Louvre Hotels grève femmes de chambre

Grève à Louvre Hotels : action surprise des femmes de chambre et leurs collègues


Depuis près de trois semaines, des femmes de chambre et d’autres salariés du groupe Louvre Hotels mènent un mouvement de grève, sur quatre sites différents. Ce mardi 14 juin, une trentaine d’entre eux ont débarqué par surprise dans le hall d’un des hôtels du groupe, à Le Bourget. L’action visait à mieux faire entendre leurs revendications. Parmi celles-ci : une augmentation des salaires de 300 euros net, et la création d’une prime d’ancienneté. 

 

« Allez, courez ! » lancent les têtes de file au reste du groupe, en zigzaguant entre les voitures garées devant l’hôtel Campanile du Bourget, au pied de l’aéroport. Certains déplient des drapeaux, d’autres enfilent leurs chasuble siglés CGT-HPE (Hôtels de prestige et économiques). En tout, une trentaine de femmes de chambre, serveurs, hôtesses de petits-déjeuners, franchissent l’entrée de l’hôtel, en scandant « Augmentez les salaires ! » devant les mines surprises des agents d’accueil. Les chants s’enchaînent, avec quelques pas de danse. Les sifflets et les bruits de casserole retentissent partout. Très vite, des confettis recouvrent le sol, les fauteuils, les tables où trône le buffet du midi tout juste servi.

Depuis le 26 mai, des salariés du groupe Louvre Hotels sont en grève reconductible. Quatre hôtels sont concernés. D’abord, le Campanile de Gennevilliers : 90 % des effectifs y sont en grève, selon la CGT-HPE. Ensuite, les Campanile et Première Classe du Pont de Suresnes, où l’on tourne plutôt autour des 60 % de grévistes, toujours selon le syndicat. Enfin, la Villa Massalia, à Marseille, avec la même proportion. « Tous sont des gros porteurs, pas des petits hôtels » indique Tiziri Kandi, responsable du syndicat CGT-HPE qui accompagne les grévistes. Plusieurs de ces hôtels ont « une tradition de lutte », précise-t-elle également. Dans chacun d’eux en effet, des mobilisations successives ont mis fin à la sous-traitance.

L’une des principales revendications des grévistes aujourd’hui est l’augmentation de 300 euros par mois des salaires. Myriam* est hôtesse de petit-déjeuner. Tous les matins, elle assure son service à l’hôtel de Suresnes. Pour 20 heures de travail hebdomadaires, elle gagne 1100 euros net par mois. « Et encore, ça compte le remboursement des tickets de transport », précise-t-elle. 300 euros d’augmentation, « ce n’est même pas beaucoup », soupire-t-elle.

 

Pas de négociation ouverte

 

Pour le moment, aucune négociation n’a été ouverte avec le groupe Louvre Hotels. « Nous sommes toujours en attente de la réponse des responsables. On travaille dur pour un salaire qui ne suffit pas. On demande 300 euros… Et 300 euros, c’est rien », abonde Salia*, également salariée à Suresnes. Elle gagne plutôt entre 700 et 800 euros par mois, pour une petite vingtaine d’heures de travail hebdomadaires.

Les grévistes demandent aussi la mise en place de la subrogation dès le premier jour d’arrêt de travail. C’est-à-dire la suppression du délai de carence avant de toucher les indemnités journalières dues par l’Assurance Maladie. Ou encore, la généralisation de la prime de nuit dans tous les hôtels. Et ce, à hauteur de 25 euros par nuit travaillée.

Contactée, le groupe Louvre Hotels n’a pas, pour l’heure, donné suite à nos demandes d’entretiens. Dans le hall de l’hôtel du Bourget en revanche, une discussion s’engage entre les représentants syndicaux et les gérants de l’établissement. Ces derniers demandent à ce que la manifestation se fasse dehors. L’un menace, sur un ton calme, de faire appel à un huissier pour engager des constats et d’éventuelles poursuites. « On ne quittera pas les lieux », répète Tiziri Kandi. « Les salariés n’ont rien cassé. Ils n’ont agressé personne. Ils exercent simplement leur droit de manifester et leur droit de grève »« On est chez nous ! » lance Véronique*, enfoncée dans un fauteuil orange, en brandissant son drapeau syndical.

