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Élections des travailleurs des plateformes : retour critique sur un scrutin


Du 9 au 16 mai auront lieu les élections des représentants des travailleurs des plateformes. Une première dans un secteur où l’auto-entreprenariat est la norme et où une quelconque forme de représentation des travailleurs était jusque-là honnie. Retour critique sur le scrutin.

 

Entretien avec Chloé Lebas, doctorante en science politique à l’université de Lille, qui fait une thèse sur les mobilisations collectives des livreurs à vélo et des développeurs de jeux vidéo.

 

Du 9 au 16 mai auront lieu les élections des “représentants des travailleurs indépendants ayant recours aux plateformes pour leur activité”. Comment est né le projet de donner une représentation à ceux qu’on s’évertue  à considérer comme des indépendants ?

 

Tout part de 2016. La loi travail ajoute un article pour reconnaître les travailleurs des plateformes et scelle leur indépendance. Depuis, un ensemble de lois et de rapports ont tenté d’organiser leur représentativité. La mission Mettling, qui aboutit à l’ordonnance du 21 avril 2021, donne naissance à l’ARPE (l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi). Elle est composée de représentants de l’Etat, de députés, de sénateurs, et de “représentants de travailleurs de plateforme”. Elle est chargée d’organiser tous les 4 ans un scrutin qui élit des représentant des travailleurs dans deux secteurs : celui des plateformes VTC et celui des plateformes de livraison de marchandise. Cela concerne environ 100 000 personnes selon le ministère du travail. Sans doute plus en comptant les faux comptes.

Le choix de ces deux seuls secteurs est intéressant parce que cela reconnaît d’une certaine manière  la spécificité de ces plateformes. Ce ne sont pas seulement des plateformes de mise en relation (type Air bnb ou Blabla Car), ce sont des plateformes de travail, avec des représentants côté travailleurs. Or la défense des plateformes, de Deliveroo par exemple lors de son procès (voir notre article), consiste justement à dire qu’elles ne font que de la mise en relation.

 

Quelles sont les organisations qui vont participer à ces élections des plateformes ?

 

Les organisations candidates peuvent être des syndicats ou associations loi 1901 (voir en fin d’article). Parmi elles, il y a des organisations qui n’ont jamais mis les pieds dans les mobilisations de livreurs, comme l’UNSA, la CFTC ou la FNAE (fédération qui représente les auto-entrepreneurs). Le CLAP en revanche (NDLR : collectif historique de livreurs qui luttent essentiellement à Paris) a considéré qu’il serait décrédibilisé s’il y participait à ce qu’il considère être un simulacre de dialogue social et n’est donc pas présent. La CNT-SO, Sud-Commerce et services et la CGT qui sont également présentes dans les luttes de livreurs ont en revanche décidé de participer. Toute organisation qui réunit +5% des voix est représentative. Il est possible qu’entre des syndicats qui sont pour l’indépendance des livreurs et des chauffeurs et ceux qui sont pour le salariat, les discussions ne mènent nulle part.

 

Quels pouvoirs auront les élus ?

 

Les représentants des salariés obtiennent, sur le papier au moins, une forme de protection syndicale. Il est dit que la plateforme doit demander à l’ARPE avant de “rompre le contrat commercial” avec un livreur élu représentant. Il y aura aussi un droit à la formation (max. 12 jours/an) des représentants pour “les sensibiliser aux enjeux et méthodes du dialogue social” avec remboursement des frais de séjour et de déplacement pour la formation.

 

Sur le plan de la négociation, les élus pourront signer des “accords collectifs de secteur” qui peuvent être plus favorables aux travailleurs que les dispositions légales. Ils peuvent porter sur plusieurs domaines, notamment les conditions de travail, de rémunération ou encore la formation professionnelle ou la protection sociale. L’ARPE peut être sollicitée pour accompagner les négociations.

Ce cadre de négociation est à double tranchant. Il est possible qu’il n’y ait pas de réelle avancée pour ces livreurs tant que l’on ne reconnaîtra pas qu’ils sont des salariés. Certes, avec ces élections les plateformes ne pourront plus faire comme si les travailleurs ne représentaient qu’eux mêmes. Mais cela peut aussi permettre aux plateformes de dire : “Vous voyez, vous pouvez obtenir de nouveaux droits sans être salariés.”

 

Qui va négocier côté employeur ?

 

Pour l’instant rien n’est sûr, l’ARPE est la seule à déterminer qui sera représentatif  côté plateforme. D’après Matthieu Vicente, doctorant en droit du travail et spécialiste des plateformes, la seule organisation représentative des plateformes serait l’API (Association des Plateformes d’Indépendants). Lors des négociations, on aurait donc une corporation patronale unique face à plusieurs organisations de travailleurs. Mais cela reste une hypothèse. Pour préciser : l’API est une association regroupant des plateformes embauchant des indépendants depuis 2019 et dont Deliveroo et Uber sont membres. Elle est présidée par celui qui a porté la loi créant le statut d’auto-entrepreneur en 2008 : Hervé Novelli, un ancien secrétaire d’État.

 

Fonctionnement du scrutin : 

Deux scrutins électroniques seront organisés du 9 au 16 mai, l’un pour élire les représentants des chauffeurs de VTC, le second ceux des livreurs de marchandises en véhicule à deux ou trois roues, motorisé ou non. Sept organisations ont été retenues pour le collège des VTC: trois organisations syndicales (CFTC, FO et Unsa), trois associations (Union Indépendants -lié à la CFDT-, VTC de France et Association des chauffeurs indépendants lyonnais) ainsi que la Fédération nationale des autoentrepreneurs (FNAE).

Concernant le collège des chauffeurs-livreurs, neuf organisations participeront au scrutin : six organisations syndicales (CFTC, CGT, CNT-SO, SUD Commerce, FO et UNSA), deux organisations professionnelles (Fédération nationale des auto-entrepreneurs et Fédération nationale des transports routiers) ainsi que de l’association Union Indépendants.