Grève Teleperformance écart salarial centres d'appel, Portugal, février 2024

Centres d’appel : de la Grèce à la France, les téléconseillers précaires en grève

Ce mercredi 13 mars marque une journée de grève, en intersyndicale, dans la branche des Prestataires de Services du Secteur Tertiaire. Au coeur de ce secteur : les centres d’appel. De la Grèce à la France, en passant par la Tunisie ou l’Espagne, les syndicats veulent donner une dimension internationale à leur lutte. Et pour cause : dans cette économie structurée par une poignée de multinationales, l’externalisation et la recherche du moindre coût priment. 

 

Ces dernières semaines, des grèves ont éclaté dans plusieurs centres d’appels. À Cabourg (Calvados), les téléconseillers d’Agaphone ont débrayé ce lundi 11 mars, contre les « cadences infernales », raconte France 3. À Compiègne (Oise), chez WebHelp, les salariées ont débrayé le 8 mars à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes. À Saint-Étienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), cela fait plus de trois mois que des employés mènent une grève illimitée, retrace Actu.fr.

Ce mercredi 13 mars, c’est une journée de grève nationale qui est désormais lancée par une intersyndicale. Et elle ne concerne pas que les centres d’appel, mais l’ensemble des métiers constituant la branche des prestataires de services du secteur tertiaire (P2ST). Parmi ces métiers, unis par une même convention collective : hôtes d’accueil, animation commerciale, services de recouvrement… Et, au coeur du secteur, les téléconseillers des centres d’appel.

« Les salaires se négocient au niveau de la convention collective, pas dans les boîtes », défend Frédéric Madelin, négociateur de branche P2ST pour Sud PTT. « C’est donc une intersyndicale de convention collective à l’origine de l’appel, ce qui est assez rare », souligne-t-il. Le syndicaliste croit à la force de frappe du mouvement. Il garde en tête l’exemple de la précédente grève en intersyndicale.

 

« On ne demande pas juste à être au SMIC : on demande un vrai salaire ».

 

Le 23 janvier, en effet, une grève dans cette même branche avait été organisée, toujours en intersyndicale (CFDT, CFTC CGC, FO, CGT Sud-Solidaires). La grande majorité des sites mobilisés comptaient « entre 15 et 50 % » de grévistes, rapporte Frédéric Madelin. Dans plusieurs centres d’appel, le taux de débrayage avait même « dépassé les 50 % », rappelle Sud.

Pour autant, la proposition des employeurs qui s’est ensuivie « ne répond en rien » aux demandes, souligne le syndicat. Ceux-ci ont proposé « près de 2% d’augmentation, pour remonter juste au-dessus du SMIC les plus bas salaires », relate Frédéric Madelin.

Pas de quoi rattraper le décrochage : depuis 2005, si l’on compare au niveau du SMIC, les salariés du secteur ont perdu « entre 60 et 300 euros mensuels », estime le syndicaliste. « Il nous faut la mise en place d’une grille suffisante pour les prochaines augmentations du SMIC, pour faire face à l’inflation, à la hausse des prix de l’énergie… On ne demande pas juste à être au SMIC : on demande un vrai salaire ».

 

Bas salaires partout dans les centres d’appel à l’international

 

D’où ce nouveau débrayage en mars. Mais, cette fois, celui-ci a une dimension internationale. Un important mouvement de grève est prévu en Grèce, aujourd’hui également, dans les centres d’appel.

Cette dimension internationale n’est pas nouvelle : les syndicats français veulent désormais la renforcer. « Cela fait quinze ans que l’on travaille avec les Tunisiens, en particulier. Et que l’on essaie de développer des relations avec d’autres pays, pour essayer de trouver des solutions communes », expose Frédéric Madelin.

D’abord, parce que le secteur est dominé par une dizaine de multinationales. Certaines ont leur siège en France, dont le leader mondial du secteur, Teleperformance. À partir de là, « le marché français a les mêmes sociétés en France, au Maroc, ou en Tunisie : ce sont les mêmes boîtes de chaque coté de la Méditerranée. Idem pour Madagascar, ou pour l’Afrique subsaharienne. C’est une construction économique basée sur la langue pratiquée et donc, sur les anciennes colonies », décrit Frédéric Madelin.

Le 13 mars, donc « on s’est coordonnés pour bloquer les clients communs », explique-t-il. Un levier stratégique, aussi, pour mener à bien une grève dans ce secteur. Car « on sait que si on bloque en France, l’appel va partir ailleurs. Il est donc logique de se coordonner, pour le rapport de forces ».

 

Grèves en Grèce dans les centres d’appel, soutenus depuis la France et la Tunisie

 

Surtout, la dimension internationale fonctionne parce que la problématique des bas salaires est la même partout. En Grèce, le SMIC est « autour de 780 euros, alors qu’un loyer pour un appartement est autour de 400-500 euros », détaillait le travailleur grec Alexandros Perrakis, fin février, lors d’une rencontre entre syndicats du secteur. Cette rencontre avait justement réuni des travailleurs syndiqués de divers pays : Espagne, Grèce, Tunisie, Maroc, ou encore Cameroun.

« Une grande partie des collègues gagne ce SMIC de 780 euros brut. Sauf que quand le gouvernement décide de réajuster le SMIC, le salaire des collègues ne change pas », abondait-il alors.