 

28 ans de travail, sans prime d’ancienneté

 

Véronique est l’une des doyennes des grévistes. Cela fait 28 ans qu’elle travaille au même hôtel, à Gennevilliers. De toute sa carrière, c’est sa première grève. « Avant, je ne voulais pas faire grève. Maintenant, je me dis : il faut que je le fasse, ce n’est pas normal. On a rien. On a besoin de nos droits. » En 28 ans, Véronique n’a jamais touché de prime d’ancienneté. La convention collective des hôtels, cafés et restaurants n’en prévoit pas. C’est aujourd’hui l’une des principales revendications des grévistes vis-à-vis du groupe Louvre Hotels.

Beaucoup de femmes réunies ici, comme Véronique ou Salia, sont des employées dites « polyvalentes ». Elles se chargent des chambres, du ménage, de la lingerie… « On a mal partout. Les pieds, les yeux », souffle Véronique, en montrant aussi la peau de ses mains. « Dans la lingerie, avec les machines, il y a une chaleur… Et pas de fenêtre, là où je travaille. J’y suis tous les jours. Je respire mal ». Ses journées commencent à 8 heures, et s’achèvent à 17 heures. Elle gagne 1 400 euros par mois. S’y ajoutent 100 euros de remboursement des transports.

Au bout d’une vingtaine de minutes, des policiers entrent dans le hall pour contrôler et interroger les responsables syndicaux. Ces derniers reviennent en appelant au calme les grévistes. Tout le monde s’assoit alors sagement dans les fauteuils du hall. Les conversations vont bon train. « Stop, stop », lance Foued Slimani, délégué CGT-HPE, pour obtenir l’attention de l’assemblée. Le silence se fait. « Je vais chercher le jus de bissap ! », annonce-t-il simplement en riant. Quelques femmes en ont cuisiné pour l’occasion.

 

« On voit tellement de petites injustices »

 

Philippe* circule entre les fauteuils, pour distribuer avec bonne humeur des verres de jus de bissap et de gingembre. Ce grand jeune homme à la silhouette élégante est serveur, depuis neuf ans, dans l’hôtel Campanile de Suresnes. « Ces revendications, on devait les faire bien avant le covid. Mais la pandémie a ralenti un peu les choses. Là, on s’est lancé parce qu’il y a eu une remontée de croissance de l’activité », retrace-t-il. L’augmentation du prix de l’énergie et de l’alimentaire a aussi été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Le jeune homme s’est mis en grève avec, en tête, la lutte qui avait déjà agité son établissement en juin 2019. Celle-ci avait abouti à des augmentations de salaire, ainsi qu’à l’internalisation des femmes de chambre, jusqu’ici employées par un sous-traitant.

Aujourd’hui, Philippe gagne près de 1500 euros, pour un temps plein. Ce qu’il demande surtout, avec d’autres grévistes, c’est l’arrêt des coupures pendant le service. « On travaille de 10h30 à 14h, on revient de 18h à 23h », explique-t-il. Pour basculer sur des services en continu, il faudrait recruter. Le patronat de l’hôtellerie-restauration, très impacté par la crise sanitaire, alerte régulièrement sur ses difficultés à embaucher. Le groupe Louvre Hotels lui-même vient d’annoncer sa recherche de 200 candidats. Mais de l’autre côté, de nombreux syndicats dénoncent les mauvaises conditions de travail, trop peu attractives.

Après une heure d’occupation, les policiers, de retour dans le hall, sont plus détendus. L’un d’eux engage même un pas de danse en tapant des mains pour suivre quelques slogans. L’action prend fin vers 14h, après deux heures d’occupation. Les grévistes réunis ici se disent prêts à recommencer. Même Philippe, qui envisage pourtant une reconversion, assure qu’il ne lâchera pas ses collègues. Qu’importe la durée de la lutte. « On voit tellement de petites injustices, tous les jours, pour nos collègues… Ça me tient à coeur d’être là jusqu’au bout de cette grève ». 

 

*Les prénoms des personnes interrogées ont été modifiés afin de préserver leur anonymat.