un informaticien de l’entreprise qui prétextait éliminer un virus. Une fois rendu, les données confidentielles du délégué avaient été perdues sans qu’on puisse jamais savoir ce qu’Amazon en avait fait. Enfin, depuis le début de la crise du Covid-19, les syndicats français d’Amazon ont dû affronter leur direction pour faire respecter les conditions de sécurité sanitaire dans les entrepôts. Bien qu’ils aient remporté la bataille devant la justice et obtenu la fin des livraisons de produits non essentiels, la direction d’Amazon France les a désignés comme responsables de sa fermeture et donc des licenciements qui pourraient en découler. Une fois encore, sous couvert de se placer du côté de ses salariés, Amazon s’en est pris à ses syndicats.
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