Décret accentuant le contrôle et les sanctions à l’égard des chômeurs, négociations sur l’assurance chômage exigeant des économies risquant de toucher à l’indemnisation des demandeurs d’emploi, courbe du chômage qui ne baisse que marginalement : l’année à venir se présente mal pour les chômeurs.
C’est un drôle de cadeau que le gouvernement réserve aux chômeurs en cette période des vœux de bonne année. Dimanche 30 décembre, la veille des vœux du président de la République, un décret d’application de la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », votée cet été et promulguée le 5 septembre, est paru au journal officiel. Il stipule dans son volet sanction, applicable au 1er janvier, qu’un chômeur refusant à deux reprises une « offre raisonnable d’emploi » verra son indemnité supprimée pendant un mois. En cas de nouveau refus, la peine passera à deux mois, puis quatre lors d’un troisième rejet d’une proposition. Le refus d’actualisation du projet personnalisé d’accès à l’emploi, celui qui définit les critères de l’offre dite raisonnable, conduit aux mêmes sanctions. « La suppression des droits est une nouveauté, jusqu’ici lorsqu’un chômeur était radié, ses droits étaient récupérés ultérieurement », se scandalise Thomas, syndicaliste CGT à Pôle emploi.
Pourtant avant le vote de la loi « avenir professionnel » au Parlement, le gouvernement avait rassuré que la suppression des droits des chômeurs n’interviendrait pas lors d’un premier refus de deux « offres raisonnables d’emploi », mais la fois suivante. Une erreur de communication ou un mensonge malheureux alors que le chef de l’État dans son allocation du 31 décembre a fait de la vérité un des trois piliers de ses vœux pour 2019. Sans nommer le mouvement des gilets jaunes, Emmanuel Macron a exhorté le pays à se protéger « des fausses nouvelles, des manipulations et des intoxications ». Pour l’exemplarité donnée par le gouvernement, c’est raté ! D’autant que les sanctions qui devaient être réduites à 15 jours de radiation à Pôle emploi pour un rendez-vous raté avec un conseiller, seront là aussi plus lourdes qu’annoncées. Ce sera un mois.
Haro sur les chômeurs
En pleine crise des gilets jaunes, au moment où un sondage Harris interactive de début d’année fait passer le pouvoir d’achat au premier rang des préoccupations des Français, devant le terrorisme, ce coup porté aux chômeurs et le reniement de la parole donnée sont un peu aventureux. De plus, la finalité de la mesure interroge. Comme ne manquent pas de le rappeler les syndicats de l’organisme public de recherche d’emploi, seuls 8 % des chômeurs indemnisés ne seraient pas en recherche active de travail, selon les chiffres divulgués par Pôle emploi lui-même. De quoi alimenter la suspicion qu’un autre but est recherché : celui de pousser les chômeurs à prendre n’importe quel travail. Et ainsi de pousser à la baisse de la rémunération du travail.
« Le fond du problème demeure le manque d’emplois de qualité pour les six millions d’inscrits à Pôle emploi », rappelait début 2018 Sabina Issehnane, maître de conférence en économie à l’université Rennes 2. Un problème qui persiste avec une conjoncture économique peu flamboyante. De ce fait, le chômage ne baisse pas vraiment : -1,2 % pour les inscrits à Pôle emploi en catégorie A, mais +0,6 % toutes catégories confondues en 2018. Du coup, la tentation est grande pour l’exécutif de pousser les chômeurs à prendre n’importe quel travail en s’appuyant sur l’obligation d’accepter les « offres raisonnables d’emploi ». Celles-ci étaient, jusqu’à cette année, définies par des critères déterminés lors du contrat passé entre Pôle emploi et l’allocataire : le projet personnalisé d’accès à l’emploi (PPAE).
Ainsi y était fixés le secteur d’activité, la rémunération attendue, la distance entre le lieu de travail et le domicile, ou encore le type de contrat. Mais si le demandeur d’emploi ne retrouvait pas une activité rapidement, les critères du PPAE étaient néanmoins élargis et les prétentions de la personne en recherche de travail amoindries. « Le marché du travail étant tellement dégradé, par réalisme, les conseillers poussent naturellement les demandeurs d’emploi à revoir à la baisse les critères », explique Laurent, syndicaliste à Pôle emploi. Si cela ne suffisait pas, le décret du 30 décembre modifie maintenant les règles. Ainsi, « la personne en recherche d’emploi sera tenue d’accepter un salaire moyen dans sa branche et sa région sans aucune référence, comme aujourd’hui, avec son ancien salaire perdu », dénonce la CGT Pôle emploi.
Le pire est à venir
Les chômeurs ne sont pas au bout de leurs peines en cette année 2019. En plus d’un chômage persistant et de sanctions renforcées, ils devront compter avec la réforme de l’assurance chômage dont les négociations, débutées à l’automne dernier, reprennent à partir du 9 janvier. Là encore, des sacrifices sont au programme. Le gouvernement a donné une lettre de cadrage aux représentants des chefs d’entreprises et des salariés qui fixe à 3,9 milliards, le montant des économies à réaliser pour les trois années à venir. Plus d’un milliard par an pour « assainir » les caisses de l’Unedic.
Pour atteindre ce résultat, l’exécutif et le patronat ne manque pas d’idées à agiter sous le nez des syndicats : durcissement des règles de l’activité réduite permettant de cumuler un petit emploi et le chômage, baisse de la durée d’indemnisation, plafonnement de celle-ci ou encore mise en place d’une dégressivité. Tout est sur la table. Le Medef a même ressorti le dossier des intermittents du spectacle, tout en souhaitant de son côté ne rien céder sur celui du bonus-malus pour les contrats courts. Rien de très réjouissant pour les demandeurs d’emploi qui pourraient voir le fruit de leurs cotisations passées, à savoir leurs allocations, baisser sensiblement d’ici la fin de l’année.
Le gouvernement n’a « aucun tabou » avait prévenu la ministre du Travail au mois de septembre. À la lecture du décret d’application du 30 décembre, il semble n’avoir pas plus de scrupule. De même, les mots du Président le soir de la Saint-Sylvestre évoquant un capitalisme ultralibéral « qui touche à sa fin » ou son « empathie à l’égard des plus fragiles » sonnent faux. À force de dire une chose et, en même temps, faire son contraire, le gouvernement prend le risque de raviver et étendre la colère. Les chômeurs pourraient alors traverser la rue, mais pour rejoindre un rond-point et former cette « foule haineuse » qu’a fustigé Emmanuel Macron dans son discours de fin d’année.
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