Face à cette réalité, une première grève nationale dans les centres d’appel grecs avait été lancée le 8 février. Puis, une autre le 19 février. Ces grèves avaient touché plusieurs employeurs majeurs du secteur : Teleperformance, Foundever, TTEC ou encore Concentrix, une entreprise américaine qui vient de fusionner avec le leader français Webhelp, en le rachetant fin 2023.

Ainsi, les débrayages ont concerné « des services sous-traités en plusieurs langues comme des appels, des gestions de chat, e-mails… Pour des multinationales comme Apple, Google, Meta, Mercedes, AirBNB, Amazon », citent Sud-Solidaires et le syndicat tunisien UGTT, qui ont apporté leur soutien au mouvement.

« Maintenant, on a déclaré une troisième journée de grève mais cette fois internationale, le 13 mars, avec les camarades de Sud Solidaires en France », expose Tarek Ben Ezzine, salarié du secteur, qui a travaillé de 2020 à 2024 chez Teleperformance en Grèce.

 

Vers une meilleure représentation syndicale et des négociations

 

Suite à leurs journées de grève, plusieurs avancées ont été obtenues. D’abord, la reconnaissance de l’existence du syndicat grec Setip au sein de deux entreprises, Teleperformance et Concentrix. Là où jusqu’ici, des bureaux syndicaux n’y avaient « jamais existé », souligne Tarek Ben Ezzine.

Cette implantation du syndicat dans ces deux entreprises « concerne des centaines de travailleurs. C’est vraiment une première victoire », souligne Frédéric Madelin.

Teleperformance a, depuis, déposé un recours. Son principal argument : négocier avec Setip ne serait pas valable, « parce que le syndicat est du secteur des télécommunications, alors qu’ils sont une entreprise de services », relate Tarek Ben Ezzine. Pour lui, cette procédure n’est qu’un moyen de « gagner du temps et retarder autant que possible les négociations ».

Car sur les sites les plus mobilisés de Teleperformance, les directions ont promis de discuter sur des revalorisations salariales. Du côté de Concentrix également, la direction « nous a contacté officiellement pour une première réunion de négociation le 23 février, on a relancé les demandes le 29… Et on attend toujours leur réponse », relate Tarek Ben Ezzine.

 

Travailleurs migrants : « ils ne risquent pas seulement de perdre leur poste, mais aussi d’être obligés de quitter le pays »

 

Maintenir la pression le 13 mars n’a rien d’évident. Car en Grèce comme dans d’autres pays, guidées par une logique de recherche du moindre coût, les entreprises recrutent largement parmi une main d’oeuvre immigrée. Ou détachent des travailleurs d’autres pays. « L’un des problèmes de base dans ce conflit, c’est le rapport aux papiers », indique Frédéric Madelin.

Pour ceux qui ne viennent pas de l’Union européenne – comme Tarek Ben Ezzine par exemple, qui exerçait auparavant dans le secteur à Tunis avant de rejoindre la Grèce -, « les conditions sont inacceptables. Tout se fait avec un visa spécial qu’ils obtiennent, pour venir en Grèce », soulignait Alexandros Perrakis dans son intervention fin février. Le droit au séjour de ces salariés dépend de la validité de ce visa. Donc, de leur contrat de travail.

Légalement, « après l’expiration du contrat, on a trois mois pour trouver un autre emploi, sinon le séjour est menacé », explique Tarek Ben Ezzine. Lui-même est concerné par ce type de situation pressante. Fin janvier, son contrat de travail a expiré. Dans le même temps, une réduction des effectifs ordonné par le client Meta (Facebook, Instagram) a touché son équipe. «  On m’a dit : dès qu’il y aura une offre pour un autre projet, nous vous réembaucherons… Et j’attends depuis. »

Conséquence : « avec ce visa spécial, les entreprise font ce qu’elles veulent des collègues. Elles leur mettent la pression. S’ils se plaignent de quoi que ce soit, ils ne risquent pas seulement de perdre leur poste, mais aussi d’être obligés de quitter le pays immédiatement », expliquait Alexandros Perrakis.

 

Un futur colloque international en novembre

 

Sauf que là encore, les grèves en Grèce, soutenus par les syndicats français et tunisiens, vont peut-être faire bouger les lignes. Suite aux mobilisations, « une réunion s’est tenu avec le cabinet du ministre de l’emploi. Et des représentants du parti communiste ont adressé une lettre au ministre de l’immigration et au parlement de l’Union européenne sur ce sujet », retrace Tarek Ben Ezzine.

En Grèce, une nouvelle loi sur l’immigration doit être discutée fin mars. Le travailleur espère qu’elle répondra à cet enjeu. En attendant, ce mercredi 13 mars, les grévistes se rendront à un rassemblement devant le Parlement.

De leur côté, les syndicats français comptent bien être attentifs à ces potentielles avancées futures. Et poursuivre la dynamique de revendications communes entre pays. Un colloque international sera organisé à Tours fin novembre 2024 « afin d’y discuter de nos luttes, mais aussi du développement de l’intelligence artificielle dans nos métiers avec les dangers pour nos conditions de travail et nos emplois », soulignent-ils. « Avec ces luttes que nous menons ces dernières semaines contre des multinationales, nous vivons un moment historique », encourageait, fin février, Alexandros Perrakis.

 

Crédit photo : Ana Mendes/Creative Commons